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Contrairement à ce qu’ils escomptaient, ils essuyèrent un refus.

La mère de Jim Ruskin connaissait les doutes qu’avait son mari. Elle préférait néanmoins accepter la thèse du suicide plutôt que d’apprendre que son fils s’était rendu coupable de quelque acte inavouable. Elle était encore en plein processus de deuil et ne voulait pas s’infliger de nouveaux tourments. Elle savait que Jim buvait et consommait des drogues, et elle pensait que cela pouvait avoir un rapport avec sa disparition. Elle voulait garder de lui le souvenir d’un garçon tendre, farceur et enjoué.

Les parents de Paul McDonald évoquèrent des problèmes financiers et déclarèrent ne pas être en mesure de financer une enquête dont l’issue était malgré tout incertaine. Margareth, l’ex-épouse de Paul, regretta amèrement la situation, mais était elle-même au chômage et ne pouvait envisager la moindre dépense.

Les Parker n’avaient pas de quoi assumer seuls les frais du détective. Ce dernier n’envisagea pas de négocier la hauteur de ses émoluments, de nombreux clients le sollicitaient et étaient prêts à payer les prix qu’il demandait.

Lorsqu’il eut quitté les lieux, le père de Jim Ruskin émit l’idée de soumettre l’affaire à la presse. Jusqu’à présent, aucun journaliste ne s’était intéressé à cette série de disparitions.

Sa proposition fut retenue.

Ils rédigèrent une lettre relatant les faits et la signèrent conjointement.

La lettre fut envoyée aux principaux quotidiens londoniens, mais ne reçut aucune réponse favorable. Ils se replièrent sur de plus petits titres et sur la presse régionale, mais aucun retour ne leur parvint.

Alors qu’ils s’apprêtaient à abandonner la partie, un journaliste du Belfast Telegraph à qui Dirk McDonald avait fait parvenir le courrier en désespoir de cause prit contact avec eux et leur proposa une rencontre.

Les Ruskin et les Parker se rendirent au domicile des McDonald, à Dublin le 8 septembre 1967, où ils rencontrèrent en fin d’après-midi Michael Stern, le journaliste en question.

Dans un premier temps, ils restèrent quelque peu perplexes suite à la première impression que leur laissa le journaliste. Ce dernier était à l’opposé de George West et de son assurance sereine. Il était chauve et de petite taille. Il avait le regard fuyant, plissait les yeux comme s’il était ébloui par le soleil et remontait sans cesse une grosse paire de lunettes qui glissait le long de son nez.

Ils furent néanmoins réconfortés par sa capacité d’écoute et l’empathie dont il fit preuve.

À l’issue de l’entrevue, le journaliste marqua son intérêt pour l’affaire et leur promit de solliciter le feu vert de son rédacteur en chef pour entamer des investigations sur ces morts suspectes.

Quelques jours plus tard, Stern leur annonça avoir reçu l’accord attendu et demanda de lui faire parvenir tous les éléments en leur possession. Il souhaitait reconstituer le parcours des membres de Pearl Harbor depuis la création du groupe jusque mars 1967. Il se disait optimiste et s’engageait à mettre tout en œuvre pour faire la lumière sur cette ténébreuse affaire.

Le lundi 18 septembre 1967, en début de matinée, Michael Stern prit l’avion à destination de Berlin.

29

Pour mon apparence

J’ai pris le tram en direction du Midi. À cette époque, la gare avait une dimension humaine. Il n’y avait ni ces boutiques criardes ni ces hordes de jeunes menaçants que j’ai vus à mon retour.

Dans le grand hall, j’avais l’impression que tout le monde m’observait comme s’il était écrit sur mon visage que j’étais un déserteur.

J’ai marché jusqu’au quai, tête baissée. Ma main étreignait le billet que j’avais acheté. Je suis monté dans le train et j’ai parcouru les couloirs à la recherche d’une place sans vis-à-vis.

