Выбрать главу

Un gazier en pyjam et sa canadienne enfilée pardessus rabat de l'immeuble, suivi d'un loulou de paumé radis et ensuite d'une dame vachasse en chemise de nuit, varices de jour, robe de chanvre, bonnet de tulle, et qui sent le suinté, le pet nocturne, le graillon refroidi, la ménopause mal vaincue.

— Mais quoi, mais qu'est-ce ? crie le cher homme de tout à l'heure. Je savais bien qu'il allait se passer des choses.

Il se penche sur Mathias.

— Mort ?

— Non.

— Alors foutu, diagnostique l'aimable locataire. Et la femme ? ajoute-t-il.

— Je vais la chercher ! Allez demander du secours : ambulance avec appareils de réanimation, vite !

Sublime d'abnégation, l'illustre Sana retourne dans le magasin. A la Japonaise maintenant ! Ce con de chien me suit ; pas par héroïsme, mais pour mordre mes talons ; probable que je finis par l'agacer. Pour m'en débarrasser, je le shoote d'un coup de botte platiniesque. Il valdingue à l'autre bout du local et y reste, nazé, gazé, out !

Je chope la chaînette des menottes, ce qui est bien pratique pour promener une Japonaise évanouie. Mais quand je l'abandonne sur le trottoir, la dame, force m'est de me rendre à Lévidance (Meurthe-et-Moselle) : morte !

Encore un kamikazé, v'là l'vitrier qui passe !

— Vous n'avez pas vu Alonzo ? me demande la femme du général Mormele ; c'est notre chien ; il était là il y a un instant.

— Il va revenir, assuré-je.

Et, comme je suis trop épris de vérité pour rester sur un mensonge, je me hâte d'ajouter :

— Il ne peut pas être loin !

NINTH

Sur le coup de deux plombes, je me retrouve dans la cour de la Grande Casba, garant mon Estafette d'emprunt entre un car grillagé et une Renault 5 gonflée à bloc.

Désabusé, il est, Tonio, malgré son succès relatif. Mes troupes sont décimées : Pinaud kidnappé par le K.K. Boû Din, Mathias à l'hosto avec des poumons racornis comme des semelles d'un marathonien mexicain, Bérurier ministre… Me voici donc seul face à toi, mon vieux lecteur, une fois de plus. Inébranlable (mais ta femme peut toujours essayer) dans la tourmente.

Bon, j'ai découvert l'un des points de chute de la terrible organisation jap. Et alors ? Et après ?

Des lumières moroses brillent derrière les vitres douteuses du Palais Parapluie. Je pénètre dans l'édifice qui, à cette heure, est aussi folichon qu'une épidémie de peste bubonique. Deux plantons discutent avec des voix de naufragés jouant à pile ou face lequel bouffera l'autre. Un thermos de caoua est la seule note de folle gaieté dans cet univers administratif.

Ils me saluent avec désinvolture. Le respect des hiérarchies se perd.

— On ne vous voit pas souvent par ici, commissaire ! lance le plus jeune.

— L'endroit me rend trop euphorique, je crains toujours d'être blessé par un éclat de rire…

Et je plonge dans ces putains de couloirs qui me donnent l'impression de conduire à quelque chambre à gaz.

Je me dirige à pas mous vers le bureau où j'ai drivé Yamaha Késouton Ku. Qu'est-ce que ma vigoureuse consœur a fait de ce Jaune, pendant le temps de mon équipée ? Une mayonnaise ? Elle a bien dû me laisser un brouillon de projet d'embryon de rapport, je suppose ?

Je pousse la lourde et, ô stuprise ! Ô stupeur ! je les découvre là, tous les deux dans la position où je les ai laissés naguère. Simplement, ils paraissent — le gars surtout — un peu crevés.

Thérésa m'interroge du regard.

Je lui réponds par une moue évasive, lourde de mon désenchantement.

— Ça avance en diagonale, soupiré-je, mais ça avance… Et vous deux ?

— On a beaucoup parlé chiffons, dit la môme. J'ai pris des notes, vous voulez les parcourir ?

— Volontiers.

