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Il était au bord de l’épuisement lorsqu’il aborda la mélodie des silences.

Il disparut à nouveau de la pièce et revint avec une nouvelle bobine qu’il plaça sur le Revox.

La bande contenait une sorte de brouhaha dans lequel Stern crut discerner une mélodie.

Reynolds exulta. La mélodie entendue n’existait pas, mais était créée dans le cerveau par les silences présents entre les notes. Il partit dans une explication complexe agrémentée de nombreux termes techniques qui parlait de récepteurs toniques et phasiques, de codage de la durée des stimuli et d’adaptation du cerveau à ceux-ci.

Stern était soûlé de mots.

Il décrochait et était prêt à déclarer forfait lorsque Reynolds aborda la partie la plus impressionnante des illusions sonores.

Il s’empara d’une troisième bande et remit les écouteurs sur les oreilles de Stern.

Cette fois, le journaliste discerna des sons alternativement à droite et à gauche. Il s’agissait d’une voix féminine qui prononçait un mot inconnu de deux syllabes, le même de chaque côté, avec un léger décalage. Petit à petit, Stern commença à percevoir d’autres mots, intercalés entre ceux-ci, puis une phrase complète accompagnée d’une sorte de mélodie.

Reynolds s’amusait comme un gamin.

Les mots, les phrases et la mélodie que Stern avait entendus étaient absents de la bande. Ce phénomène était dû au fait que le cerveau humain cherchait en permanence à donner un sens à ce qu’il entendait.

Les syllabes privées de signification étaient associées à des mots connus, puis combinées pour composer d’autres mots ou des phrases complètes.

Les scientifiques avaient baptisé ce phénomène les mots fantômes.

73

Son devoir l’attendait

Les jours ont passé. L’automne est arrivé, suivi de près par l’hiver. Sur l’autre versant du Léman, les sommets se sont couverts de neige.

Le rock devenait de plus en plus planant, les morceaux étaient de plus en plus longs et je commençais à m’en lasser. Dans ce registre, les Doors et Pink Floyd tenaient le haut du pavé. Magical Mystery Tour, le dernier album des Beatles, marquait leur déclin. L’insupportable Nights in White Satin des Moody Blues n’en finissait pas de dégouliner des postes de radio.

Pour ma part, je restais fidèle au rock pur et dur et continuais à apprécier une rythmique soutenue comme celle de Sympathy for the Devil des Stones.

À l’hôtel, la routine s’était installée. À force de remarques, de critiques et de remontrances, j’avais appris mon métier. Les clients de l’hôtel me jugeaient discret et efficace, la direction se satisfaisait de cette appréciation.

Je commençais à m’exprimer. Il s’agissait pour l’essentiel de phrases toutes faites, de formules de politesse ou de questions rituelles, mais j’étais désormais capable d’adresser la parole à quelqu’un en le regardant dans les yeux.

Ma douleur à l’épaule s’était peu à peu estompée, mais je gardais une ankylose qui m’empêchait d’accomplir des gestes amples. Je refusais l’idée que je ne pourrais plus jamais jouer de la batterie. Je me rassurais en me disant que je suivrais une rééducation, plus tard, quand les choses se seraient définitivement calmées.

Je m’étais désintoxiqué. Hormis les quelques joints que je fumais avec Andy le mercredi, je m’étais libéré de la dope. L’alcool restait mon amie intime, mais il fallait que j’en avale des quantités considérables pour perdre le sens des réalités. Je buvais à petites gorgées, au long de la nuit. J’arrivais à jeun et repartais avant l’arrivée du personnel, ma dépendance passait inaperçue.

À chaque rencontre, Andy m’annonçait l’imminence de son départ. Cette information passée, il me parlait de sa peinture, je lui parlais de rock.

Le lendemain du réveillon, il a déclaré que son projet était enfin prêt. Il acceptait de me le présenter avant de l’expédier à New York.

Pour la première fois, je me suis rendu dans sa chambre, une mansarde située dans un vieil immeuble de la rue d’Etraz. Un véritable capharnaüm m’attendait. Il m’a prié de ne pas faire attention au désordre.

Une immense photographie en couleurs de deux mètres sur trois se trouvait contre le mur du fond. Elle représentait une grosse voiture américaine bleu vif, garée devant un magasin de chaussures dans une grande ville américaine, New York, à n’en pas douter. J’ai tout d’abord pensé qu’il s’agissait d’un tirage dont il s’était servi pour créer son œuvre.

Il m’a demandé d’approcher. J’ai remarqué que la fresque était constituée d’éléments carrés de cinquante centimètres de côté.

J’ai avancé de quelques pas et suis resté bouche bée. Jamais de ma vie, je n’avais vu une peinture exécutée avec autant de réalisme. Le reflet de la voiture se devinait dans la vitrine, chaque élément, chaque objet étaient reproduits avec un luxe de détails incroyable. L’effet était saisissant. Je n’osais imaginer le temps qu’un travail d’une telle minutie avait exigé.

J’ai reculé et je me suis assis. Je suis resté près d’une heure, prostré devant ce chef-d’œuvre, à en examiner chaque recoin.

Andy s’amusait. Il virevoltait autour de moi en minaudant. Il m’a demandé si je comprenais à présent pourquoi un jour, il serait riche et célèbre.

Durant la nuit, je poursuivais mes recherches. Je notais mes observations et les reliais aux faits que j’avais vécus. Lorsque le sommeil me gagnait, j’allumais la télévision.

À mesure que je me documentais, mes connaissances sur le sujet s’enrichissaient. J’étais devenu un expert de l’ouïe, du son et de l’acoustique.

Je serais bien en mal de me souvenir des innombrables articles que j’ai étudiés à cette époque, mais mon verdict était définitif les hommes du studio avaient trafiqué Girls Just Wanna Get Fucked All Night.

Je suis arrivé à la conclusion que le travail qu’ils avaient réalisé se révélait plus subtil que quelques phrases enregistrées à l’envers, même si je n’avais pas abandonné l’idée qu’ils avaient également fait appel à cette technique.

Je m’étais fixé sur les mots cachés, ce que les spécialistes en acoustique appelaient les ghost words ; des mots inexistants, mais générés par le cerveau sur base de phonèmes. Selon moi, ils les avaient enregistrés en les couplant à des fréquences très basses qui les rendaient indécelables. Ces fréquences basses que l’on ne pouvait percevoir expliquaient le fait que certains animaux pressentaient les catastrophes naturelles. Sans que l’on en soit conscient, ces fréquences provoquaient de profonds changements comportementaux.

Les ghost words, quant à eux, expliquaient que seule une partie du public de la boîte de Ramstein avait répondu à la stimulation.

J’étais convaincu de ce que j’avançais, mais deux questions restaient en suspens : qui se cachait derrière cette manipulation et dans quel but ?