Tout en parlant, il glisse son pied gauche sous le coude gauche d'Emilio et pose son pied droit sur son avant-bras.
— Deux fractures la même soirée, c'est vraiment la loi des séries, tu n'trouves pas, Sana ?
— Je dois reconnaître.
— Non ! crie la Marthe.
Dans un élan de supplique, elle laisse quimper la servetouze de bath et ses oreilles d'épagneul se trouvent proposées à notre convoitise. Le gars Alexandrovitch-Benito, qu'elle soit pendante ou ascensionnelle, flasque ou dilatée, l'avant-scène d'une gerce le passionne toujours. Son regard lourd s'emplit d'une louche rêverie.
— Je soufflerais bien un peu d'dans pour te les requinquer, petite, assure l'Irrésistible.
— Vous n'avez pas le droit de lui faire du mal, répond la femelle, je porterai plainte !
Le Gros a un bon sourire extatique, genre M. Frossard le jour où il a rencontré Dieu.
— Tu sais ce dont j'me d'mande ? murmure-t-il. Si on lui mettrait son casque à not'zèbre, là, et qu'on l'virgule par la f'nêtre, tronche la première, tu croyes qu'il aurait du bobo, d'puis ce troisième étage ? Tu m'connais : j'raffole faire des espériences…
— Je crois qu'il me vient une meilleure idée, Gros.
— On peut la savoir ?
— Va filer ce coquin dans le plumard, que nous restions entre nous. S'il pouvait roupiller, ça n'en serait que mieux.
Béru se dresse.
— Pour dormir, y dormira, promet-il, j'ai jussement apporté mes dragées calmantes.
Il caresse ses phalanges droites de sa paume gauche, amoureusement, comme Buffalo Bill graissait son revolver magique entre deux représentations. Qu'ensuite il part s'occuper du Portugais. Tchlac, tchlac ! Un doublé au bouc. Déjà qu'il avait la mâchoire fêlée, Nestor, tu juges ? Du moins, il ne souffre plus du trajet plancher-lit.
— Mais vous êtes-t-il des brigands ou des flics ! égosille la pauvre petite Marthe.
Accablée, terrorisée, bonne à questionner dès lors. Sa Majesté se pointe pour lui flatter les loloches. Elle est à ce point anéantie qu'elle demeure sans réaction.
— T'sais qu't'es belle dans ton genre, ma gosse ? complimente le Dodu.
C'est sa botte secrète avec les dames. Son madrigal tout terrain. Il tire une menteuse longue comme une nappe de banquet et lui fille un p'tit coup de lichouille sur les bourgeons ; par amitié simple ; avec une paluche au fion pour compléter, commako, en passant : vite fait, pas pris, au suivant !
La servante se cabre comme la chèvre de mister Seguin devant le loup.
— J'ai bien envie de te faire un cadeau royal, petite, lui dis-je.
Elle me décoche un regard misérable qui attendrirait une entrecôte de chez Jacques Borel autrefois.
— Tu réponds à mes questions, du mieux possible, et j'oublie ton malfrat car c'est pas à lui que nous en avons, non plus. S'il n'avait pas joué au gaucho avec son feu, quand on s'est pointés, je ne lui aurais même pas adressé la parole.
Elle bat des cils, façon Marlène dans l'Ange Bleu, sauf qu'elle porte ni gibus ni bas noirs.
— Vous dites ça…
— Je dis ça parce que c'est la vérité. Regarde-moi dans les yeux, ma grande, et comprends que tu peux me faire confiance ; ton bandit, je te le laisse, il pourra te faire encore passer de belles soirées. On y va ? T'as rien à perdre et tout à gagner.
Pour l'inciter, le gars Bérurier lui place une caresse cosaque sous la serviette, dans des régions amazoniennes.
— File-nous le train, ma poule, il lui roucoule, on est des bandeurs, pas des sauteurs.
Cette fois, il s'assied et la prend sur ses genoux capitonnés.
— Vàs-y, Sana, c'p'tit cœur d'mande qu'à nous être agriable.
Alors, d'ac, j'y vais.
— Il y a combien de temps que tu bosses pour la mère Tatzi, Marthe ?
— Dix-huit mois.
