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Une semaine plus tard, Kohn l’avait rappelé.

Il n’avait eu aucun mal à obtenir les informations demandées. Les Frames étaient un groupe de pop-rock constitué de cinq Anglais ; quatre musiciens et une chanteuse. Hormis cette dernière qui s’appelait Mary Ann McGregor, le line-up avait souvent changé. Le groupe avait été dissous à son retour de Berlin et une nouvelle formation était née peu de temps après, Mary and The Gouvernants. Le cœur du groupe était constitué de la chanteuse et d’un guitariste des ex Frames.

Un batteur, le dénommé Jacques Berger, un bassiste et un guitariste anglais avaient été engagés dans la foulée.

Le groupe était prometteur, mais un fait divers avait mis fin à leur ascension. En juin, le batteur avait grièvement blessé un petit dealer de Brixton. Depuis, l’homme était en fuite. La chanteuse, présente au moment de l’agression, avait été traumatisée. Elle avait été soignée pour une sorte de dépression nerveuse, mais en était sortie et s’était remise à chanter.

Depuis, elle s’était assagie, avait changé son répertoire et son nom d’artiste. Elle se faisait maintenant appeler Mary Hunter. Il était possible de la voir au Dorchester, un hôtel de luxe situé sur Park Lane.

Elle y officiait sept jours sur sept et était chargée de charmer les touristes fortunés et les hommes d’affaires pendant la happy hour. Deux fois par semaine, elle chantait en fin de soirée au Village, un bar de Soho où elle retrouvait Bob Hawkins, l’ancien guitariste des Frames et des Gouvernants.

Stern remercia Kohn pour ces informations.

Il était satisfait d’avoir réussi à remonter la piste de Berger, cet exploit flattait sa fibre journalistique, mais à présent qu’il approchait du but, l’homme était en fuite, et personne ne savait où il se trouvait.

Le 20 décembre, après avoir mené quelques interviews en rapport avec sa mission, Stern se rendit au Dorchester.

Mary Hunter était une frêle jeune femme au teint pâle. Elle était vêtue d’une longue robe noire qui semblait ne pas lui appartenir. Elle ne portait aucun bijou et n’était pas maquillée.

Stern fut instantanément séduit par sa voix. Dès qu’elle entamait les premières notes d’une chanson, elle exerçait une véritable fascination sur le public.

À l’inverse de ce qu’il avait l’habitude de voir dans ce genre d’endroit, les clients s’arrêtaient de boire et de parler pour l’écouter.

Le pianiste qui l’accompagnait en faisait des tonnes, il grimaçait, agitait les bras en tous sens et considérait que les applaudissements lui étaient destinés.

Lorsque le tour de chant prit fin, Stern apostropha Mary et lui demanda s’il pouvait lui parler. Elle eut un mouvement de recul en voyant ce petit homme insignifiant qui l’interpellait en grimaçant. Il lui expliqua qu’il était journaliste et qu’il réalisait une enquête sur une série d’événements qui s’étaient produits en mars dernier à Berlin, au moment où elle y était avec son ancien groupe.

Elle accepta à contrecœur de lui parler et proposa d’aller autre part. Stern sortit du bar et l’attendit à l’entrée de l’hôtel. Elle revint quelques minutes plus tard, habillée d’un jeans et d’un gros pull en laine. Cette tenue la rendait plus insignifiante encore. Stern constata qu’elle était atteinte d’un léger strabisme.

Ils se rendirent dans un pub proche de l’hôtel où elle répondit de manière laconique à ses questions.

Elle avait eu une liaison avec Jacques Berger. Leur histoire avait duré moins d’un an. Lorsqu’il était à Berlin avec elle, il avait assuré un back up. Il avait dû remplacer au pied levé le batteur d’un groupe de rock pour réaliser un enregistrement. Le disque n’était jamais sorti. Ils s’étaient séparés en juin. Elle n’avait plus de nouvelles de lui.

