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Même si ce détail était d’une importance secondaire, il indiquait que seuls trois d’entre eux auraient dû être éliminés s’ils avaient été témoins de quelque fait obscur.

Stern reprit ses notes, les relut une nouvelle fois et se mit en devoir d’identifier l’absent. Face au casse-tête que cela représentait, il prit contact avec Birgit, la compagne de Jim Ruskin et lui demanda de l’aider à remonter l’emploi du temps du groupe.

Ruskin avait passé la soirée du mercredi 15 mars chez elle. Il en avait fait de même le jeudi 16, le vendredi 17 et le samedi 18, comme le groupe s’était mis en congé et ne travaillait pas ces soirs-là. Jim avait logé chez elle ces quatre nuits, mais elle l’avait prié de rentrer chez lui le dimanche soir. Elle accusait un peu de fatigue et reprenait le travail le lendemain matin.

Michael Stern nota les informations et en tira ses déductions.

L’enregistrement avait eu lieu le mardi 14 mars 1967. Seuls trois des quatre musiciens y avaient assisté. Le quatrième était resté dans l’appartement, victime d’un malaise. Le mercredi 15 mars, hormis Jim qui était resté chez Birgit, les trois autres hommes avaient dormi dans leur lit. Le jeudi 16 se présentait vraisemblablement de la même manière.

Le vendredi 17, Steve Parker avait pris le train pour Hambourg en fin de matinée. Restaient dans l’appartement Larry Finch et Paul McDonald. Le samedi 18, Larry Finch et Paul McDonald étaient partis respectivement à Majorque et Londres.

Cette nuit-là, le samedi 18, personne n’avait logé dans l’appartement. Seul Jim Ruskin y était revenu le dimanche soir. Sa présence avait été confirmée par l’épicier qui l’avait réveillé le lundi en fin de matinée.

Stern examina ses notes.

Elles ressemblaient à un problème de logique qui le ramenait à ses premières années d’étude.

Il griffonna un tableau, y mit le nom des quatre hommes en colonnes, les dates en ligne, puis remplit la grille à l’aide des informations qu’il avait récoltées, détaillant les lieux où chacun était censé se trouver.

De nombreux points d’interrogation émaillaient le document.

Qui était resté à l’appartement le soir de l’enregistrement ? Pourquoi ce quatrième homme, l’absent, était-il mort ? S’il n’avait pas participé à l’enregistrement, pourquoi était-il, lui aussi, en possession d’une importante somme d’argent ?

Il ne pouvait exclure l’éventualité que le logement ait été occupé par une personne étrangère au groupe le soir de l’enregistrement, mais cela lui semblait une option peu réaliste.

47

À destination de Berlin

Brian avait le nez cassé. Il est parti se faire soigner. Quand il est rentré, il n’est plus revenu sur le sujet. Cette nuit-là, Mary a dormi avec moi. Nous avons fait l’amour et elle a crié plus fort que d’habitude.

Hormis dans ces moments-là, nous nous parlions peu, nous étions réservés de nature.

Elle chantait pour exorciser ce qu’elle taisait. Les paroles de ses chansons traduisaient sa détresse, ses colères et ses espoirs déçus. Ses couplets dénonçaient l’abandon, la violence, la servilité et l’enfance qu’elle n’avait pas eue.

J’en faisais de même lorsque je jouais de la batterie, avec mes mots à moi. Je frappais pour oublier la peur que m’inspirait la folie dans laquelle je m’enfonçais.

Nous buvions jusqu’à l’écœurement. Nous commencions dès le matin par quelques bières innocentes et du vin. En fin de soirée venaient les alcools plus forts. Nous fumions de l’herbe et carburions aux amphétamines.

Lors de son retour à Londres, Mary avait consommé de l’héroïne et m’en avait vanté les effets. Elle rêvait d’en reprendre, de m’initier, mais nous n’avions pas la somme suffisante pour nous en procurer.

Je ne lui avais pas dit que j’avais mis de l’argent de côté, je ne voulais pas de cette substance. Depuis Paris, je l’associais au viol, au malheur et à la mort.

L’image de Floriane, prisonnière des deux hommes, la main tendue, continuait de me hanter.

Il nous arrivait de passer de longues heures, allongés sur le lit, l’un à côté de l’autre, à retourner mille pensées sans échanger un mot. Nous écoutions nos souffles, les Stones ou les bruits qui circulaient dans la maison. Quand le silence devenait trop lourd, nous faisions l’amour.

Nous avons passé la soirée du réveillon dans ma chambre. C’était notre havre. Mary fêtait ses vingt ans. La maison était calme.

Dans la rue, les gens riaient, criaient, sifflaient. Les voitures roulaient plus vite que de coutume. Nous entendions la cacophonie des avertisseurs, le crépitement des feux d’artifice au loin.

Nous avons fait l’amour à en perdre haleine.

Au petit matin, je lui ai dit que je l’aimais. Les mots sonnaient étrangement dans ma bouche. Je les entendais sans cesse dans les chansons, mais je les prononçais pour la première fois.

Elle n’a pas dit un mot, elle m’a pris dans ses bras et m’a serré longuement. Elle paraissait songeuse.

Après un moment, elle a pris son souffle et m’a avoué avoir été enceinte.

Quelques semaines après leur mariage, son mari avait invité l’un de ses amis pour le dîner. Ils avaient mangé, ri et bu plus que de raison. En fin de soirée, ils avaient baisé à trois. Elle n’avait pas trouvé l’expérience désagréable, mais elle pensait qu’il ne s’agissait que d’un concours de circonstances. La semaine suivante, il a recommencé. Et la semaine suivante. Son appétit était insatiable. Sans cesse, il ramenait d’autres hommes, certains qu’elle ne connaissait pas. Il lui arrivait de devoir satisfaire trois hommes dans la soirée.

Un jour, elle a eu du retard, ses règles ne sont pas apparues. Elle est allée voir son médecin, il lui a annoncé qu’elle était enceinte. Elle a quitté son mari pour se faire avorter à Londres.

Personne ne savait rien de cette histoire. J’étais le seul à qui elle avait osé l’avouer.

Sa confession n’a rien changé à mes sentiments, mais quelque chose s’était cassé en elle.

Quelques jours plus tard, elle m’a annoncé qu’elle partait pour Berlin. Un agent allemand dépêché à Londres par une association de night clubs berlinois était venu recruter de nouveaux artistes.

Il l’avait vue chanter avec les Frames. Le soir même, il leur avait proposé un contrat de trois mois dans une boîte branchée. Ils seraient logés, nourris, blanchis, avec un salaire à la clé.

Hormis le bassiste, ils avaient d’emblée accepté. L’Allemand avait décrété qu’il s’engageait à trouver un remplaçant au bassiste à Berlin. Il a pris Mary à part. L’essentiel était que la chanteuse soit partante.

J’ai annoncé à Mary que je ne voulais pas la quitter et que j’allais l’accompagner.

Elle s’est emportée, trois mois, ce n’était pas long, je n’étais pas raisonnable, j’avais un travail, j’avais mes amis, ma passion, il n’y aurait rien à faire pour moi là-bas, ces trois mois passeraient vite.

J’ai insisté. Je dénicherais un job à Berlin, même si je devais servir dans un bar, laver les vitres, porter des journaux ou balayer les trottoirs. Peut-être trouverais-je une place de batteur, de nombreux groupes jouaient dans les grandes villes allemandes.