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Par chance, un taxi perdu passe sur le bord de mer. Je l’hèle.

* * *

L’allée des Palmiers se trouve tout près de la place des Palmiers, et sa principale caractéristique est qu’elle ne comporte aucun palmier.

Le 118 est affecté à une bicoque sans intérêt, coincée entre deux immeubles modernes, ultime vestige d’un La Baule en voie de disparition. Le jardinet qui l’entoure ne doit pas excéder trois centimètres carrés (à peine carrés d’ailleurs, disons plus simplement, pour rester dans les normes — ou l’hénorme — qu’il s’agit de mètres pointus).

Tout comme la demeure à feue Gilberte Duralaix, le logis brille de tous ses feux.

Je me pointe, je sonne, et c’est l’homme à la veste blanche qui vient m’ouvrir. Je sais bien que l’Histoire (les miennes surtout) n’est qu’un éternel recommencement, mais tout de même, y a une pointe d’abus.

Le gars me sourit.

— Décidément, nos pistes se croisent et s’entrecroisent, remarque-t-il. Par contre, vous avez changé de partenaire.

Pour toute réponse, je lui tire un crocheton au bouc qui le soulève de terre et le fait retomber assis, pareil à une poire mûre.

— Vous voudrez bien excuser ma vivacité, lui dis-je, tandis qu'il s’ébroue, c’est la monnaie de tout à l’heure.

Je ne puis en proférer davantage, car ses deux sbires jaillissent de l’ombre, armés de matraques et se mettent à m’invectiver la nuque à coups de goumis. Mes idées se brouillent, mes gestes défensifs se font pâteux et deviennent vite inutiles. Qu’en fin de règlement de compte, je me retrouve à quatre pattes sur le carreau, la tronche pendante, avec des idées aussi nettes que celles d’un noyé repêché après deux mois d’immersion. Je reste un instant dans le vague, à écouter les cloches. Pâques dans toute sa splendeur ! Le gros bourdon, les frêles clochettes, toute la quincaille de clocher : ding dingue, dongue, digne d’un don, digue dindon, tic d’un con, king Duncan, etc.

Michèle s’est agenouillée à mon côté, me caresse doucement la tronche, à doigts juste effleureurs. M’effeuille les brouillards : je t’aime, un pneu, boy scout, passivement, ras-du-cou ! C’est tendre, c’est bon. Sa bouche sur ma joue. Et puis qui se rapproche du point de rencontre. Lèvres à lèvres. C’est suave, parfumé, enivrant ! Quelle femme fabuleusement exquise ! Je réanime. Avance mes mains à palpons. Trouve ses formes. Les déforme sous ma pression sanguine. Une poitrine de fer dans un soutien-gorge de soie ! Et sa peau : du velours surchoix ! Pas demain la veille qu’elle sera obligée de se la faire repasser pour en gommer les plis. La chérie, l’extra-belle. Mes idées cessent un peu de tanguer. Je me réintègre, deviens recueilli, comme M. Brejnev à la sortie de la messe.

On est là, à genoux chez un quidam qu’on ne connaît pas. Face à face, mains égarées, z’yeux chavirés, souffles en délire. Je lui roule une pelle, une pioche, un râteau, une binette, une houe, deux houppettes, les « r », vingt cigarettes, un râ, une pierre qui, ma bosse, une brouette, carrosse, un tapis, les manches, des épaules, des yeux, une larme, et puis je ne sais quoi de plus, mais y en a.

Instant suave, goût suave (the queen, la pauvre). Félicité totale. Ensorcellement. On, s’étreint (de marchandises). Je serais cap’ de la prendre, là, sur le seuil de ce monsieur inconnu. Mais ne serons-nous pas mieux en la douillette literie du Prieuré Palace, ce select établissement de l'establishment : classe, service impec, prix de la langouste selon grosseur.

C’est bien pourquoi je me relève et l’aide, moi l’assommé, à se remettre debout, elle, l’ineffable personne.

Attendez-moi un instant, fais-je.

Ah oui, que je te dise ; les visiteurs du soir se sont esbignés. L’homme à la veste blanche et sa joyeuse équipe ont taillé la route pendant que je digérais ma tisane de coups de trique.

