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Je restais campé sur mes positions, j’estimais que le rock devait être pur et dur ou ne plus porter le nom de rock. Je restais fidèle aux Rolling Stones, je trouvais que les Beatles avaient trahi la cause, leur dernier simple, Strawberry Fields Forever était mollasson.

Gunther prétextait que c’était une évolution logique, qu’il n’était pas envisageable de continuer à composer des rocks basiques sur trois accords jusqu’à la fin des temps. Il aimait ces nouvelles sonorités exotiques et appréciait des groupes américains comme les Byrds.

Un soir, alors que Gunther me disait tout le bien qu’il pensait d’Arnold Layne, le single de Pink Floyd, le téléphone a sonné. Il a échangé quelques mots avec son interlocuteur et m’a dévisagé.

Je me souviendrai de ce jour jusqu’à mon dernier souffle. Le contrat de Mary touchait à sa fin. C’était le 14 mars 1967.

Il pleuvait.

50

Back up

Stern partit du principe que l’enregistrement avait eu lieu et qu’il constituait la clé de voûte de l’affaire.

Que s’était-il passé ce soir-là ?

Qu’était-il advenu de cet enregistrement ?

L’espace d’un instant, il souleva la possibilité que le résultat de la séance n’avait pas donné satisfaction aux organisateurs, ce qui fournissait une explication au fait que le disque n’était jamais sorti.

Après réflexion, il écarta cette hypothèse, l’argent en excluait la probabilité. Si leur performance avait été médiocre, les musiciens n’auraient pas été rémunérés, d’autant qu’ils avaient perçu l’argent dès la fin de leur prestation, contrairement aux pratiques en vigueur dans la profession. Au Royaume-Uni, les artistes étaient payés au pourcentage ou selon un barème forfaitaire, ils recevaient leur dû un an après la sortie du disque. Ce délai grimpait à un an et demi pour les ventes réalisées à l’étranger.

Stern en conclut qu’un événement inattendu avait contrarié la sortie du disque ou que celui-ci était destiné à un autre marché ou à un autre usage.

Il se pencha sur l’absence présumée de l’un des musiciens, celui qui était resté à l’appartement et n’avait pu se rendre à l’enregistrement. Il consulta le tableau qu’il avait réalisé et procéda par élimination.

Il lui parut raisonnable d’exclure d’emblée Jim Ruskin. Ce dernier avait vraisemblablement été l’homme de contact du groupe auprès des organisateurs, sa bonne connaissance de l’allemand penchait en faveur de cette thèse. Les contacts téléphoniques qu’il avait eus avec le dénommé Karl depuis l’appartement de Birgit et les déclarations qu’il lui avait faites la veille et le lendemain du 14 mars confortaient cette option.

En examinant le profil des autres, il conclut que l’absence de Larry Finch à un tel événement ne pouvait être envisagée. Il était le fondateur et le leader de Pearl Harbor. Sans chef de file, un groupe ne fonctionnait pas, surtout s’il était question de réaliser un enregistrement.

Steve Parker était son complice de la première heure. Il tenait la lead guitare et assurait le chant. À eux deux, ils formaient l’âme de Pearl Harbor. Il y avait peu de chances que l’enregistrement ait pu se passer de leur présence.

Restait le quatrième membre, Paul McDonald, le batteur.

McDonald avait parlé de l’enregistrement à Stuart lors de son retour à Londres, mais avait éludé les questions que son ami lui avait posées et n’avait donné aucun détail sur ce qui s’était passé.

C’était un homme de forte constitution. Il buvait énormément et était réputé pour tenir l’alcool et être de santé robuste.

Avait-il été victime d’un malaise de dernière minute ?

Michael Stern prit contact avec Nick Kohn, un chroniqueur musical londonien qu’il avait eu l’occasion de rencontrer lors d’un colloque. Il lui expliqua le sens de sa démarche, lui exposa le contexte et les faits.

Kohn lui répondit qu’aucun musicien n’était réellement irremplaçable lors d’un enregistrement.

De nombreux musiciens de studio intervenaient dans ce genre de situation, soit pour remplir le rôle d’un absent, soit parce que les arrangements l’exigeaient, soit encore dans le but de donner une valeur ajoutée à certaines parties du morceau.

Dans bien des cas, lors d’une absence, on faisait appel à une autre technique, le re-recording. Le procédé consistait à enregistrer après coup des parties sur une piste supplémentaire.

Il prit pour exemple le récent morceau de Cream intitulé Sunshine of Your Love. Clapton avait joué la partition de la guitare solo et celle de la guitare rythmique à l’aide de cette méthode. D’après ses dires, Paul McCartney avait enregistré un titre entièrement seul en jouant de chaque instrument puis en pratiquant des overdubs successifs.

Enfin, Kohn lui confia que dans le monde fermé du rock, on considérait que le line-up classique d’un groupe était composé de trois musiciens et d’un batteur, ce dernier étant souvent considéré comme un mal nécessaire. Cette fonction était par ailleurs appelée à disparaître au profit des boîtes à rythmes, un nouveau composant électronique révolutionnaire. Même si ces boîtes à rythmes n’étaient pas encore au point à l’heure actuelle, il augurait que ces machines allaient se révéler plus précises et surtout plus économiques que l’être humain. Les premiers modèles venaient du Japon et commençaient à être utilisés dans de nombreux studios.

En conclusion, s’il devait émettre un pronostic en réponse à la question de Stern, il estimait que le batteur était le membre le plus facile à suppléer dans un groupe de rock.

Il conclut son appel en déclarant que dans une ville comme Berlin, où de nombreux groupes de bon niveau se produisaient, il ne devait pas être très compliqué de dénicher un batteur valable pour assurer un back up.

51

Trouver un téléphone

Le téléphone contre une oreille, une main plaquée sur l’autre, Gunther écoutait son interlocuteur sans me lâcher des yeux.

Je voyais à la manière dont il me regardait que l’appel me concernait d’une manière ou d’une autre. À un moment, il a hoché la tête et a prononcé quelques mots en forçant la voix pour couvrir le bruit de la musique ambiante. Il a posé la main sur le cornet et m’a interpellé.

Il avait le patron du Viktoria au téléphone, un bar situé près de l’Europa Center dans lequel je passais de temps à autre pour boire un verre et écouter le groupe de rock qui officiait chez lui. Le gars venait de recevoir un appel de quelqu’un qui cherchait d’urgence un batteur pour assurer un back up. Je lui avais laissé ma carte, il tentait sa chance.

Gunther a demandé ce qu’il devait lui répondre.

J’étais d’accord sur le principe.

Gunther a repris le téléphone et traduit ma réponse. Le patron du Viktoria lui a transmis un numéro de téléphone, il fallait rappeler immédiatement, faute de quoi la mission me passerait sous le nez.

Gunther a formé le numéro dans la foulée. Il est tombé sur un type surexcité qui s’appelait Karl. Je l’entendais hurler au téléphone malgré le vacarme qui régnait au Graffiti.

Je devais sauter dans le premier taxi et rappliquer à toute allure. Je ne devais pas me préoccuper du matériel, une batterie était sur place et trois guitaristes attendaient. Je recevrais six cents marks pour la soirée et mes taxis me seraient remboursés.