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Ils n’achetaient rien dans son épicerie, mais la considéraient comme une cabine téléphonique publique dont ils avaient communiqué le numéro à l’ensemble de leurs contacts.

Lorsque l’homme eut vidé sa rancœur, Stern en vint à l’emploi du temps des musiciens durant leurs derniers jours à Berlin.

Le commerçant se rappelait qu’en l’espace de vingt-quatre heures, trois d’entre eux avaient quitté Berlin pour une destination inconnue et que seul celui qu’il appelait le Bagué, le plus civilisé des quatre, était resté. Il se souvenait aussi de l’irruption de Larry Finch dans son épicerie le samedi matin, affublé d’un blouson de cuir et de lunettes noires. Il voulait utiliser le téléphone pour commander un taxi.

Après avoir raccroché, il avait choqué les clients présents en déclarant, en mauvais allemand et avec des gestes explicites, qu’il partait danser le flamenco et baiser les putes espagnoles.

Geste peu courant, il avait déposé une pièce de cinq marks sur le comptoir avant de quitter le magasin.

Le commerçant n’avait pas souvenance qu’il y avait eu plus d’appels téléphoniques pour eux durant les jours qui avaient précédé les départs. Selon lui, ils n’avaient pas reçu de visite. D’une manière générale, il n’avait jamais vu de visiteur ou de visiteuse monter chez eux. À part les appels téléphoniques et hormis le facteur, personne ne les avait jamais demandés.

Il n’avait rien remarqué de particulier dans leurs comportements, si ce n’est un peu plus d’agitation que d’ordinaire. Le Bagué ne semblait pas inquiet ou perturbé après le départ de ses camarades, du moins jusqu’à ce qu’il apprenne la mort du premier d’entre eux et aille se jeter sous une rame de métro.

Stern interrogea plusieurs habitants de l’immeuble qui corroborèrent les dires du marchand, mais ne lui apportèrent pas d’informations complémentaires.

Une femme âgée qui habitait au sixième, sous leur appartement, déclara qu’elle savait bien avant la série d’accidents que leurs jours étaient comptés ; ces hommes fumaient, se droguaient et buvaient comme des soiffards. Elle avait entendu l’un d’eux vomir pendant toute une soirée.

Le journaliste parvint également à joindre le propriétaire du logement par téléphone. Il se plaignit que les quatre hooligans n’avaient pas payé leur loyer depuis le début de l’année. Il n’avait rien à ajouter sinon qu’il ne voulait plus entendre parler d’eux.

Stern se rendit ensuite au Yoyo Bar, le club où le groupe se produisait.

Le bistro était situé dans le secteur anglais, dans une rue adjacente au Kurfürstendamm, l’artère la plus animée de Berlin-Ouest. L’endroit était une étrange combinaison de pizzeria, de salle de concert et de night-club.

Le patron de la boîte se déclara tout d’abord surpris qu’un journaliste puisse investir de son temps pour se pencher sur une banale suite d’incidents. Il convint ensuite, avec un clin d’œil complice, que la théorie du complot faisait vendre du papier et accepta de répondre aux questions.

Les musiciens arrivaient vers dix-neuf heures. Ils prenaient leur repas, faisaient quelques essais et commençaient leur tour vers vingt heures. Ils terminaient en principe à minuit, mais selon l’affluence ou l’ambiance, il leur arrivait de jouer jusqu’à deux heures ou trois heures du matin, ce qui représentait six à sept heures d’affilée sur scène, avec une pause de dix minutes toutes les deux heures. Comme ils étaient payés à l’heure, ils ne s’en plaignaient pas.

L’endroit était fréquenté par quelques étudiants et des hordes de soldats, surtout américains, qui venaient écouter les bons vieux rocks de chez eux. Pearl Harbor s’était fait une spécialité de reprendre les standards du répertoire américain et de les assaisonner à leur sauce.

