Mauricette (c'est bien Mauricette que je l'ai baptisée ?) encaisse sa dose pafière. Le mutin coït inattendu, au débotté si j'ose dire. Ensuite, elle me demande poliment la permission d'user de ma salle de bains pour se faire le Sacre du Printemps rapidos.
Elle est bien élevée, moi je trouve.
Je reviendrai.
Mon sixième sens, à moins qu'il ne s'agisse du sept ou huitième, je me gaffe pas à la numérotation, me soustrait aux vapes avant que le biniou grelingue.
Ma tocante m'annonce treize heures quarante-huit. Encore douze minutes de campo.
Je me passe un coup de pierre à fusil sur la pensarde. Toujours attaquer avec l'esprit bien aiguisé.
Les aveux de la mère Tatzi me reviennent dans l'encéphale. L'historiette, je t'en fais un sandwich pain de mie-beurre : elle a eu comme pensionnaire une mignonne Japonouille extra-délicate dont tous ses clilles raffolaient. C'est cette môme qui, un soir, de sa voix fluette, lui a proposé de servir de boîte aux lettres à des « amis de Tokyo ». Rien à craindre. Elle serait grassement payée. En dollars, a exigé mémère. Banco ! La bonne affure ! Les gens munis du mot de passe (C.J.P.D.)[4] se voyaient proposer la chambre Myosotis. Ils accrochaient leurs fringues dans un placard mural communiquant avec la pièce contiguë. Pendant qu'ils tiraient leur crampette jolie (ou qu'ils faisaient semblant) la mère Tatzi explorait leurs poches et y récupérait une enveloppe qui, chaque fois était marquée d'un rond rouge (détail que Sein Raphaël a omis de me donner). Elle remettait les vêtements en place et conservait l'enveloppe dans son coffiot jusqu'à ce qu'un Jap vienne la chercher au bar ou au restaurant. Comment prévenait elle ?
Tout bêtement, en accrochant le fanion de la « Chaîne des Cent Grandes Gueules » au cuisinier de carton en faction devant son restau. Le soir même, des messieurs couleur safran venaient claper ou boire chez elle. Ils lui demandaient si M. Meyer était passé et elle leur remettait l'enveloppe en échange d'une autre, bourrée de dollars. Après l'arrestation de Raphaël Sein, deux Japs sont venus la trouver, ils lui ont refilé un sacré paxif de talbins en lui recommandant de mettre le compteur à zéro. Elle devait expédier ses demoiselles en vacances et remplacer le placard truqué par un vrai. La vieille, du moment qu'elle affurait un monceau de blé, elle était partante. Elle carbure qu'à l'artiche, la Tatzi. Elle a accepté le marché et s'est drapée dans les prudences extrêmes.
Je lui ai demandé si d'autres gonziers que Raphaël Sein venaient user de sa boîte aux lettres ; elle m'a assuré qu'il y en avait d'autres, mais pas des habitués, eux. Des cas ponctuels. Ils lâchaient le mot de passe, montaient en faire une, disparaissaient après s'être laissé secouer leur enveloppe.
En est-il venu d'autres depuis qu'elle a mis ses filles en disponibilité ? Non, non : personne.
Bon, et alors, les deux malfrats qui ont incendié ma Maserati, ils débarquaient de la planète Mars ?
La baronne du Bidet m'a avoué qu'après le coup de turlu de Marthe, elle a pris peur et a voulu parer à la tempête qu'elle sentait venir sur son échelle de Beaufort. Elle a turluté à un truand de ses relations avec lequel elle était maquée jadis et qui lui a dépêché deux chevaliers de l'Apocalypse pour la protéger. Cela s'appelle, dans le mitan, « assistance à personne en danger »… Les deux terribles ont employé les grands moyens, comme j'ai pu le constater. Après s'être fait tirer l'oreille, mamie m'a refilé le blaze de son vieux protecteur, que je me promets de « visiter », quand cette histoire nipponne sera réglée.
