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B.

E.

— MAYBE ?

L’homme ferma les yeux.

Dominique en resta là.

Il ignorait s’il en avait terminé ou si le mot devait être complété.

97

Cette erreur

Il ne m’a jamais soigné. Il ne m’a jamais adressé la parole. Il traversait la cour, droit comme un I, sans un regard pour personne. S’il ne craignait d’être inquiété, il aurait ordonné ma mort, sans remords ni regret.

La vérité tient à présent dans ces deux mots que je ne suis pas parvenu à compléter. Ma route s’arrête ici, mon voyage touche à sa fin. J’ai échoué.

Sans ce bolide qui roulait à contresens, j’aurais pu atteindre mon objectif. Tout aurait été différent.

Je serais allé voir ma mère au cimetière et elle m’aurait pardonné.

J’aurais revu mon frère, je lui aurais dit que je l’aimais. Je l’aurais pris dans mes bras comme Birkin me l’avait appris. Je lui aurais demandé de me pardonner pour le mutisme dans lequel je m’étais trop souvent réfugié et il m’aurait pardonné. Il m’aurait raconté sa vie et je lui aurais raconté une partie de la mienne. Nous aurions échangé nos souvenirs d’enfance. Il m’aurait parlé des bêtes féroces qui se terraient sous mon lit, je lui aurais rappelé les magazines de charme qu’il parcourait sous la couette. Nous aurions évoqué le défilé des gendarmes, la camionnette du vendeur de soupe et le cheval du boulanger. Je lui aurais parlé de mes crayons de couleur et du sourire de notre mère. Nous aurions ri de notre folle après-midi de rock, des colères froides de mon père et de mes propos décousus.

Ensuite, je me serais rendu à la justice. J’aurais avoué mes crimes. Peut-être serais-je allé confesser mes péchés. Debout devant Dieu et les Hommes, j’aurais assumé mes responsabilités et expié mes fautes.

J’aurais repris la lecture. J’aurais rattrapé le retard, j’aurais relu les classiques et découvert de nouveaux chefs-d’œuvre. J’aurais écouté mes vieux morceaux de rock et ressassé mes souvenirs.

Plus tard, je serais allé voir Birkin à Stone House.

Il m’aurait expliqué ce qui s’était passé et quel tour de passe-passe il avait imaginé pour s’en sortir. Je lui aurais raconté mes semaines à Londres, ma rencontre avec Roger et Jonathan. Nous aurions formé un quatuor indestructible.

Quand tout aurait été réglé, je serais parti à la recherche de Mary.

Je n’aurais plus parlé de ce back up, de l’enregistrement, de mes recherches, de mes notes, des mots fantômes et des morts qui ont peuplé ma route.

J’avais payé chèrement cette erreur.

98

On le perd

Dominique sortit perturbé de sa rencontre avec Bernier. Il suivit néanmoins le plan de soins sans son enthousiasme habituel. Vers midi, alors qu’il approchait de la fin de sa tournée, une infirmière vint l’informer que Marie-Anne Perard souhaitait le voir.

Il comprit dès son entrée dans le bureau que les nouvelles n’étaient pas réjouissantes.

Marie-Anne Perard l’attendait en compagnie de Gérard Jacobs. Tous deux avaient le visage fermé et l’air soucieux. Il nota l’absence du docteur Taylor.

Elle l’accueillit sans entrain et le pria de s’asseoir.

— Dominique, ce que j’ai à vous annoncer n’est pas très agréable. Le docteur Taylor sort de ce bureau.

— Je savais qu’il venait aujourd’hui. À première vue, il ne vous a pas amené de bonnes nouvelles.

— En effet. Le docteur Taylor est médecin-chef dans un hôpital psychiatrique situé près de Londres. Monsieur Bernier faisait partie de ses patients.

— Je vous écoute.

