Выбрать главу

Dès qu’il eut terminé sa tournée de soins, Dominique monta dans sa voiture et prit la direction du cimetière d’Ixelles.

Il était impatient et curieux de voir ce qui l’attendait. Odile n’était pas un prénom courant, mais que ferait-il s’il y avait plusieurs Odile dans ce parterre ?

Il gara sa voiture dans l’avenue des Saisons, entra chez un fleuriste et acheta un magnifique bouquet.

Il consulta le plan qui se trouvait à l’entrée du cimetière et remonta l’allée principale. Il contourna le rond-point et poursuivit dans l’avenue 3. Au second rond-point, il prit à gauche et emprunta l’avenue 20.

La pelouse 7 se trouvait au début de la voie.

Dominique s’arrêta et embrassa la vue. La température était douce pour ces premiers jours de février et un soleil éclatant l’obligeait à plisser les yeux.

Le cimetière était situé au milieu de la ville. Pourtant, seuls quelques cris d’enfants venus d’une école invisible troublaient le silence.

Le terrain partait en légère pente vers une haie de buis derrière laquelle passait le chemin de fer. Au-delà, les tours du boulevard du Triomphe barraient l’horizon.

Le parterre abritait une centaine de tombes, alignées côte à côte sur plusieurs rangées. Pour l’essentiel, il s’agissait de sépultures datant de 1991.

Il les remonta une à une en explorant les prénoms. Au milieu de la troisième rangée, il pila devant l’une d’elles.

ODILE CHANTRAINE
ÉPOUSE R. BERNIER
1920–1991

Il ressentit un choc.

Les battements de son cœur s’accélérèrent. Une photo de la défunte en noir et blanc se trouvait sous l’épitaphe. C’était trait pour trait le portrait de X Midi.

La sépulture semblait à l’abandon. Des traces noirâtres enlaidissaient la pierre tombale. Aucune fleur et aucune bougie ne se trouvaient au pied de la tombe.

Il disposa le bouquet et prit quelques photos de la sépulture.

Une femme qui se recueillait sur une tombe voisine s’approcha en boitillant. Elle ne mesurait pas plus d’un mètre cinquante et avoisinait les quatre-vingts ans.

Son visage reflétait la tendresse.

— Bonjour, Monsieur, excusez-moi de vous importuner.

Dominique lui adressa un large sourire. Elle était coiffée d’une perruque qu’elle avait arrimée de travers.

— Vous ne me dérangez pas, Madame, que puis-je faire pour vous aider ?

— Il n’a pas plu depuis plusieurs jours. J’aimerais arroser mes fleurs, mais les arrosoirs et les robinets sont au bout de l’allée et je marche difficilement.

— Vous aimeriez que j’aille vous chercher un arrosoir ?

— Ce serait aimable à vous. C’est pour mon mari, je viens le voir deux fois par semaine, depuis trente ans.

Elle jeta un coup d’œil à la tombe d’Odile Bernier.

— C’est quelqu’un de votre famille ?

Dominique comprit que l’arrosoir n’était qu’un prétexte à satisfaire sa curiosité.

— C’est quelqu’un de la famille d’un de mes patients, je travaille dans une clinique.

Elle écarquilla les yeux et esquissa une moue admirative.

— Dans une clinique ?

— Oui.

— Vous êtes un docteur ?

Dominique se mit à rire, cette femme l’amusait.

— Non, je ne suis pas assez malin pour ça, je ne suis que kinésithérapeute.

Nouvelle mimique.

— Quand mon mari était malade, un kinéthérapeute s’occupait de lui.

— Kinésithérapeute.

— Oui, je sais, c’est trop compliqué pour moi.

— Qu’est-ce qui est arrivé à votre mari, Madame ?

Elle fit une grimace fataliste.

— Cancer. Il est parti en trois mois de temps. Il avait à peine cinquante-sept ans. Il n’a jamais bu une goutte d’alcool et n’a jamais fumé. Et il jouait au tennis deux fois par semaine.

— Je suis désolé, Madame.

Elle balaya l’air d’un geste fataliste.

— C’est la vie, que voulez-vous, je m’y suis faite. En plus, c’était un bel homme. Je ne l’ai jamais trompé, figurez-vous. Et je n’ai pas connu d’autre homme après lui. Pourtant j’étais encore belle et j’avais quelques prétendants.

— Vous êtes une sainte femme, Madame.

Elle lui adressa un clin d’œil.

— J’en ai quand même connu quelques-uns avant lui.

Dominique lui rendit son œillade.

— Ça restera entre nous.

Elle soupira.

— Il y a longtemps que je n’ai plus vu quelqu’un chez Madame Bernier.

Dominique sentit son cœur bondir dans sa poitrine.

— Vous la connaissiez ?

— Non.

— Pourtant, vous l’appelez par son nom.

— Je connais le nom des cent-huit pensionnaires qui demeurent ici, je viens deux fois par semaine, depuis trente ans.

— Vous savez ce qui lui est arrivé ?

— Je sais en tout cas qu’elle n’a plus de famille directe. Son mari est mort quelques années avant elle. Elle avait un fils qui venait de temps en temps, mais il est mort aussi.

— Elle n’avait qu’un fils ?

Elle parut surprise par la question.

— Oui, et pas de fille, c’est pour ça que personne ne vient depuis bien longtemps.

Elle prit l’air détaché.

— Sauf peut-être le membre de la famille que vous soignez dans votre clinique.

Dominique ne voulait pas entrer dans son jeu. Il se rendit au fond de l’allée, remplit un arrosoir et le lui apporta.

— Je vous souhaite une bonne journée, Madame, merci de m’avoir offert votre sourire.

— À vous aussi, Docteur.

Il la remercia et sortit du cimetière.

Dès qu’il fut dans sa voiture, il prit son téléphone portable, chercha la carte de visite de Gérard Jacobs, l’officier qu’il avait rencontré au poste de police, et forma le numéro.

Celui-ci le reconnut aussitôt.

— Bonjour, vous avez du nouveau ?

— Oui, je pense avoir identifié notre homme.

Le policier marqua une pause.

— Il s’est réveillé ?

— Non, mais il est parvenu à communiquer avec moi.

Dominique lui expliqua la situation et lui relata sa visite au cimetière.

À l’autre bout de la ligne, l’homme notait les informations.

Il attendit que Dominique ait terminé son récit et s’éclaircit la voix.

— C’est bien joué, Monsieur. Les cryptanalystes avaient envisagé les coordonnées d’un cimetière, mais il y en a plusieurs centaines dans le royaume. Je prends des renseignements sur cette Odile Bernier-Chantraine et je vous rappelle.

Avant que Dominique ne raccroche, le policier l’interpella.

— À propos, vous savez quelle date nous sommes ?

La question désarçonna Dominique.

— Le 11 février, pourquoi ?

— Votre homme s’est fait renverser devant la gare du Midi le 11 février, à 18 heures, il y a un an, jour pour jour.

72

Les mots fantômes

Michael Stern mit à profit les quelques jours de congé qu’il avait planifiés entre Noël et le Nouvel An pour se pencher sur une question décisive, à quelle sorte de manipulations s’étaient livrés les hommes que Berger avait surpris dans le studio ?

Il prit rendez-vous avec Chris Reynolds, un ingénieur du son surdoué et volubile qu’il avait connu pendant ses années universitaires. Celui-ci travaillait à présent à Radio 1 et supervisait les enregistrements en studio de l’orchestre d’Ulster. Il était régulièrement sollicité par des organisateurs de spectacles pour assurer la prise de son de certains concerts de rock ou de pop.