— Oui, mon cœur, mais rassurez-vous, ce n'est pas après vous que nous en avons.
Alors tu sais quoi ? Là, faut que je te fasse rire ! Voilà la donzelle qui se met à égosiller :
— Emilio, c'est la police !
Et alors le motard portugais surgit, encore torse nu de l'étreinte passionnée à laquelle il vient de souscrire. Il a un feu en pogne à la main. Il tient son casque de l'autre main par la mentonnière que tu croirais un panier à salade.
Ses cheveux frisés sont collés sur son front de taureau par la sueur de l'amour. Et ce fumelard qui nous braque comme des caissiers de banque ! Merde ! Il a lu ça dans La Semaine de Sucette, l'artiste.
Moi qui le situais honnête manar à la Régie, venant tremper le biscuit sa journée faite ! Et on tombe sur un pur malfrat qui n'hésite pas à braquer des draupers.
— Ecartez-vous ! il nous enjoint.
Tu connais Béru ? Ce genre de sommations, lui, ça le fait marrer plus fort que l'histoire de cette sentinelle disant à Mitterrand : « Tenez-moi mon casse-croûte, m'sieur le président, que je puisse vous présenter les armes. »
Homme des situations, le Mammouth ! Il sait toujours par quel bout les prendre. Voilà qu'il donne un coup de tatane dans le casque, ça suffit pour modifier légèrement l'attitude du Portugais. Ce dernier amorce un quart de tour sur place pour retenir sa gamelle, présentant ainsi un maxillaire légèrement empâté dans lequel mon merveilleux camarade s'empresse de filer un coup de boule qui le démet illico. On entend le craquement.
L'autre lève son feu pour arroser, seulement le commissaire Sana, tu m'as compris ? Une savate mongole dans les frangines. Heureusement que la petite Marthe a eu sa ration de chopine parce qu'il va plus falloir compter sur les aptitudes équestres de monsieur avant un bout de temps.
Béru lui chope le poignet pour lui faire lâcher l'arme et abat le brandillon du mec sur son genou en enclume. Nouveau craquement. En quatre secondes au plus, nous avons obtenu un gus dont un marchand d'esclaves n'aurait pas donné un pellos tellement qu'il est amoindri de fond en comble.
J'empoche sa rapière, lui passe les menottes et nous achevons d'investir l'appartement.
Terrorisée, la Marthe en oublie de maintenir la serviette sur sa géographie. V'là ses deux blagues à tabac qui pendent misérablement, comme les paupières de Bodard. Y a vraiment des êtres en navrance totale. M'selle Pas-de-bol avait trouvé un gaillard du Sud pour se faire chibrer et on vient lui casser son joujou. Le temps qu'elle se retombe une épée comme Emilio, elle devra se jouer des solos de harpe à un doigt, espère.
Le logis se compose d'une pièce, avec deux renfoncements ; l'un sert de cuisine, l'autre d'alcôve. Cela dit, tout est propre, modeste, concon.
Béru s'assoit devant la table où une boutanche de Matheus rosé, à moitié vide, lui joue Fascination, car ce qu'il considère, lui, c'est qu'elle est à moitié pleine.
Je ramasse le blouson du gars pour piquer son portefeuille : une chose brune, molle et dilatée.
J'examine les fafs avant de les glisser in my pocket.
— Un rodéo pareil, grogné-je, c'est bien pour dire de faire le cow-boy !
L'homme s'est assis en tailleur, le dos au mur. Son bras cassé est inerte, de sa main valide il masse ses testicules douloureux. Je lui trouve pas bonne mine, au Conquistador du dix-huitième.
— Tu me surveilles les amoureux, Gros, je descends turluter depuis ma caisse.
— Soye étanche, mec. Je vas veiller su'leur lune d'miel comme si c'serait la mienne, promet le Monolithe en avançant la main vers la bouteille.
Je tombe sur l'inspecteur Papillon, ainsi surnommé parce qu'il porte sempiternellement un nœud pap' à pois.
Je lui file les coordonnées d'Emilio Bandalez, joignant un descriptif du personnage précis comme une photo de Lartigue.
— Bougez pas, commissaire, ça me dit quelque chose.
