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Comment Berger était-il parvenu à identifier cet homme sur une telle photo ?

Stern ne se découragea pas pour autant. Rien ne prouvait qu’un des spectateurs faisait partie des hommes présents le 14 mars dans le studio de Berlin, mais le concours de coïncidences était troublant.

Avant de recueillir le témoignage de Mary Hunter, il était arrivé à la conclusion que l’enregistrement était l’élément déclencheur de la disparition des membres de Pearl Harbor. Les informations que la chanteuse lui avait livrées l’avaient définitivement convaincu.

Un incident s’était produit lors de cette séance, probablement l’intrusion de Berger, et ces morts en étaient la conséquence.

Berger avait parlé d’individus qui trafiquaient les bandes.

Dans quel but ? Quel rapport pouvait-il y avoir avec le massacre de la Saint-Boniface ?

Le lien établi par Berger était ténu, mais valait la peine d’être exploré.

Stern voulait connaître tous les détails qui concernaient les événements de Ramstein ainsi que les conclusions de l’enquête.

Il prit contact avec Hans Büler, le correspondant du Belfast Telegraph à Bonn. Ce dernier n’avait pas suivi l’affaire, mais en connaissait les éléments clés.

L’enquête avait conclu à un phénomène de démence collective suivi d’un déchaînement incontrôlé de violence.

Un fait similaire s’était produit à Lima en 1964, lors d’un match de football. Un but refusé avait été à l’origine de bagarres qui avaient fait trois cent vingt morts et plus de mille blessés.

Plus récemment, en septembre, à nouveau dans un stade de football, mais en Turquie cette fois, une situation analogue s’était soldée par la mort de quarante personnes, dont vingt-sept par coups de couteau.

En revanche, c’était la première fois qu’on recensait ce genre de débordement dans une boîte de nuit. Le bilan définitif faisait état de dix-huit morts.

Cette dernière information fit réagir Michael Stern. Les articles parus au moment des faits parlaient de quinze morts.

Hans Büler lui expliqua que deux personnes avaient succombé des suites de leurs blessures et qu’un des employés de la discothèque, le disc-jockey, s’était suicidé.

On l’avait retrouvé pendu chez lui, quelques jours après les faits.

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Je me suis fait mon idée

Je travaillais six jours sur sept. Mon jour de relâche tombait le mercredi, comme celui de Andy, ce qui nous permettait de nous rencontrer et de partager certaines activités.

Nous nous retrouvions devant l’église de la rue du Temple en milieu d’après-midi. De là, nous empruntions le sentier du Télégraphe et montions à pied jusqu’à Glion, un petit village niché dans les hauteurs, sur la route de Caux.

Le patelin abritait un bistro tenu par un Belge où nous buvions des Stella et fumions des joints. Andy savait où s’en procurer. Les prix étaient plus élevés qu’à Londres, mais la qualité était au rendez-vous.

De par mon mode de vie, j’avais peu à peu réduit ma consommation d’herbe. Je continuais à prendre des amphés, mais plus dans le but de rester éveillé toute la nuit que pour les sensations que cela m’apportait.

En fin d’après-midi, quand les effets de l’alcool et de l’herbe se faisaient sentir, je lui parlais de rock. Je m’étais offert un tourne-disque portatif et m’étais acheté quelques albums. Jimi Hendrix, Cream, Grateful Dead et Jefferson Airplane étaient en haut de la pile.

Andy me parlait de photographie et de peinture, ses deux passions. De nous deux, c’était lui qui parlait le plus. À certains moments, il s’enflammait, ponctuait son discours d’intonations chantantes et de gestes théâtraux. Andy était gay. Son homosexualité n’a jamais posé de problèmes ni créé d’ambiguïté dans nos rapports.

Un jour, je lui ai raconté l’histoire que j’avais vécue dans ma jeunesse et nous en sommes restés là.

Andy commençait la plupart de ses phrases par ces mots : quand je serai riche et célèbre.

Il avait fait ses études artistiques à l’université de Washington et à l’école d’Art de Yale. Il avait remporté une bourse et était parti étudier à Rome avant d’entamer son tour du monde. Montreux n’était que sa seconde étape.

Il disait qu’il allait lancer un nouveau courant pictural, le superréalisme. Il en serait le chef de file, mais d’autres artistes lui emboîteraient le pas. Il monterait de gigantesques expositions dans les plus prestigieuses galeries d’art de la planète et le monde entier l’applaudirait.

Quand il dissertait sur son art, il utilisait des expressions complexes, il parlait de subjectivité affective, d’illusionnisme, de leurre pictural.

Il estimait que la photographie était à mi-chemin entre l’art et la réalité. Il voulait créer une rupture avec l’art abstrait qui dominait. Je l’écoutais sans le comprendre.

Un jour, je lui ai demandé de me présenter ses toiles. Il a semblé réticent. Il les expédiait vers les États-Unis quand elles étaient terminées.

Cela faisait plusieurs semaines qu’il travaillait sur un projet ambitieux. Il a accepté ma demande, mais je ne pourrais découvrir le résultat que lorsqu’il l’aurait mené à bonne fin.

Lors d’une de nos rencontres, Andy a émis une théorie concernant nos centres d’intérêt respectifs. Il affirmait que la vue et l’ouïe étaient les sens exclusifs de l’art. La vue permettait de percevoir la réalité, de capter les objets, de les décrire et de prendre conscience de leur présence. Elle était à la base du raisonnement scientifique.

En revanche, l’oreille ne pouvait transcrire les informations qu’elle captait que sous une forme temporaire. Cette précarité était à la base de la charge émotionnelle que procuraient certains sons en général et la musique en particulier. Il prétendait que l’ouïe récoltait plus l’émotion que la notion.

Je n’ai pas tout de suite saisi la portée de sa thèse, mais il venait de me livrer les éléments qui allaient m’aider à trouver une explication à ce qui s’était passé dans le studio.

Dès le lendemain, je me suis inscrit à la bibliothèque de Montreux, proche de l’hôtel.

Je me suis également abonné à plusieurs revues scientifiques. Désormais, tout ce qui touchait au son, à l’acoustique, à la psychoacoustique, à la géophysique, à la physiologie et à la psychologie m’intéressait.

Le peu d’argent qui me restait en fin de semaine partait dans l’achat de bouquins qu’ils n’avaient pas à la bibliothèque.

Je les parcourais la nuit, pendant mon service. Je prenais des notes.

Quand je me suis senti prêt, j’ai entamé la rédaction de mon histoire en étayant ma thèse d’exemples et de données techniques issues de mes lectures.

Petit à petit, je me suis fait mon idée.

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Un an jour pour jour