Je consultais sans cesse ma montre. Plus les minutes passaient, plus le sentiment de culpabilité s’accentuait. J’imaginais la consternation des autorités militaires, l’appel à mes parents, le lancement de l’avis de recherche. Le malaise s’est accru lorsque le contrôleur et les douaniers sont entrés dans le compartiment. Ils m’ont dévisagé, ont étudié mes papiers et sont ressortis.

Le temps de l’innocence était révolu. J’étais en situation illégale, je devais être en permanence sur mes gardes.

Je suis arrivé à destination vers midi. Alex m’avait dit que Paris était plus animée que Bruxelles, mais je n’imaginais pas qu’une telle différence puisse exister entre deux métropoles distantes de moins de trois cents kilomètres.

Les rues grouillaient de monde. Les artères étaient encombrées de véhicules qui avançaient au pas, rugissaient et crachaient une épaisse fumée. Les gens marchaient, couraient en tous sens, gesticulaient, tonnaient. La tête me tournait. Je découvrais des bruits, des couleurs et des odeurs inconnues.

Autour de moi, Paris bouillonnait et j’étais seul au monde.

Je me suis engouffré dans le métro. J’étais désorienté. Je me suis trompé de direction et me suis perdu dans le labyrinthe avant de monter dans la bonne rame pour atteindre la station Saint-Michel. J’ai débarqué en milieu d’après-midi chez Popov, le bar situé rue de la Huchette. J’avais l’estomac vide. J’étais prêt à remettre en question la décision que j’avais prise.

Par chance, le couple de vieux Russes dont Alex m’avait parlé était là. Quand je leur ai dit que je venais de sa part, ils m’ont ouvert les bras.

Ils m’ont guidé vers l’arrière-salle. Plusieurs sacs de couchage jonchaient le sol. Un jeune Américain dégingandé était allongé sur l’un d’eux. Il lisait On The Road de Jack Kerouac en fumant une cigarette. Le bouquin était en lambeaux. Il m’a salué comme si mon arrivée était la chose la plus naturelle du monde. Avec un fort accent, il m’a demandé d’où je venais et si j’aimais Bob Dylan. Je ne savais pas de qui il parlait, j’ai répondu que je n’avais encore rien lu de lui. Il a déclaré que j’avais le sens de l’humour et que nous allions bien nous entendre.

Tout le monde l’appelait Candy parce qu’il avait un visage rond comme un bonbon tendre et qu’il souriait tout le temps. Nous avons mangé et sympathisé. Après le repas, il s’est levé d’un bond et m’a annoncé que nous allions retrouver les autres.

Nous sommes allés à pied au square du Vert-Galant, à la pointe de l’île de la Cité. Les autres, c’était une bande de types dans son genre, des jeunes gars qui avaient décidé de rompre avec les normes et de faire la route. Ils venaient d’un peu partout. En plus des Français, il y avait des Anglais et des Américains. Quelques Hollandais aussi. Ils se massaient sur les bancs publics. On aurait dit qu’ils occupaient les lieux et en avaient chassé les promeneurs. Certains étaient allongés sous le saule pleureur, enveloppés dans de larges couvertures. D’autres étaient assis sur le quai et s’adossaient au muret. Les joints passaient d’une main à l’autre. La plupart portaient un surnom. L’un d’eux, Finger, un Américain, s’était fait amputer de la dernière phalange de l’index pour éviter de devoir servir au Vietnam.

Bon nombre me faisaient penser à Alex par leurs discours et leur style. Ils étaient plutôt négligés, semblaient indolents et portaient des cheveux longs. Parmi eux, l’un ou l’autre frisait la trentaine. Un vieux Nantais nommé Cheyenne avait passé les soixante ans. Il avait le visage buriné et les yeux bleu délavé. Il portait une barbe et de longs cheveux blancs séparés par une raie au milieu. Son surnom venait du bandeau coloré qu’il portait autour du front.