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Elle avait entendu dire qu’il n’était pas équilibré. Quand son père évoquait son frère et leur enfance, il parlait de lui en des termes peu élogieux. Il l’appelait le fêlé, le bègue ou le batteur fou. Elle ne savait pas ce que ces mots évoquaient et s’en était toujours désintéressée.

Le policier avait également réussi à joindre l’un des professeurs de Jacques Bernier.

L’homme, qui avait quatre-vingts ans, avait connu Jacques Bernier en 1961. Malgré cela, il se souvenait bien de lui. C’était un garçon timide, réservé, il avait un problème d’élocution et vivait dans son monde intérieur. Il lisait beaucoup, mais ne parlait pas de ses lectures.

La secrétaire du cimetière d’Ixelles lui avait confirmé qu’un homme l’avait appelée à plusieurs reprises en février 2010 pour se renseigner sur l’emplacement de la tombe de madame Bernier. La femme s’en souvenait parce que l’homme était confus, il avait téléphoné plusieurs fois d’affilée pour poser la même question.

Enfin, il avait reçu une copie du compte-rendu médical qui avait été rédigé en septembre 1963, lorsque Jacques Bernier avait passé ses trois jours au Petit-Château avant son service militaire.

Le rapport mentionnait que lors des tests psychotechniques et des différents examens médicaux, Jacques Bernier avait présenté des troubles comportementaux mineurs. L’homme était en bonne condition physique et l’électro-encéphalogramme qui avait été pratiqué n’avait rien révélé d’anormal. Les médecins l’avaient suspecté de simuler des symptômes d’aprosexie pour être réformé et n’en avaient pas tenu compte. Il avait été déclaré apte au service.

Pour conclure, Gérard Jacobs l’informa qu’il avait transmis l’identité de l’homme à la presse et que certains quotidiens allaient faire paraître l’annonce dans leurs pages.

Cette publication était susceptible de susciter de nouveaux témoignages.

Cette nouvelle mit Dominique face à un dilemme. Il avait donné sa parole à Jacques Bernier. Il lui avait promis de ne pas dévoiler les informations qu’ils échangeaient. Il estimait néanmoins qu’il devait rester intègre vis-à-vis du corps médical.

Il se rendit chez Marie-Anne Perard, le chef de la clinique, et lui fit part des démarches qu’il avait entreprises avec X Midi ainsi que des résultats qu’il avait obtenus.

Marie-Anne Perard le remercia de sa franchise et lui précisa qu’elle ne lui tenait pas rigueur de son silence. Elle comprenait qu’il ait respecté son serment et l’assura de sa confiance. Elle lui fit une nouvelle fois part de la grande satisfaction que les patients témoignaient pour son enthousiasme et la qualité de ses soins.

Dominique décida de parler à X Midi sans attendre. Depuis qu’il lui avait montré la photo prise au cimetière, ce dernier ne lui avait plus adressé la parole.

Il s’assit sur le lit.

— Mon ami, je dois te dire quelque chose.

L’homme fronça les sourcils et fixa le kiné dans les yeux.

Dominique inspira longuement.

— Je n’ai pas pu garder notre secret.

Les yeux de l’homme s’agrandirent.

— Je sais que je te l’ai promis et je peux comprendre que tu sois déçu, mais je n’ai pas pu faire autrement. Je connais maintenant quelques pages de ton histoire, mais je ne sais pas tout. Je sais que tu t’appelles Jacques Bernier et que tu as disparu il y a bien longtemps. Il y a sûrement quelque part des gens qui te cherchent. Des gens qui t’aiment. Une femme, des enfants ou des amis qui aimeraient te revoir. Pour eux, et pour toi, je ne peux plus garder ce secret.

La panique se lisait dans les yeux de X Midi. Il lança son regard vers l’armoire.

Dominique comprit aussitôt.

— Tu veux me parler ?

L’homme acquiesça.

