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Stern était également convaincu que les événements de Ramstein et la mort du disc-jockey de la boîte étaient liés à cette affaire.

Mais son intime conviction ne suffisait pas. Dans son métier, il était hors de question de porter un sujet au grand jour sans avancer un minimum de faits avérés et il n’avait aucune preuve tangible à fournir à son rédacteur en chef pour le faire changer d’avis.

À l’heure qu’il était, Jacques Berger avait peut-être été assassiné, lui aussi. Les hommes qui se trouvaient dans le studio ignoraient qu’il n’était pas le batteur titulaire du groupe, ce qui expliquait l’élimination de Paul McDonald, mais ils s’en étaient certainement rendu compte par la suite et lui avaient donné la chasse.

Quant au mobile de ces actes, il était cousu de fil blanc. Féru d’histoire, Stern savait que de tout temps, les grandes puissances avaient expérimenté nombre de méthodes visant à galvaniser leurs troupes ou à affaiblir les défenses de l’ennemi. Les livres d’histoire regorgeaient de témoignages allant en ce sens.

Dans l’Art de la Guerre, le livre écrit quelques siècles avant Jésus-Christ par l’énigmatique Sun Tzu, l’auteur déclarait que l’art de la guerre reposait sur la duperie.

Il préconisait l’utilisation de méthodes de propagande et de désinformation pour convaincre l’ennemi que la défaite était inévitable. Il suggérait d’autres tactiques pour leur saper le moral ou à accroître leur niveau de stress.

Au onzième siècle, les ismaéliens professaient une science secrète censée procurer des pouvoirs magiques, science à laquelle les initiés accédaient par degrés. L’apprentissage du premier degré consistait à se familiariser avec l’usage du haschich dans le but d’accroître le courage physique et de connaître l’illumination.

Gengis Khan, le chef mongol, était connu pour avoir mené des hordes de cavaliers sanguinaires à travers la Russie et l’Europe. Sa réputation de domination totale avait été renforcée par le conditionnement psychologique qu’il exerçait sur ses troupes.

Même si rien ne valait la haine de l’ennemi, certains stratagèmes se révélaient utiles pour doper le moral des troupes, telle la liberté de piller, de tuer et de violer, butin de guerre affectionné par ses hommes.

Plus récemment, durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis avaient injecté de la testostérone à leurs soldats pour augmenter leur agressivité et les médecins de la Wehrmacht avaient distribué des dizaines de millions de doses de méthamphétamines aux troupes pour les tenir éveillées et les rendre plus combatives.

Après la guerre, l’armée américaine avait fait appel à des psychiatres comportementalistes suite à une étude qui démontrait que la majorité des combattants avait désormais des scrupules à tuer, même sur un champ de bataille.

Dans le but de diminuer le sentiment de culpabilité et d’accroître l’agressivité des soldats, ils avaient mis en place une batterie de drills qui avaient pour objectif de conditionner l’individu à faire corps avec le groupe et à considérer les autres comme non humains, les transformant de la sorte en machine à tuer.

Le bruit courait que l’armée américaine avait expérimenté le LSD au début de la guerre du Vietnam.

Après l’absorption de cette drogue, les hommes de troupe présentaient les symptômes du psychotique schizophrène et pouvaient être poussés à commettre des actes violents envers autrui.

Une autre rumeur disait que cette expérience avait été un fiasco et que les autorités militaires testaient à présent des méthodes plus sophistiquées, comme les armes psychotroniques, des engins qui faisaient appel aux ondes électromagnétiques et privaient l’être humain de sa conscience de veille tout en décuplant son agressivité.

Pour Michael Stern, le drame qui s’était déroulé à Ramstein résultait de l’expérimentation d’une nouvelle technologie destinée à programmer les êtres humains, un système perfectionné qui stimulait l’agressivité d’une partie de l’assistance tout en affaiblissant les défenses de l’autre.

Il lui restait à réunir des faits pour étayer sa thèse.

77

Le numéro que je connaissais par cœur

Je serais rentré chez moi si l’on ne m’avait ôté ma liberté, ma crise d’identité touchait à sa fin, je n’étais plus révolté, je me réconciliais peu à peu avec l’humanité.

Chaque jour, je pensais à ma mère, à la douleur qu’elle devait ressentir, cette même douleur qui m’arrachait les tripes. Je pensais aussi à mon père et à mon frère. La distance et le temps avaient fini par effacer les griefs que j’avais accumulés contre eux.

Je serais rentré chez moi, j’aurais pris ma mère dans mes bras, je l’aurais serrée dans mes bras sans dire un mot. Elle ne m’aurait rien demandé.

J’aurais surmonté les obstacles. Je me serais justifié, j’en étais capable désormais. J’aurais expié mes fautes. J’aurais fait confiance à la Justice. J’aurais assumé mes responsabilités et accepté la peine que je méritais.

Le reportage de la télévision suisse m’avait ébranlé. Je savais à présent ce qui se tramait, je connaissais le but de leur manipulation. J’avais envie de le hurler, d’en parler à chaque client que je rencontrais, mais je n’avais personne à qui le dire.

J’aurais pu me confier à Andy, notre amitié était franche et sincère, mais il ne connaissait pas mon parcours. J’avais fait table rase de mon passé et lui avais raconté une légende dans laquelle je m’embrouillais dès qu’il me posait une question.

De temps à autre, je ne réagissais pas lorsqu’il me hélait. Il était l’un des seuls à m’appeler René ; à l’hôtel, on m’appelait monsieur Schnegg. Lors de la confection de mes premiers faux papiers, j’avais choisi un patronyme proche du mien pour éviter ce genre de désagrément.

Durant les jours qui ont suivi, j’ai continué la rédaction de mon récit.

Il contenait suffisamment d’éléments pour consolider ma thèse. Plus j’avançais dans mon texte, plus ma conviction s’affermissait et plus l’envie de la communiquer me tourmentait.

Une nuit, alors que j’avais bu plus que d’habitude, le besoin de partager ce secret s’est fait impérieux. Il devait être trois ou quatre heures du matin quand l’inspiration m’est venue. Je savais à qui je pouvais en parler. Je savais qui accepterait de m’écouter.

J’ai pris le téléphone et j’ai formé le numéro que je connaissais par cœur.

78

Des sessions d’enregistrement

Dans les premiers jours de février, alors qu’il s’évertuait à faire corroborer les faits, Michael Stern reçut un appel téléphonique de Birgit, l’ex-compagne de Jim Ruskin.

Elle semblait en forme. La mort de Jim l’avait touchée, mais près d’un an s’était écoulé depuis sa disparition et la vie avait repris ses droits. En octobre, elle avait rencontré un homme avec lequel elle envisageait de nouer une relation à long terme.

Elle lui demanda ensuite s’il poursuivait l’enquête sur la disparition des membres de Pearl Harbor, ce que Stern confirma.

L’objet de son appel était de l’informer d’un fait divers qui s’était produit à Berlin et qui avait un lien manifeste avec les événements de mars 1967. Les faits dataient de quelques jours, mais venaient de paraître dans les quotidiens.

Elle s’empara d’un journal et le parcourut au téléphone. La police fluviale berlinoise déclarait avoir repêché selon toute vraisemblance le cadavre d’un agent artistique allemand, Karl Jürgen, originaire de Munich, porté disparu depuis le 18 mars 1967. Le corps de l’homme âgé de cinquante-deux ans avait été découvert dans le bassin d’une écluse près du pont Mühlendamm, au centre de Berlin.