Выбрать главу

Le procédé consistait à insérer des sons ou des paroles enregistrés à l’envers. D’après lui, John Lennon avait découvert cette technique par hasard, en manipulant des bandes alors qu’il avait abusé de marijuana.

Par la suite, les Beatles l’avaient utilisé à plusieurs reprises, en introduisant des phrases, des bruits ou en passant un solo de guitare à l’envers comme ils l’avaient fait dans un de leurs titres. C’était une facétie, un jeu, une lubie de George Martin, leur producteur.

Dans A Day in The Life, la technique utilisée était plus complexe. La partie symphonique était jouée par une quarantaine de musiciens du Royal Philarmonic et du London Symphonic Orchestra. McCartney leur avait demandé de jouer la note la plus basse de leur instrument et d’aller vers la plus haute de la manière et à la vitesse qu’ils souhaitaient.

Le mystérieux sillon final contenait selon lui un message caché, composé à partir d’une bande inversée et d’un sifflement inaudible par l’oreille humaine, mais censé faire aboyer les chiens.

En temps normal, cette discussion m’aurait amusé, mais cette hypothèse ouvrait des perspectives inquiétantes.

Était-il possible de glisser dans un disque des messages ou des sons que notre oreille n’entendait pas, mais que notre cerveau pouvait décoder ? Ces messages pouvaient-ils traverser notre conscient, atteindre notre subconscient et influencer nos comportements ?

Je suis rentré à l’appartement avec la tête chargée d’énigmes et d’informations contradictoires. Un bref coup d’œil m’a suffi pour comprendre que Mary n’était pas venue de la journée.

J’ai eu un moment de panique. J’ai avalé quelques comprimés de Pervitine et je me suis rendu en toute hâte à Soho, au Ronnie Scott’s Club. Le patron des lieux m’a appris que le concert de la veille avait dû être annulé par ma faute. Les gars n’avaient trouvé aucun batteur et Mary avait disparu.

J’ai parcouru les endroits que nous fréquentions, poussé les portes, interrogé ceux qui nous connaissaient. Je devais avoir l’air d’un fou, je lisais de la frayeur et de l’embarras dans les yeux des personnes que j’interrogeais.

De fil en aiguille, j’ai appris qu’on l’avait vue avec Gab, un Jamaïquain que nous croisions de temps à autre. À plusieurs reprises, il avait voulu nous vendre de l’héroïne et j’avais refusé.

Je savais où le trouver. Je me suis rendu chez lui. Il habitait à Brixton. Un ivrogne m’a guidé jusqu’à sa piaule. Il logeait sous le toit d’un petit immeuble de deux étages dans Brixton Road, à l’intersection d’Angell Road.

J’avais les nerfs à vif. Un coup d’épaule m’a suffi pour ouvrir la porte d’entrée. J’ai monté l’escalier à toute vitesse et j’ai tambouriné à sa porte. Je savais qu’il était armé, comme la plupart des dealers, et je ne voulais pas prendre de risque.

Il est venu ouvrir. Il était torse nu. Il avait passé en hâte une paire de jeans. Sa peau ruisselait. Il avait le regard lointain des types en plein trip. Il tenait son flingue dans sa main.

Il m’a demandé ce que je voulais. Je voulais savoir où était Mary. J’ai lu la réponse dans ses yeux. Il a senti le danger. Il a tenté de refermer, mais j’ai pesé de tout mon poids sur la porte. Je l’ai ouverte à la volée et me suis précipité dans la chambre, Gab sur mes talons. Il hurlait, me sommait de m’arrêter, me menaçait de tirer.

Mary était allongée sur un matelas, au fond de la pièce. Une couverture élimée ne cachait rien de sa nudité. Elle semblait endormie, mais ses yeux étaient ouverts et elle me fixait sans me voir.

L’image de Floriane meurtrie entre ses deux violeurs m’a sauté au visage.

J’ai fait volte-face et je me suis dirigé vers Gab.

Il a pointé l’arme sur moi.

Le coup est parti. J’ai senti la balle me perforer l’épaule. J’ai continué à marcher sur lui. Il n’a pas eu le temps de tirer une seconde fois. Je lui ai arraché l’arme des mains. Je l’ai empoigné par les cheveux. J’ai projeté son visage contre la table. Je voyais rouge. Je l’ai remis debout. Toujours en l’agrippant par les cheveux, j’ai frappé une nouvelle fois son visage contre le mur. Et une fois encore. J’entendais ses os craquer, je voyais ses chairs se déchirer, mes mains étaient rouges de son sang.

Quand j’ai arrêté de le frapper, il n’était qu’une masse inerte entre mes mains. Je n’ai pas compris que je l’avais tué. Mon épaule ne me faisait pas souffrir, le sang coulait et ma chemise était trempée.

Mary était debout et regardait la scène.

Elle s’est avancée, nue, au milieu de la pièce. Elle marchait comme un automate, le regard absent. Elle m’a dévisagé, a posé les yeux sur le corps de Gab qui gisait à mes pieds. Elle était au bout du chemin, à la frontière de la folie.

Elle s’est soudain rendu compte de ce qui se passait. Ses yeux se sont agrandis, elle a posé les mains sur sa bouche.

C’est la dernière image que je garde d’elle.

64

Ma dignité

Le bruit de la détonation avait alerté le voisinage, le hurlement des sirènes s’intensifiait. Brixton était un quartier mal famé et les flics intervenaient rapidement.

Je maudissais Mary. Je la maudissais de m’avoir trahi. Je la maudissais de m’avoir amené à commettre l’irréparable. Je la maudissais et je me maudissais. J’ignorais que la meth que j’avais dans le sang était en grande partie responsable de mon accès incontrôlé d’agressivité.

Malgré mon ressentiment, j’aurais dû l’envelopper dans une couverture, la charger sur mon épaule et l’emmener loin de là. J’aurais dû lui épargner la souffrance, le harcèlement, les vexations.

Ma colère et ma peur l’ont emporté sur ma raison. J’ai paniqué et j’ai pris mes jambes à mon cou.

J’ai erré dans les rues jusqu’à l’aube. Je longeais les façades, je me terrais dans leur ombre. J’étais déboussolé. Je pleurais, j’étais ivre de rage. La douleur s’était éveillée et mon épaule me faisait souffrir. La Pervitine continuait à agir. J’étais survolté, j’avais la haine à fleur de peau. Je voulais m’attaquer aux ivrognes que je croisais. Je devais me maîtriser pour ne pas les saisir au collet et les rouer de coups, comme je l’avais fait avec Gab.

Le soleil s’est levé tôt. Le solstice d’été approchait. J’ai pris le métro et je suis allé chez Brian. Je savais qu’il disposait d’une pharmacie complète chez lui. J’ai sonné. Il est venu à la porte, mais n’a pas voulu me laisser entrer. J’ai forcé le passage, je l’ai empoigné par le col de son peignoir et l’ai contraint à descendre à la cave.

Il couinait comme un rat, implorait ma pitié. J’ai exigé qu’il ouvre le coffre-fort dissimulé à l’arrière du bar, derrière le miroir. J’ai pris l’argent qu’il contenait. Brian s’est mis à pleurnicher, il tremblait, bavait et s’était pissé dessus. J’ai pris une bouteille et l’ai frappé sur le sommet du crâne. Il s’est effondré comme une masse.