Выбрать главу

Le communiqué de la police soulignait qu’aucun élément ne permettait d’indiquer de prime abord que Karl Jürgen avait été victime d’un crime, il s’était apparemment suicidé. Les enquêteurs espéraient que l’autopsie permettrait de faire la lumière sur cette affaire. Au vu des premiers résultats de l’enquête, les raisons de sa disparition devaient être d’ordre personnel. La police excluait toute possible motivation politique.

L’homme avait quitté son appartement du quartier de Charlottenburg, dans l’ouest de Berlin, le 18 mars 1967, en début de matinée et n’avait pas été revu depuis. Sa femme, qui avait déclaré sa disparition le jour même, avait confié aux enquêteurs que son mari souffrait de dépression.

Au moment de la disparition, un avis d’appel à témoin avait été diffusé dans les environs du domicile du couple qui vivait à Berlin depuis novembre 1966 et avait une vie sociale limitée. Deux plongeurs avaient sondé un lac situé près de chez eux, sans succès.

Karl Jürgen était l’agent artistique de plusieurs groupes de rock, pour la plupart en recherche de notoriété.

Il était chargé de négocier des contrats ou de décrocher des sessions d’enregistrement.

79

En Écosse

C’était un dimanche. Par chance, Gunther était encore derrière son bar. Les Berlinois détestaient le lundi et les portes du Graffiti restaient souvent ouvertes jusqu’au petit matin.

La musique ne hurlait pas à l’arrière-plan et Gunther semblait détendu.

Il s’est dit surpris et ravi de m’entendre, ce qui n’était qu’une simple formule de politesse, l’enthousiasme ne faisait pas partie des traits marquants de son caractère.

Les derniers clients venaient de quitter les lieux et il se préparait à fermer. Ce week-end-là, Berlin-Ouest avait accueilli un congrès international contre la guerre du Vietnam. Quinze mille personnes avaient défilé dans les rues. Rudi Dutschke, un activiste marxiste, avait prononcé un discours mobilisateur qui avait semé un chaos indescriptible dans la ville.

Après cela, la soirée avait été calme et la boîte n’avait connu qu’une faible affluence.

Il a embrayé en me parlant de la situation à Berlin. La révolte grondait. La jeunesse avait été infiltrée par des agents communistes et était à présent manipulée. Bientôt, la révolution annoncée prendrait son élan et les chars russes envahiraient la ville, puis le reste de l’Europe.

J’ai attendu qu’il termine son discours, même si j’en connaissais le chapitrage complet.

Dans la foulée, il est passé au rock. Il considérait que Pink Floyd était le groupe phare du rock psychédélique. Leur premier album, The Piper at the Gates of Dawn, était une brillante réussite, même s’il n’imaginait pas passer des titres comme Astronomy Domine ou Interstellar Overdrive au Graffiti.

Il a ensuite demandé de mes nouvelles. Je lui ai dit que j’avais décroché un job dans un hôtel en Suisse, mais je suis resté vague sur la localisation. Je me suis limité à dire qu’il se trouvait dans la partie romande du pays.

Je suis ensuite entré dans le vif du sujet. Je lui ai rappelé nos dernières conversations. Je lui ai dit que je savais à présent ce qui s’était réellement passé après l’enregistrement du 14 mars. J’avais acquis la preuve que la disparition des quatre membres de Pearl Harbor n’était pas une suite de morts accidentelles, mais qu’ils avaient été assassinés. De plus, je connaissais le mobile de ces meurtres.

Je lui ai raconté ce que je savais. J’avais mes notes en mains. De temps à autre, je les consultais pour lui révéler l’un ou l’autre détail.

Comme je m’y attendais, il n’a pas paru impressionné par mes révélations. Mes explications concernant les ghost words et les infrasons n’ont pas eu l’air de le passionner, pas plus que ma théorie relative au conditionnement des troupes US au Vietnam.

Lorsque je lui ai livré mon point final, il a affirmé que ma démonstration était convaincante et que cela rejoignait sa conviction, la Troisième Guerre mondiale était en marche. Il est revenu sur ses thèses et a continué à divaguer durant plusieurs minutes.

Peu m’importait, j’avais pu exorciser mon obsession. Il m’avait écouté sans m’interrompre et sans déclarer que j’étais fou.

J’étais prêt à conclure notre discussion lorsqu’il m’a brusquement coupé la parole, comme s’il venait de se souvenir d’une chose sans importance.

En novembre, il avait reçu la visite d’un Écossais qui se prétendait journaliste. L’homme lui avait déclaré qu’il réalisait une enquête sur la mort des quatre membres de Pearl Harbor. Il lui avait retracé les grandes lignes et avait terminé en disant qu’il désirait prendre contact avec moi. Gunther l’avait envoyé au diable.

À toutes fins utiles, l’homme lui avait laissé sa carte de visite.

Gunther m’a demandé de patienter un moment. Je l’ai entendu déposer le combiné sur le comptoir et fourrager dans le fatras qui traînait sous le comptoir.

Il a repris le téléphone en soufflant. L’homme s’appelait Michael Stern et travaillait pour le Belfast Telegraph.

J’ai pris note de ses coordonnées. Je ne savais que penser. Était-ce l’un des hommes du studio ? S’étaient-ils rendu compte de leur erreur ? Avaient-ils retrouvé ma trace ? Se servaient-ils de ce subterfuge pour m’approcher ?

J’ai dessoûlé dans l’instant. Il me fallait digérer l’information et réfléchir à ce que j’allais en faire.

J’ai remercié Gunther. Je me suis abstenu de lui dire que Belfast ne se trouvait pas en Écosse.

80

Cette nouvelle énigme

Gérard Jacobs reprit contact avec Dominique au milieu de la semaine suivante pour lui faire part des informations qu’il avait recueillies.

Il lui confia que sa hiérarchie ne considérait pas cette enquête comme prioritaire. En revanche, elle lui tenait à cœur. Il avait investi quelques heures de son temps privé pour aller de l’avant.

Le samedi soir, il avait eu un entretien téléphonique avec la nièce de Jacques Bernier qui vivait à Johannesburg, en Afrique du Sud. La femme savait peu de choses sur cet oncle qu’elle n’avait jamais connu. Après sa disparition en 1964, ses grands-parents avaient lancé plusieurs recherches dans le but de retrouver sa trace, mais aucune n’avait abouti.

Son grand-père et son père parlaient rarement de lui. Durant son enfance, lorsqu’elle passait chez sa grand-mère et qu’elles étaient seules, cette dernière lui racontait l’une ou l’autre anecdote, un épisode où il jouait de la batterie sur des boîtes de biscuits ou un après-midi durant lequel elle avait appris à danser le rock avec lui. Elle refusait de croire qu’il était mort. Jusqu’au bout, elle se persuadait qu’il reviendrait un jour.