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Le chanteur, Roger Daltrey, gesticulait, virevoltait, hurlait, bégayait et faisait tournoyer son micro à toute vitesse comme s’il s’agissait d’un lasso. Le bras tendu, Pete Townshend produisait de grands moulinets et martelait les cordes de sa guitare avec une force incroyable.

Leur rock était bruyant, instinctif et destructeur. Dans la salle, l’ambiance était survoltée. Les filles étaient en minorité, mais elles hurlaient plus fort encore que pour les Stones.

En plus de l’hystérie, je décelais des accents de terreur dans leurs cris, comme si on les avait attirées dans un piège. J’étais sidéré et quelque peu inquiet, lors d’un concert des Stones, une fille s’était jetée du troisième balcon et s’était tuée en blessant grièvement un spectateur.

De leur côté, les gars étaient furieux de voir leur petite amie dans un tel état et voulaient en découdre. Des coups de poing s’échangeaient en fond de salle.

Au milieu de l’ouragan de décibels, je n’avais d’yeux que pour Keith Moon, le batteur. Son charisme me fascinait. La bouche ouverte, les yeux révulsés, il cognait, cognait et cognait encore. Comme si sa vie en dépendait, il cognait, cognait, sans pause, sans respiration. Son jeu semblait chaotique, mais était soutenu par une prodigieuse technique. The Ox, un morceau de quelques minutes dans l’album, s’étirait sur plus d’une demi-heure et démontrait l’étendue de son génie. Tout en roulements de toms, il faisait trembler la scène et le sol. Les deux grosses caisses qu’il martelait à un rythme effréné émettaient un grondement de tonnerre qui se propageait jusqu’au fond de la salle.

Mes oreilles bourdonnaient, mes mains tremblaient. Le son qu’il générait était si violent que j’en avais la vue brouillée.

Lors du dernier morceau, Pete Townshend a poussé le volume à fond, s’est emparé de sa guitare et a fait mine de la briser en deux sur sa cuisse. Les amplis saturaient et crachaient du Larsen. De la fumée s’est échappée de l’arrière de l’un d’eux. Daltrey a envoyé valdinguer son micro contre la grosse caisse, le plafond, les amplis. Keith Moon, debout, donnait de grands coups de pieds dans ses cymbales, ses toms et ses grosses caisses.

En finale, Townshend a empoigné sa guitare par le manche et, telle une hache, s’est mis à la fracasser contre le sol. Ensuite, il s’en est pris aux amplis. L’épilogue était à ce point brutal qu’un mouvement de panique s’est emparé d’une partie du public. Certains spectateurs cherchaient à gagner la sortie.

Je suis sorti du club anesthésié, sourd et groggy. Birkin avait un regard halluciné. Une phrase, lancinante, inhumaine, tourbillonnait dans ma tête.

Par la suite, je l’ai souvent fredonnée à voix basse, jusqu’à en faire l’un de mes credos.

J’espère mourir avant d’être vieux.

38

Lui sauta aux yeux

Le manque d’enthousiasme du rédacteur en chef du Belfast Telegraph ne suffit pas à décourager Michael Stern. Le journaliste poursuivit avec opiniâtreté son enquête au départ de Belfast.

Il reprit contact avec les membres des familles dans l’espoir de recueillir des informations sur l’enregistrement dont avait parlé Birgit, l’amie de Jim Ruskin.

La tante de Larry Finch lui tint le même discours que lors de la sollicitation des Parker, elle ne savait rien et ne voulait plus entendre parler de cette affaire.

Du côté des Parker, ni les parents ni les amis de Steve n’avaient eu de ses nouvelles durant les jours qui avaient précédé sa mort. John Ruskin, le père de Jim, lui tint un langage identique.

Il revint également bredouille de l’entretien qu’il eut avec la famille de Paul McDonald. Le dernier appel téléphonique que celui-ci avait donné datait du début du mois de mars et était adressé à son fils Jason.

Personne n’avait entendu parler d’un enregistrement.

Début octobre, il prit contact avec George West, le détective londonien que les parents de Steve Parker avaient embauché. Il se doutait que ce dernier rechignerait à coopérer avec lui et prépara ses questions.

Il voulait savoir si les prostituées qu’il avait interrogées à Hambourg se souvenaient d’avoir entendu Steve Parker parler d’un enregistrement. Comme il s’y attendait, George West répondit par la négative.

En revanche, la conversation qu’il eut avec le détective lui inspira une idée de piste à explorer.

À son tour, il revint sur la question que West avait soulevée lors de la réunion à Londres, d’où provenait l’argent dont les quatre hommes disposaient tout à coup, cet argent dont Jim Ruskin avait fait mention lors de sa rencontre avec Birgit au lendemain de l’enregistrement ?

En effet, Steve Parker s’était offert à plusieurs reprises les services de prostituées et les avait payées en marks. L’une d’elles se souvenait avoir reçu un pourboire royal. S’il s’était procuré une arme à Hambourg, comme la police l’avait laissé entendre, il avait dû s’acquitter d’une somme d’argent conséquente, toujours en espèces au vu de ce genre de trafic.

Stern téléphona au Kastanien, l’hôtel dans lequel Parker avait séjourné à Hambourg. Il reçut la confirmation que Steve avait réglé sa note au comptant, en argent allemand.

Il ne lui fut pas possible de retrouver la trace du billet que Steve Parker avait acheté au marché noir pour le concert de Jimi Hendrix, mais nul doute qu’il avait également été payé en espèces.

Si les membres de Pearl Harbor avaient participé à un enregistrement, il était néanmoins peu probable qu’ils aient été payés le soir même. Il n’était pas dans les habitudes de la profession de rémunérer ce type de prestations. En règle générale, les artistes étaient rétribués par la suite, par un pourcentage sur les ventes, sauf en cas de contribution ponctuelle réalisée par un musicien de studio.

Il décida d’approfondir cette piste et lança une nouvelle série d’appels téléphoniques qui lui apportèrent quelques informations intéressantes.

Larry Finch avait réglé son voyage à Majorque en espèces, à l’agence de voyages de Berlin. Pourtant, il n’y avait pas eu de mouvement sur son compte en banque qui comportait un solde négatif et était provisoirement bloqué. Selon l’entraîneuse avec laquelle il avait passé la nuit à Majorque, il se trouvait en possession d’une grande quantité de pesetas.

Le parcours de Paul McDonald se révéla encore plus intrigant.

Il avait payé en espèces son billet d’avion pour Londres et en avait fait de même pour régler la facture du premier hôtel dans lequel il était descendu. Le 22 mars, il s’était rendu dans une agence de la Barclays à Glasgow et avait vidé son compte en banque. Il était revenu à Londres le soir même et s’était installé au Samarkand. Peu après son arrivée, il avait changé des marks à la réception et avait payé six jours d’avance.

Cette récolte d’informations l’amena à se poser un nouveau lot de questions.

D’où venait l’argent qui avait permis à Larry de s’offrir un voyage de plusieurs centaines de marks et de le payer en espèces ? Ces marks qui avaient permis à Steve Parker de s’offrir les services de prostituées et un billet pour le concert de Jimi Hendrix ? Ces mêmes marks que Paul McDonald avait laissés sur le comptoir de la British Airways de Berlin ? Pourquoi ce dernier avait-il versé une avance en marks alors qu’il venait de retirer des livres à Glasgow ? Pourquoi s’était-il fait enregistrer au Samarkand sous le nom de sa mère ? En bref, d’où venaient ces marks ?