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D’autre part, Stern chercha à identifier le correspondant de Jim Ruskin, le dénommé Karl à qui il avait parlé au téléphone chez Birgit.

C’était un prénom très courant en Allemagne et il dut rapidement abandonner cette piste pour revenir à celle du studio d’enregistrement.

Si le studio où s’était produit cet enregistrement n’était pas l’un des trente et un recensés à Berlin-Ouest, il restait deux hypothèses ; soit il se trouvait hors de Berlin-Ouest, ce qui impliquait un passage du Mur, peu vraisemblable au vu de la tension régnante et du fait que l’événement semblait être survenu à brûle-pourpoint, soit il s’agissait d’un studio privé, voire d’un studio aménagé à cet effet, ce qui paraissait peu probable.

Michael Stern en conclut que cet enregistrement n’avait probablement pas eu lieu et que c’était une histoire que Jim Ruskin avait inventée pour justifier auprès de Birgit l’apparition de l’argent et le départ des trois autres.

Le jeudi 26 octobre 1967, il reçut l’appel d’un certain Stuart Bloomfield. Ce dernier habitait dans la banlieue de Londres et se présentait comme un ami de Paul McDonald.

Bloomfield n’avait pas eu l’occasion de faire le déplacement à Dublin pour assister aux obsèques de son ami, mais il devait s’y rendre prochainement. Il avait téléphoné au père de Paul pour savoir où se trouvait la tombe de son fils afin d’y déposer une gerbe.

De cette manière, il avait appris l’existence de l’enquête de Michael Stern. Il disait avoir vu Paul à Londres avant sa mort et souhaitait aider le journaliste dans la mesure de ses moyens.

Michael Stern prit un vol pour Londres le samedi suivant.

Stuart Bloomfield lui confirma avoir vu Paul à son retour de Berlin. Il était en pleine forme et venait participer à un casting resté secret pour ses acolytes. Ils étaient sortis et avaient fait la fête.

Paul dépensait de l’argent comme s’il avait gagné à la loterie. Il l’avait interrogé sur la provenance de cet argent et Paul avait répondu qu’ils avaient enregistré un single à Berlin.

Il l’avait pressé de questions, mais Paul ne lui avait donné aucun détail. Il semblait embarrassé et avait éludé les questions ou répondu évasivement.

La veille du casting, Paul lui avait téléphoné. Sa bonne humeur s’était envolée. Il paraissait soucieux, nerveux et sur la défensive. Il avait déclaré qu’il avait changé d’avis et qu’il quittait Londres. Il n’avait pas précisé où il allait.

De retour à Belfast, Michael Stern consigna ses notes dans le dossier et relut l’ensemble. C’est alors que le détail qui lui avait jusqu’alors échappé lui sauta aux yeux.

39

Mon cœur s’emballe

L’arrivée de Birkin a bouleversé les habitudes de la maison.

À son contact, Brian a viré de bord. Il a troqué son déguisement de beatnik pour se mettre au diapason et devenir un mod. Malgré ce qu’en disait Birkin, le courant montrait des signes d’essoufflement.

Une fois devenu mod, Brian comptait sur ses locataires pour qu’ils en fassent autant. Il s’est d’abord limité à dispenser quelques conseils désintéressés, mais il est rapidement devenu plus incisif.

Lorsqu’il nous croisait, il relevait nos fautes de goût et nous transmettait les directives à suivre pour conformer notre aspect et nos comportements aux nouvelles normes. En deux mots, nous étions également priés de devenir des mods.

Il a fait repeindre la maison et a engagé une femme de ménage. Les chambres devaient être rangées et les lits faits lorsque nous quittions la maison.

Nombre de locataires ont fait les frais de ce revirement, Chess en tête. Il a tiré sa révérence et quitté Londres pour New York. Selon lui, Londres allait se scléroser et les meilleurs artistes quitteraient bientôt l’Angleterre. L’avenir se trouvait de l’autre côté de l’Atlantique.

Les contacts que j’avais avec Brian se sont peu à peu rafraîchis, d’autant que Birkin s’interposait en ma faveur lorsqu’il m’adressait un reproche.

J’ai néanmoins opéré quelques changements à mon look, cela me permettait de me fondre dans le décor quand je sortais avec Birkin. Je me suis coupé les cheveux et me suis offert quelques vêtements seyants. Birkin m’a accompagné dans les boutiques in pour guider mes achats. Considérant ma taille et ma corpulence, l’opération n’a pas été de tout repos.

Paradoxalement, les musiciens qui se produisaient dans les clubs que nous fréquentions affichaient une tête échevelée et mon ancien style négligé.

Birkin se changeait deux ou trois fois par jour. Le soir, avant de sortir, il déployait sa collection de costumes, essayait plusieurs chemises, enfilait des pulls, changeait de pantalon, se déshabillait et se rhabillait jusqu’à trouver la combinaison la mieux adaptée. Il se trémoussait devant le miroir du hall, allait d’avant en arrière, se tortillait, minaudait, me demandait mon avis. C’était à n’en plus finir.

Quand il n’était pas entièrement convaincu de son choix, il remisait ses costumes, rependait ses chemises, rangeait ses pulls au carré dans l’armoire, s’asseyait sur le lit et déclarait qu’il était hors de question qu’il sorte. Après quelques minutes, il se levait et reprenait le rituel en partant de zéro.

Lorsqu’il avait trouvé la tenue adéquate, il sélectionnait les effets que je devais porter pour être en harmonie avec lui, sans créer un contraste trop marquant ni ressembler à des jumeaux.

Ce cérémonial prenait plus d’une heure. C’était assommant et excessif, mais cela m’amusait. Birkin prenait cela très au sérieux. D’après lui, il était un homme mort si on le voyait deux fois avec les mêmes fringues.

Un jour, Birkin m’a donné l’ordre d’arrêter de laver les vitres. Les mods crachaient sur le prolétariat. Je devais brûler ma salopette et venir travailler avec lui, il avait décroché un job chez un disquaire de King’s Road. Il avait trouvé grâce aux yeux du propriétaire et s’est débrouillé pour me faire engager. L’activité était florissante et le personnel qualifié manquait.

Dans un premier temps, je rangeais le stock dans l’arrière-boutique. Après quelques jours, le patron a trouvé que mon accent bizarre avait un certain charme et m’a muté au comptoir auprès de Birkin.

Ma faible connaissance du marché ne constituait pas un obstacle majeur, les questions les plus pointues se limitaient à connaître la date de sortie du prochain single des Beatles ou du futur album des Stones. Quand arrivaient ces dates fatidiques, les files s’allongeaient sur le trottoir et les journées étaient interminables. J’ai vécu des heures inoubliables lors de la sortie du deuxième album des Who, A Quick One, avec son titre provocateur et sa pochette pop art colorée.

Birkin et moi étions inséparables. Tout nous opposait. Je me fichais des fringues, il ne s’intéressait pas à la littérature. Notre seul point commun était le culte que nous vouions au rock.

En le côtoyant, j’ai changé de style. À mon contact, il a saisi le bénéfice qu’il pouvait tirer de la lecture. J’avais commencé à lire en anglais et je m’étais rendu compte de l’ampleur de la tâche qui me guettait. Le vocabulaire était plus étendu qu’en français, je devais sans cesse recourir à un dictionnaire pour saisir le sens d’un mot ou d’une phrase. Birkin m’a dévisagé comme s’il était frappé de stupeur lorsque je lui ai appris que Mick Jagger avait glissé une phrase tirée d’Ulysse de James Joyce dans Paint It Black.