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Les gaillards qui étaient avec elle la traitaient d’égal à égal. Ils la considéraient comme l’une des leurs. Aucun ne semblait avoir pour elle une attention particulière.

Je l’épiais en jouant. Elle parlait, gesticulait et buvait bière sur bière. La jalousie me tourmentait lorsqu’un quidam lui adressait la parole. Elle était là depuis moins d’une heure, mais je la considérais déjà comme mienne.

À son tour, elle s’est mise à m’observer, avec un mélange d’agacement et de curiosité.

Je me suis souvenu des mots de Clapton. J’ai soutenu son regard. J’ai assuré.

Après une heure de cache-cache, elle a interpellé l’un de ses accompagnateurs, un barbu famélique qui se grattait sans cesse le crâne.

Ils se sont approchés. Le barbu a demandé au guitariste s’il pouvait emprunter son instrument et s’est ensuite dirigé vers le bassiste pour lui énoncer la grille d’accords. Elle allait chanter un truc de sa composition, un quatre-quatre plutôt lent, une sorte de jazz latin, proche d’une rumba. Avec cela, il fallait que je me débrouille.

Mary a pris le micro, a fermé les yeux et s’est mise à chanter. C’était une ballade jazzy au rythme syncopé. Sa voix était rauque, mélodieuse et puissante.

Quand elle a entonné le refrain, des fourmis ont envahi ma nuque. En l’espace de quelques secondes, j’étais couvert de chair de poule. Dans la salle, les conversations se sont tues et l’assistance a retenu son souffle.

Elle me tournait le dos et dansait paresseusement sur place. De temps à autre, elle s’arrêtait et se figeait dans une pose suggestive.

À la fin du morceau, elle a tourné le dos au public et m’a fixé dans les yeux. Elle m’a dédié les dernières phrases de sa chanson.

Give a little bit of your love to me, I’ll give a little bit of my love to you

J’ai suivi sa prophétie, je lui ai offert tout l’amour que j’avais dans le cœur. Je me suis vidé de cet amour jusqu’à l’assèchement, tel un philanthrope qui dilapide sa fortune pour une cause perdue.

Avec ma mère, je pense qu’elle a été la seule femme à m’avoir aimé.

Au petit matin, la cave s’est peu à peu vidée.

Les amis de Mary l’ont saluée et sont partis. Hormis Brian, il ne restait que nous deux. Brian a vidé la caisse, a mis l’argent dans un petit coffre dissimulé derrière le bar et m’a demandé d’éteindre en partant.

Nous nous étions à peine parlé.

Elle a passé une main sur mon visage, elle m’a dit qu’elle avait envie de moi et m’a demandé si j’avais envie d’elle.

Nous sommes montés dans ma chambre. Elle s’est déshabillée et m’a déshabillé en silence. Je suis entré dans le lit et elle est venue s’allonger sur moi. Elle a posé ses mains sur ma poitrine, a fermé les yeux et a penché la tête en arrière. Elle s’est empalée sur mon sexe et a commencé à onduler du bassin.

Elle m’a attendu.

Au moment où j’allais jouir, je lui ai demandé la permission de me laisser aller en elle.

C’était ridicule de lui poser cette question, mais elle a apprécié ma requête. J’étais le premier homme à lui demander une chose pareille. Elle l’a pris comme une marque de respect.

J’aimerais que tu sois à mes côtés, j’aimerais que tu saches que je te pardonne ta trahison.

44

Son champ de vision

Lors de l’une de ses visites journalières, l’ergothérapeute releva un léger tressaillement des doigts de la main droite de X Midi ainsi que de plus amples mouvements faciaux.

Elle consigna ces observations dans son rapport et ajouta que ces signes prometteurs confirmaient que l’état de X Midi continuait à progresser. Il quittait progressivement l’état de LIS et entrait peu à peu en phase de récupération.

Le protocole concluait qu’une réversibilité partielle était désormais envisageable.

Compte tenu de la relation que Dominique entretenait avec son patient, il fut l’un des premiers informés.

Ce dernier se rendit aussitôt chez X Midi pour lui annoncer la bonne nouvelle.

— Salut, Casper, j’ai vu ton ergothérapeute ce matin. Elle a enregistré des signes encourageants. On va te sortir de là.

Il élargit son sourire et lui présenta un petit pot d’eau gélifiée accompagné d’une cuiller en plastique.

— Je t’amène ton premier repas.

Il resta un instant immobile, le récipient à hauteur des yeux de l’homme, en quête d’une réaction.

— Tu ne crois tout de même pas que tu vas continuer à te laisser nourrir comme un bébé. Tu n’en as pas marre de cette sonde ? Tu devras tôt ou tard recommencer à manger normalement, alors autant réapprendre avec moi.

Les yeux de X Midi se remplirent de larmes.

Dominique se pencha et examina le visage de l’homme.

— Qu’est-ce qui se passe, Casper ? Tu pleures ? Tu es triste ou tu es fou de joie ?

Il s’assit sur le lit, lui prit la main et l’examina.

X Midi était en proie à une crise de détresse.

— Je suis ton ami, j’aimerais t’aider.

Il épongea les yeux de l’homme, passa une main dans ses cheveux.

— Je suis ton ami. Moi aussi, je suis aussi triste, tu n’as pas l’air de vouloir de mon amitié. J’imagine que tu as dû vivre quelque chose de terrible. Je comprends que tu ne veuilles pas te confier. Des hommes t’ont fait du mal, je le sens. Moi, je suis ton ami. Tu peux me parler. Tu peux me faire confiance.

L’homme le fixa sans ciller.

Dominique se pencha davantage et prit le ton de la confidence.

— Je te propose un marché. J’accepte que tu ne souhaites pas me parler et je ne te forcerai plus à le faire. Je continuerai à te parler sans te poser de question.

Il s’arrêta quelques instants.

— Si un jour tu veux me parler, j’aimerais que tu saches que je suis ton ami. Je t’écouterai, je répondrai à tes questions, et tout ce que tu diras restera entre nous.

L’homme le fixa avec une attention soutenue.

— On est d’accord ? Si un jour tu veux me parler, si tu as quelque chose à me dire ou à me demander et si tu veux que personne ne le sache, tu peux compter sur moi, je n’ai qu’une parole. Tu es d’accord, mon ami ?

X Midi ferma les yeux, les tint clos un moment, puis les rouvrit.

Dominique se leva et sortit de son champ de vision.

45

Jusqu’au bout de la nuit

Nous ne nous sommes plus quittés. Mary louait une chambre exiguë sous les toits d’une maison bourgeoise de Kensington, dans Argyll Road, non loin de Holland Park. La propriétaire était une ancienne connaissance de sa mère, une veuve de longue date, à cheval sur les principes.

À moitié sourde, elle tolérait ses vocalises, ses retours nocturnes et ses tâtonnements dans le hall d’entrée au petit matin, mais elle ne pourrait accepter qu’elle débarque dans sa maison avec un homme. Mary est allée chercher quelques affaires qu’elle a rangées dans ma chambre, des partitions, une trousse de toilette et un sac de vêtements.