Mais en gracieux. En presque joli pour qui aime un peu l'exotisme. Elle est davantage « blanc foncé » que « jaune clair ». Ses cheveux coiffés pour la nuit en une épaisse natte sombre descendent jusqu'à son coude. Elle porte un jean et un blouson de cuir par-dessus. Comme ce dernier vêtement n'est pas fermeturéclairisé, elle en tient les pointes du col serrées pour cacher sa poitrine ; mais il est superflu qu'elle s'escrime car c'était pas jour d'abats quand son papa l'a conçue. A mon avis très humble, elle doit avoir les amygdales plus développées que les glandes mammaires.
Bien que ses yeux ne fussent pas apparents, elle nous regarde. En cherchant bien, on croit apercevoir deux notes de musique à l'horizontale sous ses paupières bombées.
Mathias a refermé la porte derrière soi et y reste adossé. Ouf ! Visiblement, le logement est minuscule. Deux pièces en enculade, de chacune trois mètres sur deux, un coin kitchenette, un autre coin salle d'eau, l'un comme l'autre isolés par un rideau de soie.
J'avance chez la dame comme un soldat dans un terrain qu'il sait miné. Quel culot, tout de même, ce San(gêne) - Antonio ! Au pif, il déboule. Pleine nuit ! Heure légale ? Fume ! Mandat de perquise ? Suce ! Le fait du prince ! A sa bonne volonté, les gars. J'ai des potes de la police ; tiens, je te prends à Genève, mon collègue Vaudroz (Marcel) qui m'intervieille. Y m'dit : «— Dans tes enquêtes, tu ne t'embarrasses jamais des procédures administratives, toi ! » «— Pas le temps, je lui rétorque. Moi j'aime que ça galope. Les mandats d'amener, les commissions rogatoires, j'en fais cadeau à mes chosefrères. J'ai besoin de rythme, de liberté. Si, pour pénétrer chez une greluse je dois poireauter sur le paillasson d'un juge, à attendre qu'il ait fini de limer Bobonne pour me faire délivrer un faf officiel, j'aime mieux me reconvertir, devenir écailler en Afrique noire ou cacheteur d'enveloppes dans une officine spécialisée dans les lettres anonymes. »
Mais trêve… Je t'en reviens à cette Japonaise qu'on lui débarque dans les espaces vitaux, tout à trac. Juste sur une idée, une impression, une gambergerie… Elle est fataliste, hyper-asiatique comme voilà, tu penses bien. Alors elle attend sans renoucher ni renauder. L'air de dire : « Bon, vous êtes là, alors expliquez-vous ! »
Et moi, soudain, c'est tout expliqué. Gagné, l'Antoine joli ! Bravo ! Plein dans le mille ! Tu sais quoi ? Un bout de quelque chose, sur le plancher, contre le pied de la table. Ça mesure deux centimètres de long, c'est plat, c'est jaune avec un bout noirâtre. Ce brimborion, ce moins que rien un tantisoit dégueulasse, un seul homme au monde sait le faire ; et cet homme unique se nomme César Pinaud. Il s'agit de son clope légendaire, de son mégot sur papier maïs, creux, débectant à outrance. Pas d'erreur. Et moi, l'Antoine vigilant, je le retapisse d'entrée de jeu !
Me baisse, le recueille, le brandis.
— Où est-il ? demandé-je.
La dame, qui n'est plus toute jaunette, demeure aussi imperturbable qu'un plat d'offrande.
— Je vous demande où est le monsieur qui fumait cette cigarette.
Bouche cousue. La grande muette. Et alors, si je suis vraiment le fin psychologue qu'annonçait Nostradamus dans ses Centuries, je puis t'assurer qu'on peut la découper en fines rondelles, façon concombre en salade, elle mouftera pas. Tisonnier rougi dans le bigfigue, passage à la gégène, gag de la baignoire gestapiste, elle est indécrochetabie de la menteuse, la Mikadette. T'obtiendrais plus rapidement les confidences d'une limande à l'étal.
— Passe-lui les cadennes, Mathias ! On va se l'embarquer vite fait bien fait.
Le Rouquemoute s'exécute. J'entreprends alors de fouiller l'apparte. Je n'y trouve rien de très intéressant, sinon des seringues et des produits pharmaceutiques dont les étiquettes sont imprimées en japonouille et en anglais.
— File ce blaud dans une boîte, tu l'examineras pendant tes récréations, le grand !
