Il sort de sa poche un pistolet gros comme l’appareil génital de Béru et se met à l’échanger d’une main à l’autre, vite vite, à t’en foutre le tournis, comme il est fait dans les vouesternes qui se respectent. Qu’à la fin, ce vieux con rate un geste et me balance sa pétoire pour guerre de cent ans sur les pinceaux. Le coup part, adieu, veau, vache, cochon, couvée ! La balle tente de se loger dans la grosse lanterne de cuivre et verre de la cage d’escalier, mais ladite explose sous l’impact, si bien que la praline trouve asile dans le plafond.
Je t’épargne le remue-machin qui en consécute. Les copropriétaires viennent co-hurler, comme quoi, il devient dangereux en gâtochant, le général Prandurond, vu que ça fait trois fois en un an qu’il défouraille en pleine noye, se croyant attaqué par la voyoucratie baulienne. Et cet immeuble en subit les conséquences, tout ça…
La dame au général se pointe aussi, enguirlande son schnock à la deuxième personne du pluriel. Elle est pareille à un sac de farine, dans sa chemise de nuit blanchâtre, les crins prisonniers d’une résille blanche aussi ; la gueule enduite de crème blanche, la voix blanche, les yeux blancs, les chevilles blêmes et quoi encore ? Enfin tout, quoi ! Tu mords le genre ?
L’algarade étant conjurée, on finit par nous introduire dans un salon à peine croyable où, moi je serais Claude Lelouch, tout de suite j’irais tourner, parole !
Magine-toi une vaste pièce, avec de hautes fenêtres garnies de vitraux représentant la vie de Jehanne d’Arc : Domrémy, Chinon, Orléans, Rouen, en voiture ! Une cheminée médiévale. Des meubles gothiques du XIXè, façon Hugo. Un éléphant naturalisé (français) trône sur un socle, tandis que deux têtes de cheval (ou de chevaux) sont accrochées à un mur. On compte également en ces lieux : une armure ayant appartenu au connétable de Logarithme, une immense toile de Philippe de Champaigne célébrant la victoire de Bernard Hinault dans le Tour 79, un canon de 75 dédicacé par Bismarck ; une fortification à la Vauban repeinte en camouflage, le crâne d’Hô Chi-Minh enfant, un sous-officier de uhlan empaillé, un pousse-pousse indochinois, une guérite de sentinelle avancée sur laquelle fut écrit au charbon de bois « Le général Prandurond est un enculé », un drapeau ayant appartenu au 1999è R.I.C., un autre conquis de haute lutte sur les Turcs au cours de la marche de Mozart en 1915 ; un taxi de la Marne ayant servi à transporter sur le Front les bons sentiments du général Galliéni, seize photographies du maréchal Pétain à l'île d’Yeu, un peloton d’exécution admirablement conservé, une reconstitution du wagon de l’Armistice, deux coqs gaulois un peu déplumés, une coiffe d’Alsacienne, la capote anglaise du 18è Régiment de Parachutistes, deux mètres vingt de la Tranchée des Baïonnettes, et une petite cuiller à café sur le manche de laquelle est gravé « Souvenir de Castelnaudary ».
J’oubliais le plus important, et tu voudras bien excuser cette étourderie : face à la cheminée, la jument également naturalisée, que montait le général Prandurond lors de la capture d’Abd el-Kader.
L’ex-officier s’en approche, grimpe sur un tabouret réservé à cet effet, et califourchonne la bête. Il passe ses mules dans les étriers, assure les rênes dans ses mains toujours énergiques et manœuvrières, puis, nous ayant conviés à nous déposer dans des fauteuils de cuir, s’enquiert du motif de notre visite.
Alors moi, tu vas voir : la merveille du genre, ce qui équivaut à la huitième du monde.
— Mon général, nous avons été informés, de façon anonyme, que les jours d’une certaine dame Duralaix, née Rosier, se trouvaient en danger. Ayant appris que cette personne comptait parmi vos amis, je viens donc recueillir votre appréciation sur la question.
Pas mal torché, non ? Faut dire que j’étais premier en compofranc à la communale (classe d’attardés).
