Выбрать главу

Il n’était de jour où elle espérait recevoir un signe de sa part, mais recevoir un signe de sa part générerait de nouveaux problèmes. Jacques Berger était toujours recherché comme témoin dans l’altercation qui l’avait opposé à Gab. Le Jamaïcain s’en était sorti, mais avait perdu l’usage d’un œil.

Vers vingt-deux heures, à l’issue de son tour de chant, elle quitta le Dorchester et prit la direction de Soho pour retrouver Bob Hawkins et quelques amis dans un pub.

Aux environs de minuit, ne la voyant arriver, Hawkins téléphona au Dorchester. Le réceptionniste lui confirma que Mary avait quitté l’hôtel deux heures auparavant. Elle semblait accablée, manquait de voix et n’avait pas recueilli l’enthousiasme habituel.

Hawkins patienta jusqu’au lendemain. Vers midi, il se rendit à la police pour signaler la disparition de sa compagne.

Le corps de Mary Hunter fut retrouvé trois jours plus tard, dans l’après-midi du vendredi 22 mars 1968, par une équipe de dockers. Ils effectuaient leur travail dans le port de Newhaven, au sud du pays, à proximité de la ville de Brighton. Le cadavre de Mary Hunter se trouvait dans le wagon d’un train de marchandises en provenance de Londres.

Son corps portait de nombreuses traces de coups, des ecchymoses et des marques de brûlures. Le médecin légiste dépêché sur place estima que le décès remontait à quarante-huit heures.

La police en déduisit que Mary Hunter avait été enlevée et séquestrée avant d’être mise à mort.

L’autopsie révéla qu’elle avait un taux élevé d’héroïne dans le sang, mais peu de molécules dérivées. Cet indice associé à la faible présence de la substance dans les urines les fit conclure à une mort rapide par overdose.

Les constatations médico-légales démontrèrent qu’elle avait eu des rapports sexuels avec plusieurs individus.

92

En murmurant mon nom

J’ai perçu une sorte de plainte, un long gémissement désespéré. J’ai tendu l’oreille. Un filet de musique ondoyait dans le couloir.

Je me suis laissé guider.

Au fond d’une chambre, le vieillard était recroquevillé sur une chaise près de la fenêtre, les yeux tournés vers le ciel. Il tenait un harmonica dans les mains. Les notes qui s’en échappaient étaient chargées de tristesse.

Nul autre que lui n’était capable de faire pleurer un harmonica de façon aussi bouleversante.

Je me suis approché. Il m’a dévisagé. Mes traits ne lui étaient pas inconnus. Il s’est levé, a continué à me fouiller du regard. Il cherchait dans sa mémoire.

Pour ma part, j’avais trouvé.

Lentement, il a ouvert les bras.

Je savais que Birkin avait la larme facile, mais je n’imaginais pas qu’il puisse pleurer comme un gamin. Il m’a serré longuement dans ses bras en murmurant mon nom.

93

Il faut que je te parle

Le lendemain de la réunion, Dominique se rendit à la clinique plus tôt que d’habitude. Il souhaitait être présent lorsque le docteur Taylor se présenterait et tenait à annoncer lui-même la venue de ce dernier à Jacques Bernier.

Dès son entrée, une infirmière de nuit se précipita à sa rencontre.

— Dominique, tu es déjà là ? Tant mieux ! Madame Desmet se plaint de douleurs dans les jambes et demande après toi. Monsieur Bernier est très agité, il a de la fièvre et n’a pas dormi de la nuit.

Dominique lui adressa un sourire.

— Merci, Léna, je m’en occupe. Je passe chez Madame Desmet, je n’en ai pas pour longtemps, j’irai ensuite chez Monsieur Bernier.

Il fit un pas en arrière, fit mine d’examiner l’infirmière des pieds à la tête et soupira.

— Tu n’as pas bonne mine, Léna, tu devrais prendre quelques jours de congé.

Elle sourit à son tour.

— Je vais à la mer le week-end prochain. Une copine me prête son appart au Coq, je te prends avec moi ?

Il écarquilla les yeux et porta une main à son cou, comme si la question lui coupait le souffle.

— Le Coq ? Ce week-end ? Avec toi ? Pourquoi pas ? On en reparle tout à l’heure ?

Elle s’approcha, posa les mains sur ses épaules, se hissa sur la pointe des pieds et lui glissa quelques mots à l’oreille.

Dominique éclata de rire.

— Ce n’est pas grave, je prendrai un sac de couchage et je m’installerai dans le divan.

Léna travaillait à la clinique depuis quelques semaines. Elle faisait preuve d’une énergie et d’un optimisme débordants. Les manœuvres d’approche qu’elle entreprenait vis-à-vis de Dominique alimentaient les discussions de couloirs et généraient de nombreux commentaires. D’autant qu’il était criant qu’il n’était pas insensible à son charme.

Dominique se présenta chez sa patiente et pratiqua une série de massages pour soulager ses douleurs. Il prit ensuite la direction de la chambre de Bernier.

Contrairement à ce qui se passait habituellement, l’homme ne guettait pas son arrivée. Il avait la bouche entrouverte et fixait le plafond.

Dominique approcha.

L’homme ne parut pas remarquer sa présence. Il transpirait, ses yeux filaient de gauche à droite comme si l’on projetait un film d’horreur au plafond.

Dominique lui épongea le front.

— Jacques, mon ami, il faut que je te parle.

94

Dans les flammes

Nous nous mettions à l’abri des regards. Nous ne voulions pas qu’ils sachent que nous nous connaissions, ils se seraient méfiés et nous auraient séparés.

Nous nous donnions rendez-vous près de la blanchisserie, dans une allée du parc, à l’arrière de la chapelle. Quand nous étions réunis, nous nous sentions plus forts. Il nous arrivait de rester de longues minutes, assis sur un banc, murés dans un silence assourdissant, à savourer notre complicité avec la tour du château d’eau pour seul témoin.

Parfois, Birkin m’adressait la parole. Il se penchait vers moi et me parlait à voix basse en articulant chaque syllabe comme si j’étais un abruti.

Je ne comprenais pas ce qu’il disait. Je ne pouvais lui répondre. Je formais des mots dans ma tête, mais j’étais incapable de les exprimer, ils m’avaient désappris à parler.

Lors d’une de nos rencontres, Birkin m’a lancé un clin d’œil et m’a montré son poing fermé. Lentement, il a ouvert la main. Sa paume renfermait quelques pilules. Il en a pris une, l’a déposée sur sa langue, a secoué la tête, l’a recrachée. Je devais arrêter de les prendre.

Les hommes en blanc m’en apportaient matin et soir. Elles étaient prêtes, rangées en ordre dans un petit récipient. Ils les déposaient dans ma main, me tendaient un verre d’eau et attendaient que je les aie avalées. Avant que je ne devienne inoffensif, ils auscultaient le fond de ma gorge avec une petite lampe de poche pour s’assurer que je les avais ingurgitées.

Du jour au lendemain, j’ai arrêté de les prendre comme Birkin me l’avait conseillé. J’attendais qu’ils aient quitté la pièce et je les vomissais dans la cuvette des toilettes. Je prenais garde de ne pas me faire remarquer. Je me méfiais des fous qu’ils avaient infiltrés dans ma cellule pour m’espionner.