— Monsieur Bernier s’est évadé de cet établissement, il y a près de deux ans, en août 2009. Il était recherché depuis. C’est grâce à l’annonce parue dans la presse qu’ils l’ont retrouvé.

Elle s’empara d’une chemise cartonnée posée sur le bureau.

— Vous êtes le seul à avoir noué un contact avec lui et je sais que vous l’appréciez.

Dominique sourit.

— Dominique aime bien tout le monde.

— Je sais, Dominique, c’est l’une de vos qualités. Vos patients le sentent et ça les aide beaucoup. Monsieur Bernier présente de lourds antécédents psychiatriques. Le docteur Taylor m’a remis son dossier médical.

Elle ouvrit le dossier et survola une page.

— C’est en anglais, je vous fais le résumé. Jacques Bernier est atteint d’héboïdophrénie, c’est une forme particulière de schizophrénie. C’est une maladie qui apparaît généralement à l’adolescence. Le diagnostic se fait par l’écoute et l’observation, il n’existe pas de test de laboratoire. Bien souvent, ce sont les proches qui décèlent les premiers dysfonctionnements, ce qui explique vraisemblablement le fait que Bernier ait passé la visite médicale au Petit-Château sans que sa maladie ne soit dépistée, mais il n’en était sans doute qu’aux prémices.

Dominique soupira.

— Je connais les effets de cette maladie, j’ai eu l’occasion de soigner plusieurs jeunes héboïdophrènes en France. L’un d’eux avait dix-sept ans. Il buvait depuis ses dix ans. Quand il était ivre ou quand il avait pris des drogues, il devenait violent et avait des crises hallucinatoires. Personne n’en voulait, ses parents le rejetaient, les foyers refusaient de l’accueillir.

— Les réactions violentes sont assez courantes, mais les manifestations varient d’un individu à l’autre. En général, on relève des troubles du comportement, les sujets ont l’impression que des personnes complotent contre eux. Ils ont des hallucinations visuelles et auditives. On observe aussi l’absence d’expressions ou d’émotions, des problèmes de concentration, des problèmes de mémoire, de la confusion sur le plan de la réflexion et du discours, une difficulté à s’exprimer ou des mouvements répétitifs. Durant les périodes de symptômes psychotiques, leurs perceptions n’ont plus de lien avec la réalité. Dans le cas de Bernier, ça pouvait aller jusqu’à une psychopathologie criminogène.

Gérard Jacobs prit la parole à son tour.

— Le docteur Taylor nous a également fait un topo sur son parcours. Son histoire n’est pas banale. Jusqu’à l’âge de dix-huit ans, ses troubles sont peu marqués, hormis des propos incohérents et une introversion profonde. C’est après que ça se gâte. Comme vous le savez, il disparaît le jour de son entrée au service militaire. Il prend le train pour Paris où il se mêle à une bande de beatniks. Il devient dealer, vend de la drogue aux étudiants et est impliqué dans une affaire de viol suivi d’un suicide pour le moins suspect. Il échappe à la police et se réfugie à Londres. Il se fait de nouvelles connaissances et sombre dans l’alcool et les drogues. Il change d’identité et devient Jacques Berger. On le retrouve à Berlin où il consomme du LSD et prétend avoir participé à un enregistrement orchestré par une agence gouvernementale. De retour à Londres, il blesse grièvement un petit dealer ainsi que la personne chez qui il avait habité pour lui voler son argent. Il se fait faire de faux papiers, devient René Schnegg et prend la fuite vers la Suisse. Son délire s’aggrave, il échafaude une théorie de complot planétaire. Malgré ça, Dieu sait comment, il parvient à se faire embaucher comme portier de nuit dans un hôtel de Montreux. Quelques mois plus tard, il s’enfuit une nouvelle fois. La police remonte sa piste et l’arrête alors qu’il tente de revenir à Londres. Il n’y a pas eu de procès, le collège des experts psychiatres l’a déclaré non responsable de ses actes et il a été interné.