L’espace d’un instant, il crut détenir la solution. X Midi souhaitait qu’il consulte une carte d’état-major de la commune d’Ixelles et A20P7, les données qui étaient inscrites sur sa main, représentaient les coordonnées UTM, les lettres et les chiffres qui, disposés en abscisses et ordonnées, permettaient de situer un emplacement précis sur une carte.
Il se mit à la recherche d’une carte détaillée de la commune d’Ixelles, mais dut rapidement déchanter. Non seulement il ne fut pas en mesure de se procurer une carte d’état-major ou une carte topographique d’Ixelles, mais de plus, la combinaison A20P7 ne correspondait à aucune donnée UTM ou GPS.
Il en fut de même lorsqu’il consulta le plan De Rouck, le guide que tous les Bruxellois promenaient dans le vide-poche de leur voiture avant l’apparition du GPS.
Le second éclaircissement lui fut livré de manière tout aussi impromptue, en marge d’un décès qui était survenu à la clinique.
Il se trouvait au secrétariat au moment où l’entreprise de pompes funèbres se présenta pour enlever le corps. Les documents relatifs au transfert des restes mortels ainsi que le certificat d’acceptation par la commune de destination étaient accompagnés d’un papier qui précisait le lieu de la sépulture :
CIMETIÈRE DE VERREWINKEL,
125 avenue de la Chênaie, 1180 Bruxelles
Allée 9, Pelouse 16, Emplacement 53
Depuis le temps que la combinaison A20P7 tournait dans sa tête, il se penchait sur tous les types de coordonnées qui associaient des lettres et des chiffres pour en étudier la construction.
La vue du document le fit bondir.
X Midi lui avait indiqué l’emplacement d’une tombe.
Le A et le P correspondaient. Cette hypothèse donnait également un sens à CEM. L’homme parlait anglais. Au vu de son état de confusion et de la difficulté qu’il éprouvait à utiliser l’abécédaire, il avait dû confondre cimetière avec son équivalent anglais cemetery, ce qui expliquait également les raisons pour lesquelles il n’avait pas complété le mot.
À la fin de son service, Dominique lança un appel téléphonique au cimetière d’Ixelles. La préposée lui confirma qu’il existait, non pas une allée, mais une avenue 20 et une pelouse 7. Cette zone était située dans la partie est du cimetière, non loin du chemin de fer, et renfermait une centaine de tombes.
Le lendemain, Dominique se présenta chez X Midi sans lui servir ses facéties habituelles.
Il s’assit sur le lit sans un mot et attendit que l’homme accroche son regard.
— Bonjour, mon ami.
L’homme l’examina avec curiosité.
— Tu aimerais que j’aille faire un tour sur la pelouse 7 située dans l’avenue 20, au cimetière d’Ixelles ?
Il lut dans les yeux de l’homme le même appel de détresse qu’il y avait décelé quand il lui avait donné le message.
— Tu veux que j’y aille, c’est ça ?
L’homme acquiesça.
— Je vais y aller, mon ami, mais il y a une centaine de tombes là-bas et il me manque le numéro de l’emplacement.
L’homme sembla pris de panique.
— Je t’ai dit que ça resterait entre nous. Tu me fais confiance ?
L’homme cligna des yeux, détourna le regard et se perdit dans l’écran de télévision.
Dominique patienta.
Après quelques minutes, il sembla s’apaiser.
Dominique l’interpella.
— Tu veux bien me parler ?
D’un clignement, l’homme marqua son assentiment.
Dominique se leva, ouvrit l’armoire, prit l’abécédaire et le posa sur le lit, face à l’homme.
Il proposa la série de chiffres, mais X Midi ne répondit pas.
— Tu ne connais pas le numéro, c’est ça ?
L’homme approuva.
— Dans ce cas, donne-moi le nom.
L’homme ouvrit grand les yeux et se mit à transpirer.
Dominique fit mine de ne pas y prêter attention et entama la série de voyelles. Il poursuivit avec la série de consonnes, mais X Midi ne l’arrêta pas.
— Tu veux réfléchir ? Attendre quelques jours ? Être sûr de mon amitié ?
L’homme semblait hésiter.
— Tu veux que je recommence ?
Il exprima son accord.
Dominique reprit les séries.
À chaque lettre, l’homme semblait se creuser les méninges, comme s’il craignait de se tromper ou s’il éprouvait des difficultés à se remémorer le nom qu’il épelait.
L’exercice prit plus d’une demi-heure et permit d’identifier cinq lettres.
O-D-I–L-E.
X Midi transpirait abondamment. L’effort de concentration qu’il avait fourni l’avait épuisé.
Dominique lui épongea le front.
Il tenait le prénom, mais il lui manquait le nom de famille. Il n’insista pas, ce serait un coup de malchance s’il y avait plusieurs Odile enterrées dans cette pelouse.
— J’irai là-bas cet après-midi.
L’homme continuait à fixer l’abécédaire.
— Tu veux ajouter quelque chose ?
X Midi était épuisé, mais il acquiesça.
La première lettre fut un F.
La seconde un L.
Dominique interrompit l’exercice.
— Tu veux que je lui apporte des fleurs ?
L’homme referma les yeux.
66
Un pauvre fou
Si j’avais eu un ami tel que lui, ma vie aurait sans doute été différente. J’avais besoin de structure, d’encadrement. Mes idées n’étaient pas toujours claires et je ne savais pas les exprimer. J’avais besoin d’un guide, de quelqu’un pour m’écouter, me comprendre, me conseiller.
Bien sûr, il y a eu Birkin.
Il m’a aidé à sortir de là.
Avec le temps, je ne sais si je dois le remercier ou le blâmer.
Birkin n’était qu’un pauvre fou.
67
L’homme en question
Michael Stern dut patienter jusqu’au mercredi 20 décembre pour pouvoir se rendre à Londres.
Ce jour-là, Lord George Brown, le ministre des Affaires étrangères, de retour de la réunion des Six à Bruxelles, informait la Chambre des Communes de la marche à suivre par le gouvernement.
Les affaires de politique extérieure n’étaient pas la spécialité de Stern, mais comme aucun journaliste du Belfast Telegraph ne s’était porté volontaire pour faire ce déplacement, il s’était proposé pour couvrir l’événement.
À son retour de Berlin, fin novembre, il avait eu une vive altercation avec sa femme qui lui reprochait de négliger sa vie de famille et de dilapider leurs économies pour financer une enquête que son rédacteur en chef n’avait pas approuvée. Pour éviter une nouvelle dispute, il lui avait promis de laisser tomber l’affaire.
Il avait laissé passer quelques jours et avait repris ses investigations dans la plus grande discrétion.
Début décembre, il avait eu un nouveau contact avec Nick Kohn, le chroniqueur musical londonien, et lui avait demandé de glaner des renseignements sur un groupe anglais qui avait joué à Berlin en début d’année. L’ensemble s’appelait les Frames et la chanteuse qui les accompagnait répondait au prénom de Mary. Il voulait également savoir s’il connaissait un batteur d’origine canadienne dénommé Jacques Berger.
Avant de conclure l’appel, il l’avait prié de traiter sa requête avec la plus grande confidentialité, ce que Kohn avait accepté.