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Brian ne l’aimait pas. Dès le lendemain de notre rencontre, il est venu me trouver pour me dire qu’il la connaissait de réputation, que c’était une pute, qu’elle couchait avec tout le monde et que je devais me méfier d’elle. Je l’ai remercié pour cet avertissement, je me méfierai, je resterai sur mes gardes.

Une quinzaine de jours plus tard, il a fait une nouvelle crise. C’était un dimanche matin. Birkin et moi prenions le petit déjeuner dans le bow-window. Mary venait de sortir.

C’était une belle matinée d’hiver. Le soleil était éblouissant. Birkin et moi clignions des yeux. Il me faisait face et me regardait en souriant. Le café me brûlait le palais. J’étais heureux. Mary et moi étions amoureux.

Brian est descendu et a commencé à hurler.

Sa maison n’était pas un hôtel, encore moins un bordel, il en avait marre d’entendre ma pute gémir comme une truie pendant que je la baisais et il ne voulait pas qu’elle passe une nuit de plus ici. Si je voulais continuer à perdre mon temps avec cette connasse, je n’avais qu’à aller la baiser ailleurs.

Je suis resté muet. J’étais désarmé, impuissant, incapable de répondre à une attaque aussi virulente.

J’aurais aimé trouver les mots appropriés pour défendre la réputation de Mary, lui dire qu’il dépassait les bornes, mais pas un son n’est sorti de ma bouche.

Birkin a vu que j’accusais le coup. Il s’est levé et a pris ma défense. Il a interpellé Brian, il exagérait, il était grossier et ingrat, il se faisait des couilles en or grâce au public que nous amenions chaque soir, nous avions fait de sa cave l’un des endroits les plus branchés de Londres, j’avais joué avec Clapton, la moindre des choses était de me foutre la paix et de me laisser baiser avec qui je voulais.

Cela n’a pas calmé Brian, bien au contraire. Il est parti dans une envolée qui vantait son altruisme et sa générosité. Il hébergeait une dizaine de personnes à ses frais et personne ne lui avait proposé de participer aux dépenses, pas même ceux qui avaient un boulot rémunéré, comme les deux parasites que nous étions.

Le ton montait.

J’étais assis. Je les écoutais, décontenancé.

Birkin ne voulait pas en rester là. Ils s’engueulaient ferme. Ils parlaient vite, criaient, je ne comprenais pas tout.

Ulcéré, Brian a insinué que ce n’était pas parce que le père de Birkin couchait avec des ministres qu’il pouvait se croire tout permis.

Birkin s’est arrêté net, au milieu d’une phrase.

Je l’ai vu blêmir.

Ses lèvres se sont mises à trembler.

Je me suis levé et suis allé droit sur Brian. Il a écarquillé les yeux.

Le coup de poing que je lui ai balancé l’a expédié au fond de la pièce. Il est parti à reculons en se tenant le nez et a atterri dans la bibliothèque dont une partie des bouquins lui est tombée dessus.

Birkin était toujours tétanisé au milieu du salon, les larmes aux yeux.

Je l’ai pris par l’épaule. Il était blessé. Je l’ai serré contre mon cœur, je l’ai bercé comme on berce un enfant malheureux. J’ai tenté de le réconforter comme je le pouvais. Ce soir, nous irons voir les Easy Beats à l’Upper Cut, Brian n’est qu’un pauvre gosse mal dans sa peau, il a raconté n’importe quoi, je n’ai rien compris. Nous allons nous éclater, nous allons nous saouler et avaler des tonnes de pilules. Ce soir, tu feras chanter ton harmonica et nous jouerons jusqu’au bout de la nuit.

46

Une option peu réaliste

Dès qu’il eut identifié le lien qui lui avait jusqu’alors échappé, Michael Stern se saisit du téléphone et forma le numéro du Yoyo Bar, le club dans lequel Pearl Harbor s’était produit du dimanche 2 janvier 1966, date du début de leur contrat, jusqu’au lundi 13 mars 1967, jour de leur dernier passage.

Un employé lui répondit que le patron était parti à Francfort pour le week-end et qu’il ne serait de retour à Berlin que le lundi suivant, en fin d’après-midi.

Stern promit de le rappeler et poursuivit ses investigations en prenant contact avec l’épicier qui officiait au rez-de-chaussée de l’immeuble des quatre hommes. Personne ne répondit à son appel, la boutique était en toute vraisemblance fermée à cette heure tardive.

Il prit son mal en patience et renouvela ses appels le lundi après-midi.

Le patron du Yoyo Bar confirma que les musiciens avaient été fidèles au poste chaque soir. Aucun d’eux n’avait manqué à l’appel durant les dernières semaines, et ce, jusqu’à la veille du jour où ils avaient demandé ce congé de dernière minute et n’étaient plus revenus.

L’épicier, pour sa part, répondit de mauvaise grâce à son appel. Il y avait du monde dans son magasin et il ne se souvenait pas de l’emploi du temps des musiciens pendant les journées qui avaient précédé leur mort. Il répéta ce qu’il avait dit lors de la visite de Stern à Berlin.

Lorsque Stern émit le souhait de parler à la locataire du sixième étage, il rétorqua que la femme n’avait pas le téléphone et qu’elle ne sortait que très rarement. Elle était atteinte de rhumatisme et ne parvenait à descendre les six étages qu’au prix de lourdes souffrances.

Stern lui proposa de convenir d’une heure à laquelle il rappellerait et lui demanda d’aider la femme à descendre au rez-de-chaussée. Face à la réticence qu’il ressentit, il motiva sa demande en expliquant que son enquête avançait, qu’il s’agissait vraisemblablement d’une affaire de meurtres et que le témoignage de cette femme était déterminant.

En fin d’après-midi, il retéléphona à l’heure prévue et put parler à la femme en question. Il baragouina quelques mots d’allemand et finit par se faire comprendre.

Elle entérina les déclarations qu’elle avait faites lors de sa visite à Berlin. Peu avant la disparition des quatre hommes, l’un d’eux était resté à l’appartement durant la soirée. Elle l’avait entendu se déplacer. Elle avait perçu des quintes de toux et des haut-le-cœur.

En revanche, elle ne pouvait préciser la date à laquelle l’incident s’était produit.

Stern tenta de lui rafraîchir la mémoire en lui posant des questions sur son emploi du temps ce soir-là. Il lui suggéra des pistes comme la composition de son repas, les visites qu’elle avait reçues ou la nature de l’activité qui avait occupé sa soirée.

À force de tâtonnements, elle se rappela avoir dressé un parallèle entre les vomissements qu’elle entendait à l’étage et la chronique médicale qu’elle parcourait à ce moment-là dans Der Spiegel. L’article en question rapportait que les Allemands mangeaient trop gras au petit déjeuner.

Elle précisa qu’elle recevait le magazine le mardi et consacrait sa soirée à sa lecture.

Un court appel à la rédaction du magazine allemand permit à Stern d’apprendre que l’article en question s’intitulait Reiner Tisch, qu’il avait été rédigé par un journaliste de la rubrique santé et qu’il était paru dans le numéro 12 de l’année. L’hebdomadaire avait été mis en vente le lundi 13 mars et distribué aux abonnés dès le lendemain.

Cela signifiait que l’incident rapporté par la femme s’était produit pendant la soirée du mardi 14 mars 1967.

Stern en conclut qu’un des quatre hommes n’avait pas participé à l’enregistrement, cloué à son domicile par une indigestion ou un malaise passager.