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— Arrêtez votre beuglante, sinon je continue l'autodafé ! tonne-je.

Ça la calme.

— On y passera la journée, et puis la nuit, et encore demain s'il le faut, la mère, mais vous allez cracher tout ce que vous savez ! Tout ! Tout ! TOUT ! A chaque hésitation, c'est une liasse qui flambe. Un mensonge et on en fait cramer dix. D'accord ? Quand vous vous serez totalement mise à table, alors on vous abandonnera avec votre fraîche et votre macchabe et vous vous réorganiserez comme bon vous semblera. Si vous essayez de donner l'alarme aux gars que vous aurez mouillés, ça vous retombera sur le nez et vous aurez droit à leurs représailles ainsi qu'aux miennes. Ça m'ennuierait de perturber votre troisième âge à ce point. Vu ? On commence !

— Minute, intervient le Mastar. Je descends chercher la moindre des choses en cuisine, y commence à faire faim dans ce bordel sans culs !

2

LE JAUNE DE L'ŒUF

SIXTH

Bien que tu sois un grammairien modeste, tu n'es pas sans savoir que le verbe « bidouiller » appartient au premier groupe, tout comme les verbes aimer et sodomiser, ce qui rend sa conjugaison aisée.

J'en suis à son passé composé au moment où je te reprends mon prodigieux récit.

— J'ai bidouillé, me dis-je à brûle-pourpoint dans mon rétroviseur. Tu as bidouillé, ajouté-je à l'intention de Béru, lequel dort à mon côté en un tas malodorant. Il a bidouillé, conviens-je, à son propos, renforçant par là sa responsabilité. Nous avons bidouillé, rectifié-je quelque peu en un pluriel englobeur. Comme il ne m'est pas possible de nous contempler l'un et l'autre, je cesse de décliner les deux dernières strophes, ce qui est dommage, surtout pour le « vous avez bidouillé », car j'adore les vers de six pieds de long.

Reste à te préciser le sens de « bidouiller ». Il signifie approximativement « merdoyer ».

Opérant, selon ma célèbre habitude, un bref récapitulatif des chapitres précédents, la cruauté de mon résumé m'apparaît dans toute son horreur. Qu'avons-nous fait, nous que voilà, bandant sans fesses ? On s'est joué une sorte de Boléro de Ravel. Interrogeant des gens sauvagement tout en leur promettant l'impunité, ce qui n'est pas très compatible avec notre glorieuse profession de poulardins. On a juré aux uns et aux autres que s'ils s'affalaient, ils auraient droit à ma considération, à la retraite anticipée, à l'indulgence plénière de la Justice et autres fariboles. En réalité, il y a eu un mort et pas mal d'éclopés et je suis sans bagnole provisoirement, obligé de rouler dans une Estafette à la con de la Rousse. Est-ce ta fête ? Sûrement pas pour moi qui raffole des tires puissantes aux reprises qui vous collent contre le dossier de votre siège.

On vient de s'accomplir un morne boulot de basse police. Cognant, houspillant, menaçant, brisant gens et choses.

En une sarabande de cons, je revois mes tristes personnages : Amadeus, Raphaël Sein, Emilio Bandalez, la môme Marthe, Amédée Sordini, Amélia Scott, et surtout la mère Tatzi et ses chers dollars, si tuméfiée qu'elle faisait peine à regarder, cette maquerelle de haut lignage, aristocrate de la prostitution. Empaffée à la retraite qui, vaincue par l'âge et ne pouvant continuer de faire « boutique son cul », exploite le cul des autres…

Une seule image gracieuse dans cette cohorte de cloportes : Diana Van Trilöck, si belle, si rayonnante, aux lignes pures, à la peau veloutée, à la chatte gourmande ; Diana que je devine époustouflante en amour, partenaire surchoix pour contes de fées érotiques. Diana à laquelle je songe, au creux de ma fatigue et que j'aimerais emmener dans une chambre douce aux rideaux tirés afin de m'en faire : un oreiller, un édredon, un matelas, une amante (dans le désordre).

Je pile à un feu rouge, provisoirement vert, pour éviter d'emplâtrer une vieille baderne furibarde qui me traite de voyou et me brandit sa canne devant le pare-brise. Je lui envoie un baiser. La baderne égosille des mots qui ne me parviennent pas. Puis, comme dix-huit voitures se sont déjà agglutinées derrière la mienne, klaxonnant à outrance, le kroum à canne se décide à rallier le trottoir, évité in extremis par un motard qui le traite de vieil enculé, et comme je le comprends !