— Comment es-tu entrée à son service ?
— J'ai été recommandée.
— Par qui ?
— Par un ami d'Emilio.
— Tu le connais ?
— Je l'ai vu une fois, oui.
— Où cela ?
— Ici.
— Son nom ?
— M'sieur Amédée.
— C'est tout ?
— Je sais rien d'autre.
— A quoi ressemble-t-il ?
— Il est jeune, grand, brun, avec des appareils photos. Il portait un complet de velours vert et il avait les cheveux longs dans le cou.
— Et puis ?
— Ben… voilà. Il a dit à Emilio que Mme Tatzi voudrait peut-être me prendre à l'essai.
— A l'essai pour servir ?
— Oui.
— Seulement pour servir ?
— Ben…
Ma question la désoriente. Elle ment mal, preuve qu'elle a « un bon fond », comme dit Félicie. Le Mastar lui parcourt l'anatomie à grandes manées fougueuses. On dirait qu'elle ne s'en aperçoit même pas.
— Tu veux que je te dise, ma petite Marthe ? T'es pas entrée chez la mère Tatzi pour servir des fritures de goujons au mazout, du moins pas seulement pour ça. Tes vraies perspectives, c'était de monter aux asperges. La vieille tient un clandé douillet au premier étage de sa taule. Elle a pris en main ta formation afin de te permettre d'obtenir ton C.A.P. de gagneuse. Pour débuter, tu passais en complément de programme dans les partouzettes, je suppose ?
Percée à jour, la rouquine demeure sans voix. J'imagine que chez la rombiasse, elle chiquait les utilités pour tendeurs un peu déviés. C'est pas, ce ne sera jamais une gonzesse d'abattage, Marthe. Mais son côté fané, blafard, battu, excite dans une certaine mesure des messieurs qui rêvent de forniquer dans le bas mélo à la Eugène Sue. Je te parie que la maquerelle devait l'affubler de haillons, histoire de parfaire son personnage d'opprimée.
— Inutile de finasser, ma pauvrette, tu as déjà pigé que tu n'étais pas de taille. Tu es faite pour la franchise comme d'autres le sont pour l'arnaque. Dans ton cas, il y a erreur d'aiguillage au départ. Ton vrai destin, c'était le mariage avec un brave mec de ton bled et pas de jouer les affranchies à Pantruche. Alors, réponse, j'ai vu juste, oui ou merde ?
Elle hausse les épaules en signe d'acquiescement.
— Si tu voudrais soul'ver légèrement un tantisoi peu ton cul, mignonne, lui déclare mon Eminent, tu m'décoincerais Coquette qu'épanouit d'trop à ton contac, la chaleur communicative des baquets, moi, j'résiste mal, porté comm'j'sus.
Elle se soulève. Le Majestueux se livre à une opération de dégagement dont je suis mal les péripéties. Quand il invite Marthe à se rasseoir, cette dernière paraît passablement surprise et danse une gigue avant de trouver la position idéale.
— V'là, tu peux continuer, grand, me déclare Gradube ; dans la vie c'est un'place pour chaque chose et chaque chose à sa place et les vaches s'ront bien gardées. Hé ! mollo, gesticule pas du dargif, fillette, qu'autrement sinon tu vas m'faire dijoncter !
Marthe pleure doucement.
D'endolorissement fondemental ou d'émotion ? Que lui prodiguer, qui soit sédatif ? Des bonnes paroles ou bien de la vaseline ?
— Oui, oui, vous avez vu juste, elle s'affale. Je suis bien rentrée chez Madame pour faire prostituée, mais elle préférait que je serve au restaurant, le temps de ma « formation ».
— Quand a-t-elle bouclé son clandé ?
— Ça fait quelques semaines.
— A la suite de quoi ?
Elle arrondit les lèvres pour émettre un bruit de pet très compatible d'ailleurs avec sa physionomie de cul triste marqué d'éclaboussures brunes.
— J'en sais rien. Madame a annoncé comme quoi elle avait été prévenue qu'il fallait arrêter net pendant quelque temps. Ses demoiselles sont parties et elle a pris sa petite-fille qu'était en pension depuis la mort de sa maman dans un accident.