C’était tout ce qu’elle avait à dire sur Berlin et Jacques Berger.

Stern comprit qu’elle n’en dirait pas plus et que son enquête risquait de marquer une fois de plus le pas. Il reprit la parole et retraça l’histoire des quatre membres de Pearl Harbor, de leur mort dans des conditions étranges, à quelques jours d’intervalles. Il lui dévoila l’ensemble des éléments qu’il avait découverts sans omettre le moindre détail. En final, il lui confia qu’il était arrivé à la conclusion que cet enregistrement avait un rapport direct avec ces disparitions suspectes.

La jeune femme changea d’attitude du tout au tout. Elle semblait effarée par ce qu’elle venait d’entendre.

Elle avait pensé que Jacques Berger avait eu des lubies, qu’il avait rêvé. Elle se rendait compte qu’il ne s’était peut-être pas trompé. Elle se déclara toujours éprise de lui. Elle souhaitait avoir de ses nouvelles et était prête à aider le journaliste dans ses recherches.

Stern commanda une nouvelle tournée et Mary Hunter reprit le récit depuis le début.

Lors de l’enregistrement, un des musiciens avait proposé du LSD à Jacques. Il n’en avait jamais consommé auparavant. Il l’avait pris et l’avait mal supporté. Le lendemain, il était confus et lui avait raconté une histoire extravagante. D’après ses dires, il était retourné dans le studio après l’enregistrement et avait surpris des hommes occupés à trafiquer les bandes. Elle pensait qu’il divaguait et n’avait pas prêté attention à cette histoire.

Début juin, alors qu’ils étaient rentrés à Londres, Berger avait lu un fait divers dans un quotidien. L’article revenait sur une rixe qui s’était déroulée dans une boîte en Allemagne et avait fait plusieurs victimes.

Sur l’une des photos, Berger avait cru reconnaître un des hommes présents lors de l’enregistrement. La vue de cette photo l’avait troublé. Il croyait à une conspiration et était persuadé que cet homme avait orchestré le massacre. Le jour même, il avait quitté Londres en lui laissant un mot expliquant qu’il devait connaître la vérité.

Il était revenu trois jours plus tard alors qu’elle était chez un ami. Berger était devenu fou. Il avait forcé la porte, les hommes s’étaient battus et Berger avait grièvement blessé son ami avant de prendre la fuite. L’enquête de police avait conclu que Berger avait agi en état de légitime défense, mais il n’était plus là pour témoigner.

Depuis ce soir-là, elle n’avait plus eu de nouvelles de lui.

Stern lui demanda si elle avait une idée, même vague, de l’endroit où Berger aurait pu se rendre.

Elle lui confia qu’il ne s’appelait pas Jacques Berger, que c’était un faux nom, mais qu’elle ne connaissait pas sa véritable identité. C’était un homme secret, introverti, peu communicatif, dont les idées n’étaient pas toujours claires. Il lui avait très peu parlé de son enfance et de son passé. Elle savait qu’il avait grandi à Bruxelles, c’était à peu près tout. Il avait été attentionné et prévenant avec elle et il lui manquait beaucoup.

Stern voulut savoir si quelqu’un était susceptible d’en savoir plus.

Berger avait un ami que l’on appelait Birkin, elle ne savait pas si c’était un surnom ou son vrai nom. Elle ne l’avait plus vu. Ils avaient tous deux travaillé chez un disquaire, c’était peut-être une piste à explorer.

C’était maigre. Stern ne voyait pas de quelle manière exploiter les informations qu’il avait reçues. Il résolut de passer la nuit à Londres et d’aller chez le disquaire le lendemain.

Il trouverait bien une raison valable à présenter à sa femme pour justifier l’ajournement de son retour à Belfast.

Avant de quitter Mary, il lui remit sa carte de visite et lui demanda si elle se souvenait du journal dans lequel Berger avait vu la photo de l’homme en question.

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