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Jimbo m’a demandé de sortir et d’appeler Roman.

Dans le salon, Fuzzi flirtait avec Pascale. Ils étaient en partie allongés dans le divan et se léchaient les lèvres. Il avait passé une main sous son pull et lui caressait les seins. Tous deux avaient le feu aux joues.

Je me suis servi un whisky. Je suis allé faire un tour dans la bibliothèque. Je chancelais dans le couloir. Les perspectives se déformaient. J’avais perdu la notion du temps et des distances.

Quand je suis revenu dans le salon, Pascale était à genoux au pied du canapé, une main sous sa jupe, elle se masturbait pendant que Fuzzi lui enfonçait son sexe dans la bouche.

J’ai entendu du bruit dans la chambre. J’ai d’abord hésité, j’avais cru entendre un cri. J’ai poussé la porte. Floriane était allongée sur le lit, prise en sandwich entre Jimbo et Roman. Ils la pénétraient sans ménagement, l’un par-devant, l’autre par-derrière. Floriane semblait absente, soumise. Son corps tressautait sous les coups de boutoir qu’ils lui assénaient. Elle a tourné la tête vers moi, a semblé me reconnaître, a tendu la main. La scène était floue, irréelle, distante.

Je n’ai pas compris que c’était un appel à l’aide.

Je suis sorti et j’ai refermé la porte. J’étais dans les vapes. Je pressentais que ce qui se passait dans la chambre n’était pas conforme, qu’ils enfreignaient une règle. J’en étais conscient, mais je ne parvenais pas à trouver l’énergie nécessaire pour m’indigner et réagir. Je suis resté un bon moment devant la porte fermée.

Un long cri a fusé. Jimbo et Roman sont sortis de la chambre. Ils s’engueulaient. Ils ont commencé à se battre dans le salon. Fuzzi et Pascale s’étaient éclipsés dans une chambre. Jimbo et Roman se tapaient dessus, sans tenter de se protéger des attaques de l’autre. Les coups qu’ils se donnaient produisaient un bruit mat. Jimbo a commencé à saigner du nez. Le sang giclait, formait des taches sur les murs et la moquette blanche. Roman continuait à lui cogner dessus. Jimbo encaissait en vacillant. Son visage était couvert de sang.

J’ai pris peur, je suis sorti. J’ai couru. Les gens me dévisageaient dans la rue. Je devais avoir l’air d’un fou. Je suis parvenu à rentrer chez moi. Candy et moi partagions une chambre au quatrième étage d’un immeuble de la rue de la Harpe. Je me suis caché sous les couvertures et j’ai sombré.

À l’aube, Candy m’a secoué comme un prunier.

Jimbo était en bas.

J’avais mal à la tête. Les images de la soirée revenaient par vagues. J’avais l’impression de sortir d’un cauchemar. J’ai passé la tête par la fenêtre. Jimbo semblait affolé. Je suis descendu. Il était couvert d’ecchymoses. Quelque chose avait foiré. Ma copine s’était jetée par la fenêtre. La police recherchait les témoins. Il filait sur Marseille.

J’ai bouclé ma valise en moins de deux minutes. J’ai pris le métro en direction de la gare et je suis monté dans le premier train pour Calais.

32

Quelque chose de peu ordinaire

Dominique s’était rapidement intégré dans l’équipe de la clinique.

En peu de temps, il était devenu un personnage marquant et l’attraction du service de soins. Son inébranlable bonne humeur, son enthousiasme communicatif et ses facéties enchantaient les aides-soignants et les patients.

Dès son arrivée, tôt le matin, son leitmotiv retentissait dans les couloirs.

— Que du bonheur !

Certains patients se plaisaient à le reprendre en chœur en imitant son intonation chantante.

Quelques médecins attachés à l’étiquette estimaient qu’il outrepassait la bienséance et qu’il gagnerait à être plus discret, surtout dans un établissement tel que la clinique Derscheid.

Dominique s’en souciait peu. En aparté, il singeait leur attitude formaliste et les appelait les Grincheux.

En revanche, ses compétences faisaient l’unanimité. Il ne devait pas chercher les zones douloureuses chez ses patients, il disait qu’il les sentait, qu’elles venaient à lui, qu’il les découvrait sous ses doigts, comme si elles étaient siennes. Il ne soulageait ni les contractures ni les douleurs, il les aspirait, se les appropriait et en débarrassait les souffrants.

Plusieurs d’entre eux en avaient fait leur confident, tant pour la qualité des soins qu’il leur prodiguait que pour sa capacité à leur redonner le moral.

Il ne mettait pas en doute les plaintes qu’il recueillait, pas plus qu’il ne minimisait les souffrances que ses patients disaient endurer. Jamais il ne jouait dans le registre de l’empathie. Il écoutait, les yeux écarquillés, le sourire aux lèvres. Pour certains, la simple vue de son visage était une thérapie en soi. Il parvenait à convaincre ses patients qu’ils étaient forts et tenaces, leur assurait qu’ils détenaient l’énergie suffisante pour se battre et surmonter la douleur.

Dans de nombreux cas, cette méthode s’avérait bénéfique.

Depuis le jour de son entrée dans le service, le 30 juin, il passait plus de deux heures par jour avec X Midi.

Il suivait sa progression en respectant l’ordre défini par les médecins. Les premiers levers et l’installation au fauteuil roulant avaient été réussis. Il lui fallait à présent travailler l’équilibre et l’indépendance de X Midi en position assise.

Viendrait ensuite le maniement du fauteuil, pour autant que l’homme accepte de coopérer. Il se chargeait également du travail respiratoire qui permettait de récupérer un maximum de mobilité thoracique.

Cette proximité quotidienne l’avait amené à développer une stratégie d’approche originale.

Avant d’entrer dans la chambre de X Midi, il annonçait son arrivée en parodiant un dialogue à bâtons rompus dans le couloir. Sa voix portait dans tout l’étage et ses échanges tragi-comiques amusaient les occupants des chambres voisines.

— Bonjour, mon ami, je suis content de te voir, tu as fait de beaux rêves ?

— Bonjour, Dominique. J’ai rêvé que je nageais avec toi.

— Dans la piscine ?

— Non, dans la mer des Caraïbes.

— Dans la mer des Caraïbes ? Avec moi ? Mon Dieu ! Il n’y avait pas de requins, j’espère ?

— Si, il y avait plein de grands requins blancs.

— Oh oh !? Est-ce qu’ils avaient des stéthoscopes autour du cou ?

Il éclatait de rire et passait la tête dans l’encadrement de la porte. Il surprenait généralement X Midi qui, alerté par les éclats de voix, guettait son apparition du coin de l’œil. Il entrait dans la chambre, jetait un regard à la télévision et lâchait un commentaire.

— Je l’ai vu, cet épisode, c’est le jardinier qui a fait le coup.

Il approchait ensuite du lit et glissait la télécommande dans la main de l’homme.

— Mets-nous autre chose, tu n’as qu’à appuyer sur l’un des boutons.

L’ergothérapeute estimait que X Midi était à présent capable d’utiliser la télécommande et la manette de fonctionnement du fauteuil roulant électrique. Il refusait néanmoins de fournir les efforts nécessaires pour y parvenir et ne semblait pas intéressé par cette perspective d’autonomie.

Dominique patientait quelques instants, puis reprenait la télécommande.

— Bien, dans ce cas, je vais mettre MTV, on va travailler en musique.

Il poursuivait par le jeu du prénom.

— Alors, on est toujours à la lettre A, c’est ça ? André ? Tu t’appelles André ?