Le patron lui rapporta que les musiciens étaient ingérables et lui avaient causé de nombreux problèmes. Malgré cela, il les avait gardés parce qu’ils étaient capables comme nul autre de chauffer le public et de mettre de l’ambiance.

Plus d’une fois, il avait dû intervenir pour calmer le jeu. Ils s’engueulaient entre eux, lançaient des bouteilles dans la salle, insultaient l’assistance ou provoquaient des bagarres.

Ils jouaient sept jours sur sept, mais avaient exceptionnellement demandé congé le 14 mars, sans donner de raison précise. Cette requête n’avait été faite que l’avant-veille, ce qui l’avait mis dans l’embarras.

De mauvaise grâce, il leur avait accordé le congé. Il pressentait qu’un refus de sa part aurait engendré un nouveau conflit. Il avait dû trouver des suppléants au pied levé et la soirée avait été un fiasco. Le public avait hué le groupe qui les remplaçait et exigé le retour de Pearl Harbor.

Le lendemain, Larry Finch, le bassiste et leader du groupe, lui avait téléphoné pour lui annoncer qu’ils prenaient tous les quatre deux semaines de vacances. Il s’était mis en colère et avait menacé de les renvoyer s’ils ne se présentaient pas à leur travail le soir même. Larry lui avait répondu que c’était comme ça et que si ça ne lui plaisait pas, il n’avait qu’à aller se faire enculer.

Cette réaction l’avait déconcerté, non pas pour les mots, il s’était habitué à ce type de langage venant de leur part, mais pour le fait qu’ils avaient sans cesse besoin d’argent et qu’ils tenaient à leur emploi.

Il lui confia en aparté qu’une grande partie de leurs gains partait en consommation de diverses substances prohibées.

Lors de la matinée de sa dernière journée à Berlin, Michael Stern eut rendez-vous avec Birgit, la femme dont Jim Ruskin était tombé amoureux peu de temps avant sa disparition.

Celle-ci lui livra une information qui attisa son intérêt.

Le lundi 13 mars, Jim Ruskin lui avait annoncé qu’il ne jouerait pas au Yoyo Bar le lendemain. Le groupe avait accepté un autre engagement. Il avait ajouté de manière laconique qu’ils allaient enfin sortir de l’anonymat.

Elle avait voulu en savoir davantage, mais Jim n’en avait pas dit plus. Il tenait à ce que cette soirée ait lieu et prétendait que cela porterait malheur s’il révélait quoi que ce soit avant son déroulement.

Le mercredi 15 mars, il lui avait appris qu’ils avaient participé à un enregistrement la veille et qu’un disque de Pearl Harbor serait bientôt dans les bacs.

Larry Finch, Steve Parker et Paul McDonald avaient profité de l’argent qu’ils avaient encaissé pour prendre quelques jours de vacances. Jim Ruskin avait quant à lui choisi de rester à Berlin pour passer plus de temps avec elle.

Selon elle, c’était un homme optimiste, enthousiaste et en pleine possession de ses moyens. Elle ne pouvait concevoir qu’il ait pris la décision de mettre fin à ses jours sur un coup de déprime passager.

Stern chercha à en savoir plus sur l’enregistrement dont Birgit avait parlé, mais ne parvint pas à obtenir plus d’informations. L’après-midi, il se rendit chez plusieurs disquaires de la ville, mais aucun d’eux n’avait entendu parler d’un disque enregistré par un groupe appelé Pearl Harbor.

Avant de prendre son vol de retour pour Belfast, il apprit que Berlin comptait pas moins de trente et un studios d’enregistrement, allant du prestigieux Hansa Tonstudio jusqu’à certains studios amateurs pauvrement équipés que l’on pouvait louer à la journée, à l’heure ou même à la minute.

De retour à Belfast, il prit contact par téléphone avec ces différents studios, mais aucun d’eux n’avait organisé de séances d’enregistrement dans la soirée du 14 mars au nom de Pearl Harbor. Seuls deux enregistrements avaient été programmés ce soir-là, une chorale de gospel et un duo de flûtistes.