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L’homme du studio était debout derrière l’une d’elles. Il m’a paru plus grand que dans mon souvenir. Comme lors de notre première rencontre, il m’a dévisagé avec indifférence. Il ne semblait éprouver aucune émotion.

Il s’est approché, s’est planté devant moi et n’a prononcé que deux mots, the book.

Le livre.

Je réfléchissais à toute vitesse, mais je n’ai pas trouvé les mots et je n’ai rien répondu.

Il a adressé un signe à ses acolytes. L’un d’eux a arraché le sac à dos que je portais et en a étalé le contenu sur le sol. Du pied, il a trié les objets qu’il contenait. Comme il n’y avait pas le document qu’ils cherchaient, il m’a ordonné de me déshabiller.

Je me suis exécuté et me suis retrouvé à poil devant les trois hommes. Ils ont fouillé mes effets de fond en comble, mais n’ont rien trouvé. Ils se sont emparé des objets que mon sac contenait et les ont examinés un par un. Ils ont ensuite déchiré la doublure du sac, lacéré mes vêtements, mis mes affaires de toilettes en pièces.

Comme ils étaient bredouilles, le géant s’est planté devant moi et m’a fixé dans les yeux. Il ne semblait ni furieux ni excédé. Il a poussé un soupir. J’ai perçu une pointe d’agacement sur son visage, comme si mon obstination allait le mettre en retard pour son prochain rendez-vous.

L’homme qui se tenait derrière moi a hurlé dans mon tympan.

The book !

J’ai compris que c’était ma perspective de salut. Tant qu’ils n’auraient pas mon texte, j’avais des chances de rester en vie.

J’ai dit que je ne voyais pas de quoi ils parlaient.

J’ai perçu un mouvement. Un choc. Quelque chose s’est cassé en moi et j’ai perdu connaissance.

85

L’énigme venait de s’obscurcir

Dominique présuma que Michael Stern, l’homme dont parlait Jacques Bernier était quelqu’un qui avait évolué dans son proche environnement.

Bernier avait peut-être été journaliste lui-même et l’homme était l’un de ses pairs, mais il pouvait tout aussi bien s’agir d’un ami ou d’une simple connaissance. À moins que ce Stern ait en son temps rédigé un article qui le concernait de près ou de loin.

Quoi qu’il en soit, s’il lui avait communiqué ce nom, cela signifiait que cet homme pouvait l’aider et lui expliquer ce qui était arrivé à Bernier avant son accident.

Il entama ses investigations par une recherche sur Internet. Si ce Michael Stern avait écrit l’une ou l’autre chronique digne d’intérêt, il trouverait vraisemblablement des références le concernant sur le réseau.

Il saisit le nom du journaliste dans la fenêtre Google et lança la recherche.

Les résultats le laissèrent abasourdi.

Michael Stern était loin d’être un inconnu. S’il s’agissait de l’homme dont Jacques Bernier avait fait mention, le mystère entourant sa vie s’épaississait.

Michael S. Stern était né dans une famille modeste de Londonderry, le 25 octobre 1938. Après des études de journalisme à l’université Queens de Belfast, il était entré en septembre 1963 au Belfast Telegraph, à l’époque le premier quotidien d’Irlande du Nord qui tirait à plus de cent mille exemplaires.

Le lundi 18 mars 1968, en début de matinée, il avait fait irruption dans le bureau de Roger McGuinness, son rédacteur en chef, et l’avait abattu de trois balles dans la tête. Il avait ensuite abattu Greg Ryan, un de ses collègues qui tentait d’intervenir, et blessé grièvement Stephen Jones, un annonceur présent sur les lieux. Le service de sécurité était intervenu et était parvenu à le neutraliser.

Quelques jours auparavant, il avait eu une sévère altercation avec Roger McGuinness qui lui reprochait un engagement politique trop marqué dans certains articles et lui avait adressé un sévère avertissement. Plusieurs témoins avaient vu Stern quitter les lieux en manifestant sa mauvaise humeur.

Selon sa femme, il n’était pas rentré à la maison ce soir-là et il ne lui avait pas donné de nouvelles.

Lors de son interrogatoire, quelques heures après son arrestation, Michael Stern avait déclaré avoir agi sous contrainte. Il prétendait avoir été enlevé par un groupe d’hommes et avoir été séquestré dans un endroit isolé pendant plusieurs jours. Il affirmait avoir subi un lavage de cerveau et avoir été programmé pour commettre ces meurtres. Il dénonçait un vaste complot ourdi par une agence gouvernementale étrangère dans le but de prendre le contrôle de la conscience humaine et de manipuler les masses pour favoriser leurs desseins impérialistes.

Malgré ces propos incohérents, les experts le reconnurent responsable de ses actes.

À l’issue de son procès, il fut déclaré coupable d’homicide avec préméditation et condamné à la réclusion à perpétuité.

Il fut d’abord incarcéré à la prison de Crumlin Road, à Belfast, jusqu’en 1976, puis fut transféré dans les H-Blocks de la prison de Maze où il participa au mouvement de grève de la faim qui eut lieu en 1981.

Il entreprit également d’autres actions dans le but d’attirer l’attention de l’opinion publique sur l’erreur judiciaire dont il se disait victime.

Durant toute la durée de sa détention, il avait continué à clamer son innocence et avait maintenu sa version des faits.

Il fut retrouvé mort dans sa cellule le 4 mars 1987. L’autopsie avait conclu qu’il avait été victime d’un infarctus.

Dominique consulta plusieurs sites qui relataient cet événement. Tous donnaient une version similaire des faits. Nulle part, il ne trouva trace de Jacques Bernier.

Les faits remontaient à plus de quarante ans. Au moment de cette tragédie, Bernier avait vingt-trois ans.

Pourquoi avait-il évoqué le nom de cet homme ? L’avait-il connu en prison ? Avaient-ils partagé la même cellule ?

Dominique pensait avoir trouvé un sens au message de Bernier, mais l’énigme venait de s’obscurcir.

86

Mes mains se sont mises à trembler

La veille était mon ultime jour de liberté, et mes dernières heures d’être humain.

La brume est arrivée et a pris possession de mon âme.

Mon état de conscience s’est peu à peu modifié. Mon cerveau s’engourdissait, je n’éprouvais plus la sensation d’être éveillé. Une forme d’ivresse lancinante annihilait mes facultés et neutralisait ma volonté. J’évoluais dans un monde parallèle. Mes mains ne m’appartenaient plus, il m’arrivait de les examiner, de chercher à les reconnaître. Elles m’étaient devenues étrangères.

Je me palpais le visage en quête des coups qu’ils me donnaient, mais je ne découvrais aucun stigmate. Ils me persécutaient, mais les traitements qu’ils m’infligeaient ne laissaient pas de trace.

Je captais les objets qui m’entouraient. Je les reconnaissais, mais je n’arrivais plus ni à leur donner un nom ni à identifier leur fonction.

Ils m’avaient enfermé dans une sorte de chambre austère. Ils entraient à intervalles réguliers, à deux. Ils n’avaient pas de visage. Ils me saisissaient par les bras et m’emmenaient dans une sorte de parloir, à chaque fois différent.

Ils me faisaient asseoir. Des hommes m’auscultaient et me posaient des questions.