Petits, menus, infimes incidents de la vie quotidienne, mais qu'au fil du temps, vous érodent. On est sans cesse en butte. On reçoit des éclaboussures. On en projette soi-même. Nous ne sommes qu'une effroyable grouillance de dégueulasses en perdition, qui crèvent et se renouvellent si bien que personne ne s'aperçoit de rien ; bravo et merci d'être venu !

Ne te formalise pas de cet accès de pessimisme : chaque fois que je suis mort de fatigue, je prends conscience de l'existence, d'à quel point elle est merdique et, à la limite, un peu superflue. Mais quoi, bon : faut s'en accommoder, non ?

Deux choses simultanément mobilisent soudain mon attention. À ma droite, s'élève un hôtel et, par miracle, il y a une place de stationnement disponible presque devant. Je me range donc. Et j'administre une bourrade à Messire. Le dormeur Duval (son apéritif préféré) s'arrache à ses langueurs beaujolaises et regarde l'arrière d'un camion sur lequel est peinte une énorme tête de cochon.

— Qu'qu'c'est-t-il t'y ? groumeule l'Hellequin.

— Non, tu n'es pas devant une glace, mais derrière un camion de chez Olida, ton couturier préféré, Alexandre-Benoît.

Je lui désigne l'hôtel.

— Viens, je t'offre quelques heures d'extase.

Le Digne ouvre sa bouche grand comme la porte d'un hangar à Boeinge 747, ce qui permet une vue dantesque sur sa langue de vache, ses gencives violettes et ses chicots noirs.

— Qu'est-ce y débloque, çu-là ! murmure l'informe, se parlant à soi-même, ce qui est le cas des simples lorsqu'ils sont aux prises avec un dilemme. Espose-moi ton problo, mec, t'as les mœurs qui capotent ou quoi ?

— Simplement, j'ai sommeil, et toi tu dors. Avant de s'occuper des Jaunes, on a besoin de récupérer. Il est huit plombes du mat'. On va en écraser jusqu'à quatorze heures et alors nous serons conditionnés pour affronter nos samouraïs. Je sens que le style va changer. La discute, les baffes dans le museau, ça marche avec les ploucs d'Europe. Chez les kamikazes, faut trouver son second souffle et s'inspirer de méthodes plus sophistiquées que le coup de pompe dans le prose.

On éberlue un peu la taulière en lui demandant deux piaules à cette heure de la matinée. Je lui montre ma brème pour la rassurer, lui explique qu'on a besoin de six plombes de ronflette et qu'elle sera gentille de nous réveiller à l'heure dite. Elle se détend et nous délivre le 502 et 306. C'est Mauricette, une petite brunette délurée, avec un charmant tablier rose sur sa blouse verte qui nous pilote. On convoie tout d'abord Bérurier, puis elle m'escorte au 502.

— Je vais donner un petit coup d'aspirateur dans votre chambre, elle propose. Elle n'a pas été faite.

— D'accord, mon petit loup.

Elle fonce chercher son Tornado rotatif à injection directe. L'engin fait un boucan pire qu'aux Vingt-quatre Heures du Mans.

— Parfait, lui dis-je, laissez-le ronfler et venez me border, j'ai davantage besoin qu'on m'aspire le glandulaire que la poussière.

Elle me répond que je suis un petit coquin.

Je ne la contrarie pas sur ce point et la bascule sur le pucier. Heureusement que l'aspirateur monthléryse à tout va, car ce putain de sommier lance des plaintes forcenées, le gueux !

Moi, tu me connais, j'appartiens à la section d'élite des voluptueux, pourtant j'admets qu'en cas d'urgence, la troussée soudarde a du bon. La mignonne tringlette au travers du plumard, c'est réjouissant, quasi joyeux. Ça fait bien augurer de l'humanité. On comprend, quand on calce ainsi une frangine pas bêcheuse, à la bonne franquette, qu'on est tous frères après tout. Frères et sœurs. Cousins, cousines. Amis, amies. Le pied simple et tranquille, sans flafla ni circonlocutions. Le panard à l'amiable, primesautier. Bonjour, bonsoir ; après les blablutions on n'y pense plus. De temps en temps, ça dégage les voies respiratoires et autres.