Et pour lors, je dégage par un escadrin en coolie de maçon qui relie le petit logement à l'appartement.
En bas, c'est beaucoup plus juteux. Assez vite, je déniche, dans le bloc servant de base à différents instruments d'esthétique, plusieurs talkies-walkies, des explosifs, des instruments de serrurerie, des armes, de la drogue, tout un bordel pour terroristes chevronnés.
— Mathias, hélé-je, tu veux bien descendre avec Mme Fleur de Mouscaille ?
Mon pote et sa prisonnière me rejoignent.
Je désigne le butin étalé sur le carrelage du salon.
— C'est un lot, c'est une affaire ! dis-je.
Mathias en est émerveillé.
— Vous êtes un homme inouï, commissaire.
— Je sais, fils, mais que ça reste entre nous !
La Jaune menottée paraît ne pas voir la camelote déballée. A quoi joue-t-elle ? Elle frotte sa joue contre une sorte de tube en caoutchouc qui, tombant du plafond, disparaît dans un appareil chromé ressemblant plus ou moins à un lavabo.
— Que faites-vous ? lui aboie-je.
Qu'en guise de réponse, cette fille de taureau, la voilà qui saisit le tube avec ses dents et qui s'élance (d'arrosage).
Elle fait un pas, puis deux, le tube cède, ou plus justement, c'est la plaque Isorel fixée au plafond et à laquelle le tube est relié qui lâche. Il se produit un vlouff de pneu brutalement crevé.
La fulgurance de Sana, personne pourra jamais rivaliser. Je n'ai fait qu'un bond jusqu'à la lourde du magasin, raflant une chaise au passage que je propulse dans la vitre.
Tout piger avant que les faits ne se produisent, là est le secret troublant de San-Antonio dont on ne dira jamais assez qu'il est le surdoué le plus impressionnant de cette seconde moitié du millénaire. La vitesse de ma compréhension bat celle de la lumière dix mille kilomètres seconde, montre en main ; c'est peu, mais c'est gigantesque comparé à celle d'un cantonnier de la Corrèze, d'un roi des Belges ou d'un bouvier des Flandres dont les Q.I. sont réputés similaires.
Te décomposer ma pensée ? Impossible. Le temps de me dire « Pourquoi attrape-t-elle ce tube avec la bouche ? » que je me réponds : « Parce qu'elle n'a pas la possibilité de le faire avec les mains » ; le temps d'enchaîner par « Pourquoi tire-t-elle dessus ? » que je réalise « C'est pour déclencher quelque chose ! ». Et ensuite, à folle allure, de songer : « Tube égale gaz, gaz égale mort ou anesthésie ; anti-gaz égale air frais. Donc, état d'urgence ! Pour cela : cesser de respirer, briser la vitre (n'ayant pas le temps d'ouvrir la porte avant les effets pernicieux) ». Chiément déduit, non ? Qu'est-ce que tu dis ? Bravo ! Merci. J'accepte. Et respire, la tronche à l'extérieur. Et me mets à déverrouiller la lourde du magasin… Ça y est ! Maintenant évacuation ! Quelques pas dans la rue du Général-Mormele. La brise nocturne ? Un délice. J'ai eu beau me gaffer, les yeux me piquent, les bronches, les poumons… Merde ! Mathias !
Courageux Sana ! L'altruisme de Schubert avant tout !
Alors, la vieille garde entra dans la fournaise. Hugo ! Mon mouchoir sur ma face ! Goulée d'oxygène parisien, y a mieux dans les Highlands, mais c'est plus loin ! Vas-y, l'Antoine !
Le rouquin dans les fumées nocives. Je l'attrape par n'importe quoi. Dieu soit loué, c'est pas sa bitoune de géniteur exacerbé, mais le revers de son imper. L'arrache des liens sournois de l'inertie, le hale… Tout halait bien, merci ! Dehors, l'aminche. Voici. Il est out, asphyxié de fond en comble. Mort ? J'espère que non. Sa mégère, sinon ! Ce ramdam ! Tu la connais, la pondeuse des quatorze chiares ? L'acariâtrie faite femme ! Femme moche ! Je l'emmène plus loin sur le trottoir, loin des funestes effluves. Son cœur bat. Mais il a des spasmes, des rauqueries affreuses, ça lui caverne dans le transfo. Il fait des bruits de pompe déamorcée, grinçants, inefficaces. Arrrhhhhui heu ! Arrrhhhhui heu ! Un peu comme ça, tu vois ? Ça déconne dans sa chambre des machines.