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— Après, ils ont fouillé partout dans mon studio. Mais j'avais rien, alors ils n'ont rien trouvé.

— Ils vous ont parlé de moi ?

— Non. Enfin…

— Enfin quoi, connasse !

Marthe remet une giclée de chialerie.

— Pourquoi vous m'engueulez, Madame ! C'est pas pas faute ! Oh ! la la ! ce que je suis malheureuse…

— Que vous ont-ils dit à mon sujet ?

— Ils m'ont demandé qui c'est qui m'a fait entrer à vot'service.

— Et que leur avez-vous répondu ?

— Que c'était un copain d'Emilio, m'sieur Amédée.

— Ils ont fait allusion à ce que nous faisions autrefois ?

— Non, mais ils m'ont dit de ne pas bouger de chez moi, qu'ils allaient revenir demain matin de bonne heure. Et puis ils ont emmené Emilio.

Là, pour te prouver qu'elle est à la hauteur des circonstances, la rouquine, elle ajoute :

— Le très beau m'a dit que si je bronchais pour prévenir, il le saurait et que ça chierait terriblement. J'ai longtemps hésité. Et puis j'ai pensé qu'il valait mieux vous avertir.

— Vous n'avez pas été suivie ?

— Non, ça, j'en suis certaine, ma rue était complètement déserte, et puis je suis à la cabine de la place des Frères-de-Gaulle, et y a sincèrement personne. Si y aurait, je voirais. Qu'est-ce que ça va donner, tout ça, Madame ? Je dois faire quoi donc ?

— Retournez chez vous, Marthe.

— Mais demain ?

— Demain sera un autre jour, idiote.

— Qu'est-ce que je vais raconter à ces deux types ?

— Rien, puisque vous ne savez rien. Vous êtes serveuse chez moi et c'est tout, compris ? Quant à votre gros sac de Portugais, vous n'êtes pas censée connaître ses activités. Votre air abruti est votre meilleur atout. Jouez la gourde à bloc, ma fille. Et fermez votre gueule. Moins vous parlerez, mieux vous vous porterez !

Elle raccroche.

Marthe reste hébétée, l'écouteur en pogne. Je le lui reprends pour le déposer sur son support.

— Les gens sont méchants, elle murmure, le regard embué.

— Pas tous, la consolé-je. Il en est de gentils, seulement ils sont cons. Rentrons.

Tu es un lecteur beaucoup trop avisé pour ne pas avoir pigé la raison de ce coup de turlu à la mère Tatzi.

Eh bien, oui, Françaises, Français, mon idée est de provoquer une réaction de la part de la bordelière, du moins des gens qui utilisent son bouic comme boîtes aux lettres. Je me dis qu'elle va les alerter et que ces mystérieux personnages voudront garantir leur sécurité en « neutralisant » la pauvre Marthe, dont ils ne pourront pas ne pas redouter la faiblesse et, partant, l'indiscrétion.

Alors on bivouaque chez elle, le Gravos et moi. Elle rejoint son gredin endommagé sur le lit, Béru s'installe à califourchon sur une chaise et pionce, le front sur ses avant-bras, tandis que, stoïque, ton Tantonio tant aimé monte la garde.

Mais la nuit passe et rien ne se produit.

Lorsque l'aube aux mains sales engrisaille la pièce je commence à piger que mon piège n'a pas rempli son office et qu'il va me falloir m'orienter ailleurs. La bouche amère, le regard brûlant de sommeil, je m'efforce de faire le point. Qu'ai-je à me mettre sous la chaille ? Raphaël Sein a craché ce qu'il savait, crois-je. Reste la mère Tatzi qui m'a l'air d'une sacrée coriace pas fastoche à manœuvrer, et peut-être, à condition de le dénicher, le prénommé Amédée qui introduisit Marthe chez elle.

M'étant levé, j'exécute quelques mouvements assouplisseurs puis m'approche du plumard où repose le couple. La servante roupille, mais son Portugais grimace de souffrance.

Un élan de compassion me biche. In petto, je me traite de fumelard. On exagère de le laisser sans soins, cézigue, avec sa mâchoire et son aile cassées. Non-assistance à personne en danger, ça la fout mal pour des draupers.