Le majestueux général Prandurond flatte l’encolure de son bourrin stratifié et murmure :
— Rosalie, passez-moi ma cravache !
Son épouse, qui attendait en embuscade, se pointe en brandissant l’objet réclamé.
Elle oublie de se retirer, ayant entendu ma déclaration et trouvant le sujet d’intérêt.
— Gilberte Duralaix est une vaillante, une forte ; gloire à elle, messieurs, gloire ! gloire ! égosille l’ex-officier supérieur.
Je le soupçonne de ne pas s’être rendu compte que « le » commissaire Bernier appartient au genre féminin, mais qu’importe puisqu’il n’est pas ici pour un coït.
— Femme de grand mérite ! lance le général, comme s’il déclamait une citation à l’ordre de l’armée. Conduite héroïque sous l’Occupation où elle n’a pas hésité à livrer, au nez et à la barbe des maquisards, une famille israélite à la Gestapo. On lui doit l’arrestation de deux parachutistes anglais et le démantèlement intégral du réseau « Paille de fer ». On la retrouve en Algérie, pendant les dures heures de l’O.A.S. où elle a dynamité la préfecture de Postagalène. Ensuite, elle donne asile pendant plusieurs mois au colonel Puduc, dont la tête était mise à prix par les sbires du grand Gaulle, de funeste mémoire. Rarement, Française aura servi aussi efficacement sa patrie. Fermez le ban ! Taratata taratata tara tara tara ! Reposéééééé Hhhharm’s !
— Tout cela est bel et bon, mon général, fais-je à ce vieil empafé débile, d’après le comportement de cette valeureuse créature, on peut donc penser qu’elle a hérité quelques ennemis de ses activités passées ?
— Et comment ! Toute une racaillerie judéo-communiste, vous le pensez bien ! Gibiers de sac et de corde ! Usuriers aux nez crochus, infâmes bradeurs de la France ! A mort ! Feu à volonté !
— Je crois savoir que vous dînâtes ensemble, ce soir ?
— Comment l’ignoreriez-vous puisque vous vous trouviez au même restaurant, à deux tables de la nôtre ? susurre la générale Prandurond.
Femme avisée, comme toutes, ayant l’œil et sachant s’en servir. Mais son con d’époux ne bute pas sur le détail.
— Oui, nous avons dîné ensemble, exact. La conversation de la chère Gilberte est un enchantement. Ses souvenirs sont légion.
— Et même Légion des Volontaires Français, souligné-je, ne pouvant laisser passer une possibilité de jeu de mots quand elle croise dans les parages.
Je poursuis ;
— Mme Duralaix vous a-t-elle fait part de quelque inquiétude concernant sa sécurité ?
— Que nenni ! Elle paraissait toujours aussi vaillante et sûre d’elle, malgré son arthrose de la hanche ! Inquiète, elle ? Foin ! Foin ! Foin ! Le courage, monsieur ! Le courage français à l’état pur. Messieurs, sabre au clair ! ajoute le kroum en brandissant sa cravache droit devant soi, chargez !
Et il pique des deux sur sa monture immobile, en un rush imaginaire qui le mène très profondément dans les lignes ennemies.
Dominique me regarde d’un œil significatif. Elle pense que nous n’avons pas grand-chose à espérer de cette baderne en délire. Fraîche émoulue, comme on dit puis dans les livres, elle ne sait pas que l’humus de la déraison peut être aussi fertilisant que celui de la raison, ainsi que l’écrivait si bellement M. Jean-François Revel dans son éditorial à trous consacré au développement du saut à la perche chez les ingénieurs du son.
Mais l’Antonio, le vrai, le grand, ne s’avoue pas vingt culs. Il gratte le pus de la sottise pour aller jusqu’au cœur du mal, comme l’a dit avec humour Félix Le Canuet au mille huit cent douzième congrès de Villeneuve-la-Garenne.
— Mon général, madame la générale, réattaqué-je imperturbablement, tout me porte à penser qu’au cours de ce repas que vous prîtes, Mme Duralaix a fait allusion à l’attentat de la plage.
Deux points, j’ouvre les guillemets et attends que ce couple singulier remplisse les blancs.