C’était de la Humbrol 77. Je m’en souviens. Une colle pour modèles réduits. Je vois encore le tube jaune et argenté. Elle en prélevait une petite quantité qu’elle étalait à l’intérieur d’une boîte d’allumettes puis plaçait le tout au fond du sac en plastique.
Tour à tour, nous plongions la tête et inhalions les vapeurs.
Elle disait que le flash était aussi intense qu’avec du LSD, même si l’effet restait de courte durée.
Qu’est-ce qu’elle en savait ?
Le LSD, c’était autre chose. Le LSD, c’était l’entrée vers le paradis et la sortie en enfer.
Les couleurs étaient plus vives, le ciel plus bleu, l’air plus pur, la vie plus simple. Je venais ici de temps en temps.
Quand Sylvia revenait sur terre, elle plongeait ses yeux dans les miens et me demandait de la caresser. Elle était un peu folle, mais je l’aimais bien. C’était avant que les hommes ne me volent quarante ans de ma vie.
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Aucune question
La clinique Derscheid avait été rebaptisée clinique de la Forêt de Soignes en 2009, mais la plupart des gens continuaient à utiliser son ancien nom. L’équipe nouvellement en place avait abandonné les installations du pavillon Laennec, jugées trop vétustes, pour moderniser le pavillon Vésale et y concentrer l’ensemble des activités.
La clinique était organisée en quatre unités. L’unité principale, le service de psychiatrie générale, accueillait les patients atteints de troubles anxieux, dépressifs ou bipolaires. Les personnes âgées qui présentaient des troubles du comportement étaient regroupées dans le service de psychogériatrie. Le troisième département prenait en charge les personnes souffrant de désordres psychiques liés à une consommation chronique d’alcool ou de drogues.
La quatrième unité, appelée service de réadaptation de patients présentant des troubles cognitifs, était la plus petite des sections et comptait douze lits. C’est au sein de cette dernière que X Midi fut admis le jeudi 8 avril 2010.
Dès le lendemain, le médecin-chef tint une réunion avec l’ensemble du staff en vue d’établir le projet thérapeutique du nouvel arrivant. La première résolution qu’ils prirent fut de faire une analyse minutieuse du dossier et de procéder à un bilan global afin de diagnostiquer d’éventuels problèmes psychopathologiques.
Ensuite, ils verraient si une adaptation du traitement actuel devait être envisagée. En attendant les conclusions de cet examen, ils poursuivraient l’administration de Baclofen, un antispastique destiné à éviter que les muscles ne se rigidifient, et y adjoindraient de l’Asaflow à petites doses pour assurer la circulation sanguine. Les injections sous-cutanées de Fraxiparine, un anticoagulant, seraient maintenues.
La suite de la réunion fut consacrée à préciser le rôle de chacun. Au total, six acteurs ou groupe d’acteurs seraient affectés au cas de X Midi.
En premier lieu, ils validèrent la tâche de l’équipe médicale. Composée d’un psychiatre, d’un médecin généraliste et d’un médecin interniste, sa mission serait de gérer le schéma de réadaptation de X Midi.
L’équipe soignante, constituée des infirmiers, des aides-soignants et d’un éducateur, serait chargée de prodiguer les soins de base vingt-quatre heures sur vingt-quatre tout en assurant un rôle de liaison et de transmission entre les différents intervenants du processus. L’ergothérapeute accompagnerait X Midi et lui proposerait des activités spécifiques en lien avec l’évolution de son état. La psychologue mènerait des entretiens réguliers en bonne intelligence avec l’équipe pluridisciplinaire. Considérant la pathologie de X Midi, sa mission se révélerait délicate. L’assistante sociale aurait pour mission d’entreprendre les démarches administratives nécessaires à la régularisation de la situation sociale et de poursuivre les recherches visant à déterminer l’identité du patient.
Enfin, l’équipe de kinésithérapeutes opérerait quotidiennement. Selon les besoins, ils interviendraient de une à trois heures par jour.
Afin d’éviter tout risque de maladies nosocomiales, X Midi serait placé en chambre particulière.
La réunion se termina par une relecture des décisions prises. Il n’y eut aucune question.
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Dans ses bras
S’ils m’ont emmené dans cet endroit, c’est qu’ils ne savent ni qui je suis ni d’où je viens. Le seul indice qu’ils possèdent est l’adresse que j’ai écrite sur la paume de ma main. À part cela, je n’existe plus.
Même si je sors de cette prison, je ne pourrai me la remémorer. Le temps en a déjà effacé les données. Peut-être réapparaîtra-t-elle, comme ces images que je croyais oubliées et qui resurgissent.
J’approchais de mes dix-huit ans. J’avais arrêté mes études et je ne bénéficiais plus de sursis pour ajourner mon service militaire. Je savais que la convocation arriverait en été, autour de mon anniversaire.
Je craignais cette échéance. Je ne voulais pas apprendre à tuer ou obéir aux ordres. Je ne voulais pas arrêter de lire et de jouer de la batterie pendant quinze mois.
Je me réconfortais en me disant qu’il serait temps d’y penser quand le moment arriverait, que je trouverais une solution pour m’y soustraire. Selon les rumeurs, il existait plusieurs moyens pour se faire réformer.
Quelques semaines après la fête de l’école, Jean-Claude est venu me chercher. La neige tombait. Je lisais à la fenêtre en regardant les enfants du quartier se lancer dans une bataille de boules de neige.
Je ne l’ai pas reconnu. Des flocons s’étaient accumulés sur ses cheveux crépus. Lors de la soirée, je n’avais pas remarqué qu’il était mulâtre.
Il voulait que je fasse partie des Drivers. Il m’a assuré qu’il trouverait un arrangement avec le batteur actuel, il n’était pas à niveau et ne progressait plus. Il était surtout préoccupé par le fait que les répétitions se déroulaient dans la cave du fils à papa et qu’il faudrait trouver un autre endroit.
Entre-temps, Marc, le bassiste, avait commencé à suivre des cours dans le but d’améliorer son jeu et Michel avait quitté le groupe. Pour pallier son départ, Jean-Claude avait déniché un guitariste chanteur, Alex, un type plus âgé que nous qui avait déjà joué dans des groupes.
J’ai accepté. Jean-Claude a évincé le batteur et on s’est retrouvés dans la cave de Marc pour notre première répétition. Il habitait à trois cents mètres de chez moi. La veille, j’avais déménagé ma batterie pièce par pièce.
Le sous-sol sentait le moisi et une ampoule faiblarde fournissait le seul éclairage. La cave ne disposait que d’une prise électrique. Des monceaux de câbles dans lesquels on se prenait les pieds parsemaient le sol.
Ce jour-là, j’ai fait la connaissance d’Alex. Il est arrivé avec une heure de retard. Il n’a donné aucune explication et a commencé à accorder sa guitare sans jeter le moindre coup d’œil autour de lui.