Depuis qu'on m'a posé le bigophone dans ma charrette, ma vie se trouve simplifiée. Allongé derrière le volant, je paresse en attendant la réponse. Des ombres miteuses rasent les murs. L'air sent la merguez surmenée et aussi la sauce chinoise. Paris se transforme à toute pompe. Ça devient Canton, certains coinceteaux, à Belleville par exemple. Jadis ça fouettait la frite, à présent c'est le canard laqué. D'une guerre l'autre, les Jaunes se pointent. Bienvenue, mes frères !
— Vous êtes là, commissaire ?
— Extrêmement, oui ; alors ?
— Pas très propre, votre Portugais. Il est tombé à deux reprises pour vol à main armée. La seconde fois, il s'est barré du tribunal de Pontoise pendant son procès ; depuis, on a de bonnes raisons de penser qu'il a joué un rôle actif dans le braquage de la B.N.P., le mois dernier. On a failli le sauter la semaine passée rue de Douai, mais il a pu s'enfuir en prenant une automobiliste en otage.
— Merci, Papillon, et bonne nuit.
L'atmosphère n'est pas euphorisante chez Marthe Inidraï. Ça vire à la torpeur de veillée funèbre. Son truand grimace de douleur, quant à elle, elle continue de rester adossée au mur, en pressant la serviette sur sa nudité gerbante.
Béru qui a compris ce que je suis allé faire m'interroge du regard. D'un battement de cils je l'affranchis qu'on tient un clille sérieux. Il en rote de plaisir et vide la bouteille.
Je dépose mon imper ruisselant sur un dossier de chaise et mon dargif sur le coin de la table.
— Dis donc, Marthe, t'as de drôles de fréquentations, je l'attaque en désignant son julot brisé. Où es-tu allée pêcher ce gros vilain ?
Bon, la v'lià qui se met à chialer comme Proust quand il bouffait sa madeleine. Son histoire, je pourrais te la réciter debout sur une patte : cette môme a débarque de sa province depuis peu. Duraille de trouver un logement et du boulot. On fait à Paname des rencontres douteuses quand on y arrive innocent et faucheman. Bandalez a dû la retapisser dans un troquet, voire au bal, peut-être même à la fête foraine. Ça ne varie jamais beaucoup, les points de contact entre les oies blanches et les requins pourris.
— C'est le beau ténébreux ici présent qui t'a trouvé cette place chez la mère Tatzi ?
— Réponds rien à ces fumiers ! lui lance son camarade d'édredon.
Le Gros se lève en soupirant. Toujours ce boulot harassant ! Dans son tapin, c'est ça : la cogne, toujours la cogne ! Pas une minute de répit. T'as pas le temps de te refroidir les muscles qu'il faut déjà remettre la gomme. A croire qu'ils adorent les marrons, ces veaux. Il va au Portugais, chope la chaîne des menottes et le soulève par cette anse improvisée. L'autre hurle de douleur, à cause de son aile cassée.
Mais le Mastar, dis, tu permets ? Il le traîne sur deux mètres dans la carrée. Puis le relâche. Qu'ensuite, il grimpe sur le ventre à Emilio pour mieux le surplomber, je suppose. L'autre, sa respiration est partie sans laisser d'adresse, un poids pareil sur le baquet, tu penses !
— Ecoute voir, fait-il, j'ai deux trois bricoles à te causer. La première, tu n'nous appelles plus fumiers, la deuxième tu dis à ta polka de répondre à nos questions au lieu d'faire des zobs tructions, et la troisième ça m'est sorti de l'esprit, mais ça va me reviendre.
Puis, à moi :
— Sana, c'est quoi dans les grandes lignes, l'enculum vitré d'mossieur ?
— Braquage, braquage et rebraquage. Nos potes de la Maison Frivolitie's le cherchent comme un prostatique cherche une pissotière au Salon de l'Auto.
Béru hoche la tête.
— C'est le bras droit qu'y s'est cassé accidentellement en tombant su'mon g'nouxe, y'm'semb', non ?
— On dirait.
— Suppose qu'il aye pas d'bobol et qui s'cassasse le gauche 'aint'nant, comment t'est-ce y s'y prend-il pour poser son bénouze ? J'attige ze couetchionne, comme disent les Rosbifs.