Elle se lève, me désigne son siège.

— Si j'allais chercher du café pendant ce temps ?

— C'est cela, oui : une bonbonne de café, une citerne de café, ma jolie !

La voilà partie. Le Jap dodeline sur son siège.

— La nuit est longue, hé ? je lui lance.

— Elle finira, me répond-il.

Et moi je trouve la réplique très jolie, en vérité. Les Japonais, bon, faut les connaître. Les cons racistes (pléonasme, car il faut être archi, super, hypercon pour être raciste) daubent sur tout ce qui vient d'ailleurs, ça commence par les teintés, ça continue par les trépanés du gland, ça se finit par les voisins de palier qui n'habitent pas le même apparte que vous, ces gueux infâmes ! Ben, s'ils se donnaient la peine d'écouter… La peine de regarder les autres…

Je parcours les notes admirables de concision.

La grand-mère de M. Yamaha Késouton Ku était française. Elle avait épousé le grand-père lors d'un séjour au Japon en qualité de fille de haut fonctionnaire. Ce que fut sa vie là-bas avec son Jap monté comme un colibri et bourré de traditions ancestrales, alors là, à la tienne, Etienne ! Par réaction elle francisa son petit-fils à outrance, lui vantant les charmes de la douce France en général, ceux de Paris en particulier. Elle l'initia à la cuisine de chez nous et il se lança très tôt dans la restauration. Il fit l'école hôtelière de Kikachiéla, la plus réputée du Japon ; où les maîtres queux français, tels que Guy Savoy, Bocuse, Jacques Borel s'en furent étudier la non-cuisson du poisson. Mais il n'avait qu'une idée en tête : venir s'établir à Paris. C'est ce qu'il fit lorsqu'il eut obtenu de sa famille les moyens financiers nécessaires.

Il ouvrit un premier restaurant dans le Quartier latin, lequel connut un grand succès. Alors, il lança le fameux Yaton Ton Kébon, à l'ambiance et aux prix luxueux. C'est au faîte de la réussite que le K.K. Boû Din se manifesta et commença de racketter Yamaha Késouton Ku. Au début, il se fit tirer l'oreille. Un début d'incendie le mit vite à la raison. Il dut, pour assurer sa sécurité et celle des siens, se plier aux exigences de la terrible organisation. En son nom, il acheta la maison de la rue Gaston-Debois et y fit aménager trois cercueils frigorifiques selon les indications qui lui furent fournies. Il ignore tout de l'usage qu'en fait le K.K. Boû Din ; on lui expliqua simplement qu'il arrivait à certains de ses membres entrés clandestinement en France d'y décéder. Le rapatriement de leurs dépouilles étant malaisé, il convenait de pouvoir conserver celles-ci pendant un laps de temps indéfini. C'est à cela que servait la maison vide de Denfert-Rochereau.

Yamaha ne connaît pas les deux femmes mortes dont je lui ai remis les photos, par contre il a tout de suite reconnu son installation funéraire. Il nous supplie de ne pas ébruiter la chose, sinon le K.K. Boû Din s'en prendra aux siens, à lui, à son affaire et ce sera la mort et la ruine qui s'abattront sur les Késouton Ku. Leur sort est entre nos mains. Point provisoirement final.

Je repose les feuillets. Elle a une jolie écriture, Thérésa. Rapide, lisible et élégante.

Mon terlocuteur est tassé sur sa chaise, les mains croisées sur son ventre. Je l'examine, cherchant ce qui peut subsister de la grand-mère française dans cet individu. Un quelque chose d'anxieux. Voilà : il a hérité un peu de la rate au court-bouillon de chez nous. Juste ça : ce sens de la chiasse, cette crainte informulée qui nous rend soucieux, nous autres, gens de l'hexagone. On subodore toujours des foirades latentes, on rentre la tête dans les épaules, sachant pertinemment qu'une explosion se produira fa-ta-le-ment à un moment ou à un autre.

— Il marche bien, votre restaurant, n'est-ce pas ?

— Très bien.

— Votre famille se compose de combien de membres ? J'entends celle de Paris.