Ma breloque annonce moins trois de quatorze heures. Je bâille. Ce somme m'a colmaté les brèches et redonné ma fraîcheur de jeune fille. Paré pour l'action, l'Antonio. D'éclat, de préférence.
Puisque je n'ai pas grand-chose de caché pour toi, l'artiste, je peux t'avouer que mes dispositions sont les suivantes : j'ai placé une équipe à moi en planque chez la Tatzi. Et puis la vieille poupée a accroché son fanion-signal au cuistot-enseigne. J'ai sur moi un bib-bip d'appel et, s'il y a du nouveau, mes boy-scouts m'alerteront. Mais je n'espère pas beaucoup en la manœuvre. Tu m'ôteras pas de l'idée que les Japs sont bien trop marles pour piquer une tronche dans cette béchamelle. Alors je vais essayer autre chose, mon fils… Sein Raphaël prétend qu'il travaillait pour le K.K. Boû Din. Il s'agit d'une association de terroristes japonais, spécialisée dans le vol de documents. Ces mecs supérieurement organisés piquent dans tous les pays occidentaux ce qui présente un intérêt militaire ou scientifique universel et le revendant aux plus offrants (parfois même à leur propre victime). L'argent résultant de cette gigantesque piraterie est mis à la disposition des groupes d'intervention ayant pour mission d'assassiner et de bombiner a tout va sur notre pauvre planète.
Toc toc !
— Oui ?
— C'est Mauricette, il est l'heure…
Je me délite d'un sursaut de trampoleur pour courir lui ouvrir, car, malgré mes cogitations professionnelles, j'ai le réveil triomphant, et l'idée de lui faire rebelote me séduit. Elle s'y attend car elle est toute pimpante, en civil, dans un costume de velours beige un peu trop masculin pour entretenir ma flamme. Dans les questions de désir physique, faut rien toucher à ce qui a déjà porté ses fruits, sinon une désilluse charnelle s'opère et t'as le goumi qui t'interprète Poupée de cire poupée de son sans préalable.
— J'ai dit à ma patronne que vous préfériez être réveillé comme ça plutôt que par le téléphone, déclare la friponne. Mon service est terminé, mais je…
Elle ferme soigneusement la porte au verrou et me refoule jusqu'au plumard. Moi, tu m'excuseras, fillette ; mais pour lors, je reviens à mes préoccupations.
Le K.K. Boû Din…
Mes potes des S.R. sont mal informés à son sujet, mais ils pensent toutefois, selon certains indics plus ou moins dignes de crédit, que la section française aurait des accointances avec un restaurant japonais de Passy le Yaton Ton Kébon. Ce tuyau sous toutes réserves. Ils tiennent le propriétaire de l'établissement à l'œil, mais jusqu'ici l'observation n'a rien donné. On m'a refilé les coordonnées du bonhomme, un certain Yamaha Késouton Ku, demeurant 18 rue Gaston-Debois, à Denfert.
— Ou a é air en sé a o ose ! remarque Mauricette, la bouche pleine.
Je réfléchis pour apporter à sa phrase le complément qui va la rendre compréhensible. M'aidant de l'intonation, je la traduis par « Vous avez l'air de penser à autre chose ». Ce qui est juste, ma foi, et je lui en demande humblement pardon. Mon indifférence n'est guère polie et la jeune ancillaire pourrait espérer d'autres marques de reconnaissance. Ce n'est pourtant pas faute qu'elle s'active, comme disent les grand-mères. C'est une excellente chipolateuse, Mauricette. Technique solide, cœur à l'ouvrage, salivaires en ordre de marche, on ne peut rien lui reprocher. Je lui accorde dès lors l'attention qu'elle mérite, ce qui l'empêche de proférer la moindre syllabe.
Pour me parler, elle doit surseoir un instant à ses délicatesses.
— Je continue ? elle me demande poliment.
Mais son expression me laisse augurer qu'elle préférerait un engagement plus complet de sa personne.