À vingt ans, peu avant que Pearl Harbor ne décroche le contrat pour Berlin, il avait fait une fausse tentative de suicide en avalant vingt comprimés de Benzédrine.
La police mit quelques jours pour reconstituer l’emploi du temps de Steve Parker depuis son départ de Berlin, le vendredi 17 mars, jusqu’à sa mort à Hambourg, dans la nuit du 19 au 20 mars 1967.
Steve avait quitté Berlin en fin de matinée, après avoir acheté au marché noir des places pour le concert de Jimi Hendrix qui avait lieu au Star Club, le dimanche 19 mars.
Il avait pris le train et était arrivé à Hambourg en début de soirée. Il s’était installé à l’hôtel Kastanien, au cœur du quartier Saint-Pauli, dans une rue parallèle à la Reeperbahn, la célèbre artère de la ville où la fête battait son plein vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Durant la nuit du vendredi au samedi, de nombreux tenanciers de bars l’avaient vu entrer et sortir de leur établissement après avoir avalé un verre. L’un d’eux déclara que Steve donnait l’impression de chercher quelque chose. Un autre présuma qu’il voulait simplement visiter le plus d’endroits possible.
Il avait terminé sa virée nocturne à l’hôtel Luxor, une maison de passe bien connue. Friand d’Asiatiques, il s’était fait administrer une fellation par une jeune Thaïlandaise qui se souvenait de lui grâce au généreux pourboire qu’il lui avait laissé.
Il avait passé la journée du samedi dans sa chambre et avait quitté l’hôtel vers quinze heures.
En fin d’après-midi, il avait eu une brève altercation dans un bar avec un homme éméché qui l’avait bousculé. Des mots, ils en étaient venus aux insultes, des insultes, ils en étaient venus aux mains. L’empoignade s’était soldée par quelques coups de poing qui lui avaient laissé un œil au beurre noir.
Après s’être fait soigner dans une pharmacie, il s’était rendu dans un restaurant italien. Il avait ensuite consommé plusieurs bières au Top Ten Club et avait terminé la nuit dans une boîte de strip-tease.
Le portier de son hôtel l’avait vu rentrer vers cinq heures du matin.
Le dimanche, il n’était sorti de sa chambre que pour se rendre au concert de Jimi Hendrix. Après le spectacle, il était allé à l’Eros Center. La prostituée qui s’était occupée de lui déclara qu’il semblait dans un état second et qu’il n’était pas parvenu à éjaculer.
Il était rentré à l’hôtel à six heures trente.
L’un des résidents était descendu à la réception vers dix heures et avait déclaré avoir entendu une détonation aux environs de sept heures, sans pouvoir donner plus de précisions quant à sa provenance.
Les femmes d’étage qui s’étaient fait rabrouer les jours précédents vinrent frapper à la porte de Steve vers midi. Habituées à recevoir des insultes en retour, elles s’étonnèrent de son mutisme.
Devant la porte fermée, et sans réponse aux appels qu’elles lancèrent, elles s’étaient tournées vers le gérant de l’hôtel.
Celui-ci avait ouvert la porte.
Steve Parker était assis à même le sol, le dos contre le lit, la tête rejetée en arrière. Le plafond de la chambre était maculé de sang.
L’enquête de police conclut à un suicide.
Steve Parker s’était tiré une balle dans la bouche à l’aide d’un fusil de chasse de gros calibre. La police avança que le fusil avec lequel il s’était donné la mort provenait du commerce clandestin et qu’il était aisé de se procurer un tel modèle dans une ville comme Hambourg.
Les analyses sanguines établirent que le taux d’héroïne présent dans son flux sanguin était de 1,52 milligramme par litre.
Deux mois plus tard, les parents de Steve Parker, accablés par sa mort, engagèrent un détective privé. Ils l’informèrent des événements qui entouraient la mort de leur fils et lui firent part de leur scepticisme quant aux conclusions tirées par la police allemande.
Celui-ci se rendit à Hambourg et mena une enquête au terme de laquelle il mit en avant quelques éléments qui discréditaient la thèse du suicide.
Le premier indice était la quantité de drogue trouvée dans le sang. Selon le détective, une telle dose d’héroïne l’aurait rendu incapable de se suicider.
En deuxième lieu, le canon du fusil qu’il avait utilisé était à ce point long qu’il aurait dû actionner la détente à l’aide de son orteil. Or, Steve portait des chaussures lorsqu’on l’avait retrouvé. De même, la provenance de l’arme restait une énigme. Il était avéré que Steve ne l’avait pas emmenée de Berlin. Même s’il était facile d’acheter une arme à Hambourg, comme le prétendait la police, il fallait connaître les filons. Or, Steve n’était jamais allé à Hambourg auparavant.
En troisième lieu, la faible quantité d’empreintes trouvées dans la chambre, et surtout sur l’arme, rendait la mort de Steve suspecte aux yeux du détective.
Enfin, les quelques mots qu’il avait griffonnés sur le bout de papier laissé sur la table de nuit étaient équivoques et semblaient lui avoir été dictés.
Les parents de Steve firent part de ces observations à la police. Malgré cela, le rapport et les conclusions qui avaient été tirées ne furent pas modifiés, la police classa l’affaire en actant que Steve Parker était mort des suites d’un coup de feu qu’il s’était tiré dans la tête.
Le message énigmatique d’adieu de Steve Parker disait qu’il valait mieux exploser en plein vol que de s’écraser au milieu de la foule.
11
Cet inconnu
Le 25 mars 2010, six semaines après l’accident, la direction des opérations de la police judiciaire sollicita le procureur du Roi pour lancer un avis de recherche au travers des médias.
Deux photos de l’homme, l’une avec barbe, l’autre sans, furent diffusées quelques minutes avant le journal télévisé du soir sur les deux principales chaînes nationales, la Une et la VRT.
La diffusion des photos de l’homme ne provoqua que peu de réactions.
Hormis les quelques appels fantaisistes habituels, trois pistes furent retenues. Après vérifications, l’une concernait un habitant de Furnes décédé en 1999, aucun doute ne pouvant être émis quant à son décès. Les deux autres pistes menaient à des hommes en vie, rapidement identifiés.
Les photos de X Midi et la description des faits furent également affichées sur le site Internet de la police judiciaire, sous la rubrique des personnes inconnues.
Malgré cela, les chances d’aboutir à une identification s’amenuisaient de jour en jour.
Lors de la réunion de débriefing, l’inspecteur chargé de l’enquête délivra sa conclusion en haussant les épaules.
— Si vous voulez mon avis, à part lui-même, s’il se réveille un jour, personne ne sait qui est cet inconnu.
12
Le plus brillant de la planète
Après Maybellene, les disques se sont succédé, Sweet Little Sixteen, Roll over Beethoven, Johnny B. Goode, et d’autres encore. Tout mon argent de poche y passait.
La disquaire chez qui je me rendais de plus en plus fréquemment me présentait les nouveaux titres et me pressait de les acheter. Selon elle, ils auraient bientôt déserté les rayons de sa boutique. Elle pronostiquait que cet élan d’enthousiasme pour le rock’n’roll ne durerait pas et qu’un autre courant ne tarderait pas à prendre la relève.
En attendant l’avènement hypothétique de son successeur, Chuck Berry était devenu mon dieu. Ses disques tournaient en boucle dans l’appartement les jeudis après-midi et les dimanches, lorsque mon père rejoignait ses amis au café.