Le crâne me zonzonne, façon ventilateur dans un modeste motel d’Afrique. Je me le prends à deux mains, n’en ayant pas davantage, et visite la maison.

Le sieur René Creux est dans sa chambre, avec une praline dans le chignon, exactement comme sa vieille camarade de jeux. Son sang est sec. Il a été refroidi avant la boiteuse. Ce qui me fortifie dans la certitude que ce n’est pas l’homme à la veste chose le meurtrier. On dirait qu’il enquête de son côté, Prosper, et que ses investigations le conduisent chez les mêmes personnes que moi (si j’ose m’exprimer de la sorte).

René Creux était un petit bougre chauvasse, grisâtre, râpé, affligé d’un nez à cratères, de valoches à soufflets sous les lotos, et d'un râtelier que l’impact de la balle lui a fait jaillir du clappoir.

Il se trouvait en pyjama couleur de misère mal lavée au moment de son décès fortuit.

Je fouinasse dans sa casa, mais mes devanciers l’ont fait avant moi… Seule chose intéressante à noter, il y a une quantité d’armes à son domicile : des pistolets dans les tiroirs, une mitraillette sous son lit, des balles de tous calibres dans des cartons, sans parler de couteaux à cran d’arrêt et de fioles suspectes dont le contenu verdâtre raconte des morts shakespeariennes. Un curieux loustic, vraiment !

Michèle, toute pâlote, se tient agrippée au dossier d’un fauteuil.

— C’est la première fois que je vois un homme assassiné, s’excuse-t-elle. Mon Dieu, quelle horreur ! Et dire que ma fille a choisi un métier qui l’obligera à côtoyer de pareilles choses !

Je la cueille par la taille.

— Venez, Michèle.

— Qu’allez-vous faire ?

— Aller me coucher, dis-je et je vous engage à en faire autant et même à le faire avec moi, mon amour !

Elle ne répond rien.

Kennedy rein con sang !

Cette fois, il n’y a plus de taxi. Va falloir go-homer à pince. On gomme, donc.

Mais au bout de cinq pas (peut-être six, laisse-moi réfléchir… Oui : six !) une voix de mélécasse nous interpelle (à charbon, évidemment, vu qu’il fait nuit noire).

— Hello, m’sieur-dame !

Je nous stoppe. La voix sort d’une auto remisée sur le trottoir, toute de traviole, une aile ayant même percuté la grille d’une propriété. Il s’agit d’une Renault 4 blanche, sur le flanc de laquelle il est écrit : « Serrurerie BOUDIN et Fils, 8 rue Paul Hisson, Le Croisic. »

M’en approche.

Pour apercevoir, à l’intérieur, un pionard en pleine distillation. La lumière d’un lampadaire voisin me découvre une bouille d’alcoolo professionnel, violine, veinée, boursouflée. Deux yeux de gélatine clignotent faiblement. L’intérieur du carrosse sent le vin qui a déjà servi.

M. Boudin (s’agit-il du père ou du fils ?) articule :

— Mande pardon de m’escuser, mais j’ voudrais savoir c’ qui se passe dans la crèche à m’sieur Creux.

— Vous le connaissez donc ? m’étonné-je.

— C’t’ un client, rétorque l’éminent serrurier défoncé.

— Pourquoi pensez-vous qu’il se passe quelque chose chez lui ?

— Ça fait une chiée de temps que j’ m’ai arrêté ici, sur la fin de la soirée, en quittant chez l’Arménien où on a un peu éclusé. Moi, quand j’ me sens tout mou, j’ai le réflesque d’pas conduire. Qu’ensuite, ces emmanchés vous font souffler dans l’ ballon et qu’on s’y retrouve pour la nuit, au ballon, sans préjudiciable du permis qu’ils vous sucrent, les vaches, merde !

— Et il s’est passé quoi, depuis que vous êtes stationné là, cher m’sieur Boudin ?

— Vous m’ connaissez donc ?

— Un homme de votre réputation, ce serait malheureux !

— C’est marrant, moi j’ vous remets pas.

— La gloire consiste à être connu de gens qu’on ignore. Alors, que s’est-il passé ?

— Toutes ces allées-venues, un vieux zig si peinard…