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Et bon, bien, je te disais que je contemplais la pièce où gît la morte.

Le commissaire Bernier est resté dans l’encadrement, n’osant entrer. C’est moi qu’il regarde, le commissaire, en lissant machinalement sa robe, sur le côté.

Espère-t-il encore quelque chose de positif de cette patate éclafée dans le fauteuil ?

Sont-ce ces mystérieuses gens qui ont scrafé Mémère ?

Leur comportement est bizarre. Je me plais à imaginer que s’ils l’avaient tuée, ils ne nous auraient pas conduits à son cadavre, mais auraient éludé en prétextant n’importe quoi, non ? Par exemple qu’elle n’était pas encore rentrée. C’eût été facile, après tout. Non, franchement, ça me désamorce, une telle attitude. L’homme à la veste blanche nous fait grimper jusqu’à la chambre mortuaire. Il sait que nous sommes des policiers. Et voilà qu’il prétend se retirer sans seulement allonger son identité, le côté : « Bon, ben, m’sieur-dame, bonne continuation, moi j’ vais me pieuter ». Ça ne tient pas debout !

Cette vieille femme est là, morte sur le tapis. Et je ne sais rien d’elle, pas même son nom. Elle voulait me parler… Pour m’apprendre quoi ? Qu’avait à voir cet être de toute évidence paisible avec l’attentat de la plage ? Et pourquoi l’homme élégant a-t-il déboulé chez elle avant moi avec son équipe ? Pour la buter ?

Bon, elle a remis avant de clamser un objet mystérieux à son agresseur. Ce tiroir entrouvert l’affirme. L’arrivant l’a menacée, elle s’est soumise. Ils sont montés dans la chambre. Docile, elle a donné ce qui était exigé d’elle, et en guise de remerciement, on lui a praliné la coiffe.

Dis donc, si ce n’est pas Mister Veste Blanche qui a fait le coup, on peut dire qu’il en aura défilé du monde, chez cette brave impotente, au cours de la soirée. L’impotente, c’est pas la rose !

Je me soulève et gagne la commode.

Ce tiroir supérieur contient de la lingerie de vieillarde, impec et bien rangée. Sachets de lavande, naturellement.

Je passe, avec quelque répulsion, ma main sous le linge. J’ai l’impression de violer la morte. Ces dessous me flanquent une espèce de panique tactile.

Je trouve une forte enveloppe fripée d’avoir trop servi de dossier. A l’intérieur, se trouve le livret de famille de Mamie Clopine. Elle se nomme Gilberte Rosier, épouse Duralaix. Née à Nice en 1913, mariée en 1954. Pas d’enfants. Conjoint décédé en 1967. Outre le livret de famille, l’enveloppe renferme quatre mille francs en billets de cinq cents, des coupons de rente, un livret de caisse d’Épargne plein jusqu’à la gueule, quelques photos jaunies de gens d’une autre époque, une jarretière de mariée en soie blanche passée.

Dominique s’est risquée jusque z’à moi. Elle quête ma permission pour feuilleter les choses ci-dessus énumérées. Je la lui accorde d’un geste invitent.

— Elle s’est mariée tard, observe le commissaire Bernier, elle avait 41 ans.

On remet le toutim en place.

— Vous allez prévenir les autorités ?

— Non, c’est pas mon blot. Je ne suis pas le genre de confrère coopératif. Il m’est souvent arrivé de découvrir des meurtres, j’ai toujours laissé les servitudes officielles de côté. Je suis terriblement individualiste.

— Vous pensez que c’est un bon principe ?

— Non, mais c’est le mien. Pour chacun il n’est qu’une vérité : la sienne. Et la mienne me suffit, mon petit.

— Ce qui revient à dire que vous n’allez pas vous occuper de l’affaire ?

— Je n’ai pas dit ça. Je vais m’en occuper, mais à titre personnel. J’adore cuisiner moi-même.

Je reviens me planter devant la morte. Dans mon job, c’est fou ce qu’on ressent le besoin d’interroger les défunts. On aimerait crier pouce, qu’ils ressuscitent un instant, le temps de répondre à deux ou trois questions clés.

Quelque chose me trouble confusément dans la posture de la défunte. Je cherche quoi. Ne parviens pas à le définir.

Elle a donné ce qu’elle détenait. Sans doute se croyait-elle hors de danger, ayant satisfait aux exigences de son agresseur ?

Mais ce vilain avait son idée de derrière la tête qui était de placer une balle de beau calibre dans celle de Mme Duralaix. Il a agi par surprise. La vioque ne s’attendait pas à cette exécution foudroyante. Aucun geste de parade, aucune mimique d’effroi. La mort l’a prise d’un coup, au détour d’une expiration ; vraoum !

Alors ? Que trouvé-je de si singulier dans l’attitude de la victime ?

Dominique continue de m'examiner, curieusement.

Comme nos yeux se croisent, elle demande simplement :

— Quoi donc ?

Je hausse les épaules.

— Je ne sais pas.

— Qu’est-ce que vous ne savez pas ?

— Ce qui me tracasse dans la position de cette femme.

— Vous lui voyez quelque chose de particulier ?

— Oui, mais…

Mais quoi ? C’est indéfinissable. Une tracasserie de flic, confuse et lancinante.

— Bon, partons ! décidé-je.

On décarre, têtes basses, les jambes lourdes, le cœur en berne. Un grand mécontentement de tout notre être ! C’est assez poignant.

Dehors, la nuit est fraîche et limpide. C’est fou ce que je me sens bien dans cette région de France, malgré ce qui s’y passe. L’air, je te dis. Il semble être dosé pile pour convenir à des poumons humains. Il est doux et vivifiant.

— Où allons-nous ? se risque à demander ma jeune collègue.

— A l'Esturgeon. J’espère que ça n’est pas encore fermé.

— Quoi faire ?

— Devinez, mon commissaire, devinez !

Quelques pas sont faits en silence.

Puis elle s’arrête et lance, d’un ton plein de vivacité :

— Vous allez essayer de retrouver les gens qui dînaient en compagnie de cette personne ?

— Vous venez de gagner cent francs, lui dis-je, vous continuez ?

MINUSITRE VII

Il se tient dans l’encadrement de sa porte, sur fond de lumière blonde, étrange et sourcilleux dans son incroyable robe-de-chanvre monacale, sobrement ornée de sa légion d’honneur (et ils sont légion, en effet, à arborer leurs z’honneurs).

Il a le cheveu presque en brosse, bien qu’il se raréfiât ; les sourcils en accents extrêmement circonflexes, fournis, hérissés, ce qui rend son regard agressif.

— Pardon de vous réveiller, mon général, lui dis-je ; je ne l’aurais pas fait sans un motif grave.

Et je lui propose ma carte.

— Je n’ai pas mes lunettes, répond-il d’une voix qui ferait tourner cent mille litres de lait frais, s’il se trouvait cent mille litres de lait frais dans son appartement, auquel cas on pourrait conclure qu’il habite une fromagerie.

Le général Prandurond occupe tout un étage dans un immeuble vieux et bourgeois de La Baule, non loin de la place Aimé Le Maître, là qu’il y a tous ces pins parasols plantés en quinconce.

— Commissaire San-Antonio, de Paris, et voici mon confrère, le commissaire Bemier.

Il hoche la tête.

— Je préfère, dit-il, compte tenu de l’heure, je m’étais prémuni.