Dominique prit l’abécédaire et commença l’énumération. Bernier canalisait son attention sur l’exercice comme s’il craignait de commettre une erreur.

Il fallut plus d’un quart d’heure pour qu’il compose le premier mot.

MICHAEL.

Le second mot vint à peine plus rapidement.

STERN.

Le regard de Bernier se porta vers la télévision. Il paraissait soulagé de s’être libéré de ces mots.

Dominique l’interpella.

— Michael Stern ? Tu sais où je peux le trouver ?

L’homme resta impassible.

— C’est l’un de tes amis ?

Il ne réagit pas.

— Il habite en Belgique ?

Jacques Bernier gardait ses yeux rivés sur l’écran.

Dominique lui posa encore plusieurs questions qui restèrent sans réponse.

Une idée lui vint.

À son tour, il fixa l’écran.

— Il est passé à la télévision, c’est ça ?

L’homme tourna légèrement la tête et cligna des yeux à deux reprises.

— Il n’est pas passé à la télévision ? Mais ça a un rapport ?

Bernier acquiesça.

— C’est une vedette ? Il est journaliste ou quelque chose comme ça ?

L’homme approuva et referma les yeux.

Dominique comprit qu’il ne lui en dirait pas plus. Il lui restait à se plonger dans cette nouvelle énigme.

81

Ajouter quoi que ce soit

Trois semaines s’étaient écoulées depuis l’appel de Birgit et l’enquête de Michael Stern n’avait pas progressé. Il commençait à se décourager et ne voyait plus vers quelle piste s’orienter, toutes aboutissaient à une impasse.

Les familles des victimes avaient pris contact avec lui pour connaître l’état d’avancement de ses recherches. Il s’était borné à leur répondre qu’il avançait à petits pas, mais qu’il ne fallait pas porter trop d’espoir dans ses investigations.

Le 29 février 1968, une dépêche annonça qu’un avion Iliouchine de la compagnie United Arab Airlines s’était écrasé à Assouan, en Égypte. Michael Stern fut mandaté par le Belfast Telegraph pour couvrir l’événement.

Il se préparait à partir lorsque la standardiste l’interpella pour lui annoncer un appel entrant. Elle ajouta que la personne n’avait décliné ni son identité ni la raison de son appel. Il hésita un moment, puis décida d’accepter l’appel. Il remonta dans son bureau et prit le combiné.

Durant quelques secondes, il crut que l’interlocuteur avait raccroché. Il était sur le point de couper la communication lorsqu’il perçut une sorte de chuintement suivi d’une voix masculine qui prononça quelques mots dont il ne saisit pas le sens.

Il demanda à l’homme de répéter et le correspondant parut chercher ses mots.

Après quelques secondes, il déclara qu’il s’appelait Jacques Berger. Il avait appris que le journaliste cherchait à le joindre et voulait en connaître les raisons.

Michael Stern sentit un flux d’adrénaline l’envahir. L’homme parlait de manière confuse. Certains mots étaient à peine compréhensibles. L’anglais n’était pas sa langue maternelle, il parlait avec un accent étranger, mais ce n’étaient pas les intonations nasillardes des Canadiens.

Stern comprit que l’homme était sous stress et qu’il n’avait que quelques secondes pour l’encourager à lui faire confiance. Il lui dit qu’il savait qui il était, qu’il savait ce qui s’était passé et qu’il souhaitait l’aider.

L’homme sembla réfléchir quelques instants, puis il lui demanda de préciser ce qu’il savait.

Stern contrôla sa nervosité et se força à parler posément.

Il savait qu’il avait effectué un back up à Berlin le 14 mars de l’année passée. Il avait remplacé le batteur d’un groupe appelé Pearl Harbor et avait participé à un enregistrement à l’issue duquel il avait surpris plusieurs hommes qui se livraient à une falsification des bandes magnétiques. Par la suite, les quatre musiciens du groupe et leur agent avaient été assassinés.