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Il se heurta à l’inévitable barrière administrative et dut batailler ferme pour obtenir la vague promesse qu’une aide-soignante qui s’était penchée sur le cas en question le rappellerait dans les meilleurs délais.

Sans nouvelle, il profita d’un jour de congé pour se rendre à Bruxelles.

Le jeudi 13 janvier, il débarqua au service d’admission de l’hôpital Saint-Pierre et demanda à parler à l’un de ses pairs.

Il patienta dans le hall durant une demi-heure, mais finit par recevoir la visite d’une jeune kinésithérapeute. Elle l’écouta et s’engagea à l’aider.

Elle le pilota au service des urgences où ils mirent la main sur une infirmière qui se souvenait de X Midi.

Elle se rappelait que l’homme portait quelques données sur l’une de ses mains, mais se déclarait incapable de se rappeler de quoi il s’agissait. En revanche, l’information avait été transmise à la police qui l’avait consignée dans son rapport.

Dominique se rendit dans la foulée au commissariat de police chargé de l’affaire, situé rue Marché au Charbon, non loin de là.

Contrairement à ses craintes, il fut reçu par l’officier dirigeant, Gérard Jacobs, un homme chaleureux d’une cinquantaine d’années, à la moustache fournie et à l’accent rocailleux.

Les explications de Dominique le convainquirent et il lui ouvrit l’accès au rapport.

Il apprit que l’information annotée sur la main gauche de X Midi comportait des lettres et des chiffres, A20P7. Le policier précisa qu’un groupe d’informaticiens et un cryptanalyste s’étaient penchés sur cette formule, mais que l’examen n’avait pas apporté de clarification. Il lui communiqua les quelques éléments contenus dans le dossier et lui fit part du constat d’échec qui avait résulté des diverses démarches entreprises pour identifier l’homme.

Dominique s’engagea à son tour à lui transmettre les éventuelles informations qu’il recueillerait.

Le lendemain, Dominique se précipita dans le couloir et fit irruption dans la chambre.

X Midi le fixait avec curiosité.

Dominique s’assit sur le lit.

— A20P7.

L’homme referma les yeux. Des larmes troublèrent son regard.

— C’est ce que tu attendais de moi, n’est-ce pas ? Tu es prêt à m’en dire plus maintenant ?

X Midi sembla hésiter quelques instants, puis cligna des yeux.

Dominique se dirigea vers l’armoire et sortit l’abécédaire.

— Tu te souviens ? Tu sais encore comment ça fonctionne ?

L’homme acquiesça.

Il plaça l’abécédaire bien en vue et laissa X Midi examiner le document durant quelques instants.

— On y va ?

L’homme continuait de fixer l’affiche.

— Voyelle ?

Pas de réaction.

— On y va pour les consonnes ? S ? T ? N ? R ? L ? D ? C ?

L’homme cligna.

— C ? Ok ? C est ta première lettre. Voyelle ?

L’homme semblait troublé.

— Voyelle ?

Il approuva.

— E ?

Affirmation.

— CE, c’est noté.

L’homme ferma les yeux et les tint clos. L’exercice semblait l’épuiser. Il resta un long moment immobile avant de rouvrir les yeux.

Dominique embraya aussitôt.

— On continue ? Voyelle ? Non ? Ok, S ? T ? N ? R ? L ? D ? C ? P ? M ? Ok. M est la troisième lettre. CEM ?

L’homme ferma une nouvelle fois les yeux.

Dominique sentit qu’il se repliait à nouveau. Il se pencha et lui prit la main.

— Tu dois m’aider, mon ami. Je ne connais aucun mot qui commence par CEM. Tu veux bien m’aider ?

L’homme semblait s’être assoupi.

Dominique patienta quelques minutes, figé au pied du lit, l’abécédaire dans les mains.

X Midi rouvrit enfin les yeux.

— On continue le mot ?

L’homme resta sans réaction.

— Tu veux commencer un nouveau mot ?

Il acquiesça.

— Voyelle ? Non ? Consonne.

Il dut aller jusqu’à la lettre X.

— Tu es sûr ? X ? CEM X ?

L’homme cligna.

Dominique ne se découragea pas.

— Voyelle ?

X Midi commençait à transpirer.

— Consonne ?

Dominique entama la série de consonnes. L’homme l’arrêta à la lettre L.

— CEM XL ?

L’homme acquiesça, referma les yeux et les tint clos.

Dominique lui épongea les yeux, lui parla doucement.

— CEM XL. C’est tout ?

L’homme rouvrit lentement les yeux. Dominique y lut une grande détresse.

61

Mon pouvoir de disposer de moi-même

Plus jamais je ne pourrai communiquer avec ce monde. Ces exercices me demandent un effort surhumain. J’ai lu tant et tant de livres, mais je ne suis plus capable de construire le moindre mot. Consonnes et voyelles se livrent un combat sans merci.

Ils ont atteint leur objectif. Je suis réduit au silence. Je ne représente plus de danger pour eux. Mon histoire tombera à jamais dans les oubliettes.

Peu importe à présent s’ils retrouvent ma trace. Je dois remplir le devoir que je me suis imposé, ma raison d’être pendant ces années d’errance.

J’aurais pu partir en paix s’ils ne m’avaient privé de ma dernière liberté, mon pouvoir de disposer de moi-même.

62

Dans son calepin

Lorsqu’il apprit que Hilde Bachmann, l’étudiante qu’il avait recrutée, avait eu un échange prometteur, Michael Stern se rua sur le téléphone et réserva un billet d’avion pour Berlin.

Le week-end approchait et son escapade passerait inaperçue. L’obstination dont Stern avait fait preuve à propos de cette enquête avait irrité son rédacteur en chef. Ce dernier lui avait demandé récemment s’il avait fait une croix sur cette affaire et Stern avait répondu par l’affirmative.

Depuis, une partie des rentrées d’argent du journaliste disparaissait dans cette aventure sans qu’un indice probant atteste que ces morts obéissaient à un mobile commun.

Sa femme montrait également des signes de contrariété à son égard. Après avoir engagé des étudiants pour lancer des centaines d’appels téléphoniques depuis leur domicile, son mari partait à Berlin pour mener une enquête personnelle, le tout financé par leurs économies.

De plus, elle le trouvait nerveux ces derniers temps, il était irascible et semblait obsédé par cette affaire.

Michael Stern débarqua à l’aéroport de Tempelhof le samedi 25 novembre 1967, en milieu d’après-midi. Il prit un taxi, fit un rapide crochet à l’hôtel qu’il avait réservé et se rendit au Viktoria Bar.

Fred Weiss se souvenait de l’appel téléphonique de la soirée de mars. L’homme qui l’avait appelé semblait fébrile et sous pression. Il était à la recherche d’un musicien pour assurer un back up le soir même. Il savait qu’un groupe de rock officiait au Viktoria et souhaitait louer les services du batteur.

Il était près de minuit, l’ambiance était à la fête et la clientèle nombreuse. Pour Weiss, il était hors de question de mettre un terme à la session du groupe pour libérer le batteur. L’homme au téléphone avait insisté et proposé une somme d’argent pour le faire changer d’avis, mais il avait tenu bon.

Il avait alors pensé à l’un de ses clients ponctuels. L’homme était canadien. Il racontait qu’il était de passage à Berlin et que sa petite amie chantait dans un groupe. Il était batteur. Il se disait prêt à accepter une affectation temporaire et lui avait laissé sa carte de visite.