— Tu jouis, mec ? je lui questionne.

Il m'adresse un regard douloureux, avec plein de fièvre à l'intérieur.

— Tu me refiles un petit tuyau et je te laisse. Ta gagneuse s'arrangera pour te faire soigner. Moi, je t'oublie, c'est correct, non ?

Son expression prouve qu'il n'est pas dupe.

— Essaie de comprendre, Emilio. Nos méthodes sont particulières parce que je travaille pour les services secrets, ce qui me donne droit à toutes les « bavures » possibles et imaginables et également, à tous les passe-droits. Que tu marnes dans l'attaque à main armée, j'en ai rien à cirer, mon pote. Un jour ou l'autre tu tomberas, mais je m'en torche. Si on a déclenché la grosse offensive méchante, c'est parce que des intérêts nationaux sont en cause. Eux seuls m'intéressent. Tu suis mon développement ou faut te projeter des diapos pour étayer la démonstration ?

Il regarde dormir sa souris. Elle en écrase comme une vache, la Marthe. Ça ne pionce pas beaucoup, une vache, mais intensément.

Il bouge la tête pour ensuite capter le sommeil du Gros. Y a parenté entre les deux dormes. Elles sont animalières.

— On est provisoirement seuls, je lui fais.

Je chuchote pour créer l'ambiance intime. Quatre plombes du mat', c'est l'heure des angoisses pour qui ne dort pas. L'heure où l'on meurt dans les hôpitaux et où les fêtards commencent à réaliser l'étendue de leur gueule de bois.

— Ecoute, Milio, fais une expérience intéressante une fois dans ta vie d'apôtre. Tu me donnes un tuyau et je me taille avec mon esclave. Sinon, on continue de rester là à attendre que quelqu'un vienne prendre de vos nouvelles… Il est temps de réduire tes fractures, mon pote, sinon t'auras un bras de pingouin.

Je me penche sur lui et je susurre dans sa baffle :

— Ton copain Amédée, le photographe, où peut-on le trouver ?

— Qué cé qué lui voulez ?

— Un tuyau. Ça fait la chaîne, comprends-tu ? Tu me dis où il est, je lui demande des nouvelles de quelqu'un d'autre, et ainsi de suite. Le bouche à oreille, c'est la clé de tout succès.

Bandalez exhale une plainte, puis, très vite, alors que je ne m'y attends pas :

— Lé s'appelle Sordini, chez la Madame Scott, 8 boulévard Ducrest-Puscule.

Je plante mes prunelles dans les siennes. Il dit juste, je le comprends… La vérité, ça saute aux yeux.

— Banco, mon grand, je te crois. On va donc te laisser comme promis. Mais avant de filer, je vais te donner un conseil : cassez-vous, la Marthe et toi, le plus loin possible de chez la mère Tatzi, parce que je pressens qu'il va y avoir une sacrée bacchanale dans son secteur et vous risquez fort de morfler des retombées fâcheuses, la môme et toi. Tu m'as compris tu m'as ?

Il bat des cils.

Oui, je suis persuadé qu'il m'a compris.

FIFTH

Comme la lourde porte de l'immeuble est fermée et qu'il n'est pas encore l'heure légale pour les visites domiciliaires officielles, j'en appelle à mon sésame afin de pénétrer dans la crèche. Elle est rupinos. Huit étages en pierre de taille. Chacun étant haut de quatre mètres et comportant d'immenses fenêtres.

A l'intérieur, c'est du marbre rose, et puis des colonnes de même métal, et des carreaux biseautés à la loge de la pipelette qui, dans les quartiers heurffs s'appelle une gardienne, pas mélanger les serviettes et les pattemouilles.

Un tableau des locataires est fixé près de la loge. Je lis que Mme Amélia Scott habite au premier gauche. Ce blaze me dit quelque chose. C'était pas une actrice de cinoche, ça, jadis ? Me semble avoir vu, à la télé, des films en noir et blanc avec ce nom au générique.

On grimpe l'escadrin que feutre un tapis rouge. Il n'y a que deux appartements par étage. Les initiales des locataires figurent sur les paillassons, comme il est de règle dans ces lieux bourgeois. Celui de gauche est marqué A.S.