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Je marche… Le sable ne fait pas de bruit sous mes pinceaux. Il est très blanc, très fluide… L’océan se barre doucettement vers les confins. Tout à l’heure, quand il sera vraiment marée basse, une horde d’échassiers nu-pieds, pantalons retroussés, s’en iront à la cueillette des coques, munis d’un petit râteau et d’un sac ou d’un seau. Sots eux-mêmes, arqués, chercheurs, fouineurs, pilleurs de mer.

Je vais, je m’aligne sur la nature fabuleuse qui m’environne. Là-bas, la masse anglo-normande du Prieuré Palace se dresse, bastille accueillante des derniers patrons criblés de libelles vengeurs.

Je cesse de m’abandonner à l’immensité pour contempler les ébats d’une admirable jeune fille roulée comme tu as jamais vu. Elle joue au ballon avec un bambin. Beau ballon léger, à tranches de couleurs, et que la brise fait rouler plus loin que prévu. La jouvencelle plonge pour le rattraper. Se reçoit mal, pousse un cri, puis se tord de douleur sur le sable, la jambe gauche dressée.

Un qui se précipite, faut voir comme, c’est l’ami Sana, tu te doutes bien ! Ah ! le gueux, une occase pareille ! Prompt comme un Écossais apercevant un billet d’une livre sur le trottoir.

— Vous souffrez, mademoiselle ?

Ce qu’elle est choucarde, la mademoiselle ! Une gonzesse pareille, dans les bras d’un autre, c’est une perspective insoutenable. Pulpeuse, dorée, blonde, les cheveux longs, la poitrine pour de vrai, les hanches délicates comme celles d’un Stradivarius, les yeux bleu ciel, magnifique ! Et la bouche ! Et les dents ! Et les cuisses ! Alouette, gentille alouette…

— Je me suis tordu la cheville !

Oh la pauvre superbe cheville !

— Vous permettez ? dis-je d’autorité en emparant son joli panard dont je ferais bien le mien, espère ! Ya yaïe !

Et je masse délicatos la cheville, dessus, dessous, de côté. Sur l’os à moelle, au talon, au tendon de ce con d’Achille, en remontant le mollet, car faut ce qu’y faut ! Tout bien !

— Vous êtes médecin ? soupire-t-elle en grimaçant de souffrance.

— Non.

— Moniteur ?

— Non plus, il n’y a pas besoin d’être kinési pour savoir masser une cheville pareille dans une peau pareille, surmontée d’une personne pareille ! dis-je sérieusement, afin de contraster.

Les nanas raffolent des contrastes. Quand tu les chambres, reste grave. Si tu les attaques au grand sentiment, fais l’enjoué. Enfin, démerde-toi selon, quoi. Chacun sa recette ; chacun baise ce qu’il mérite.

Au bout d’un moment, elle dit qu’elle se sent un peu mieux. Et moi j’ai un tricotoche mastar comme la matraque d’un M.P. ricain.

Je l’aide à se relever. Mais elle flanche.

— Vous croyez que je suis cassée ? s’inquiète-t-elle.

— Non : foulée seulement. Je vais vous porter si vous le vouiez ?

Elle veut bien. Je la chope dans mes bras, elle participe en me tenant par le cou, et on joue la scène des jeunes mariés entrant dans leur nid d’amour : délices, et orgues, ta na na na nana lala lalalère.

— Laissez-moi à ma cabine, elle demande.

C’est le 34.

Je l’y drive, l’y dépose.

Y a personne encore dans les azimuts, vu l'heure relativement matineuse.

— Merci, vous êtes vraiment très gentil.

Tu penses qu’il n’y a pas de mérite.

— C’est votre petit frère, le gosse avec qui vous jouiez ?

— Non, je venais de lier connaissance…

— Vous êtes à quel hôtel ?

— Nous occupons une maison de vacances…

— Avec vos parents ?

— Oui. Ils viennent me rejoindre à la fin de la semaine, pour l’instant je suis seule avec une amie.

Elle ajoute :

— Mais c’est une flemmarde qui ne se lève jamais avant midi.

Bon, alors on se met à papoter, nécessairement. Je lui remasse la cheville en causant. Elle s’appelle Isa Bodebave et elle habite Hyères. Prépare une licence en droit à la Fac d’Aix-en-Province. Ici, son adresse, c’est villa « Les Colombes », impasse de la Médisance. Je lui propose d’aller chercher ma tire pour la ramener à son home ; mais non, elle préfère attendre sa potesse ici et passer la journée sur la plage.

Soite !

Je lui demande si on peut se revoir, elle accepte en me proposant d’aller prendre un pot chez elle en fin d’aprême. O.K.

Je m’ hasarde à lui baiser le coup de pied. Cette chère exquise cheville que tant et si bien j’ai malaxée.

Isa m’objecte qu’un baiser à toute extrémité perd de son efficacité, aussi lui en administré-je un autre, un mieux, un tout grand, prolongé. En gros plan, tu vois ? A lui jouer le Menuet de Boccherini dans la bouche, avec la langue.

Et c’est en chancelant que je m’éloigne, un peu comme si c’était moi qui me sois foulé la cheville ! Elle me guignait, c’est sûr, m’attendait dans les affres, en se tortillant les doigts pour essayer d’y faire des nœuds, car en m’apercevant, elle s’élance, Michèle. Superbe, tout de blanc vêtue. Tennis. Je me dis que le séjour, malgré les attentats à la bombe et les assassinats, possède de bons côtés. Ces nanas merveilleuses, dissemblables, mais toutes hautement excitantes, m’aident à dominer mes préoccupances.

— Antoine, Antoine ! elle écrie, la dame Bernier, Dodo n’est pas avec vous ?

— Absolument pas.

— Elle n’a pas euh… passé la nuit dans votre chambre ?

— Quelle horrible idée ! Vous me voyez séduisant simultanément la mère et la fille ?

Je pense qu’elle préférerait cette perspective, car elle est folle d’inquiétance, ma noble conquête.

— Personne ne l’a aperçue ce matin et son lit n’est pas défait !

J’exprime en deux mots ma stupeur alarmée :

— Oh ! Oh ! fais-je, sans omettre les points d’exclamation.

Je raconte ensuite à Michèle que sa fille est passée me voir en rentrant du casino ; mais qu’on a joué brève rencontre.

— Il faut faire quelque chose ! me supplie-t-elle.

— Vous avez parlé de cette absence à notre vénéré directeur ?

— Naturellement. Il ne sait rien. Il pensait qu’elle se trouvait en votre compagnie.

Je réfléchis.

Et moi, quand je réfléchis, il en sort infailliblement quelque chose, comme d’une braguette ouverte. C’est pas toujours gros, c’est pas toujours frais ni même appétissant, mais c’est en tout cas mieux que rien.

— Ne vous mettez pas la rate au court-bouillon, mon bel amour, je lui supplie ; filez à votre tennis, moi je vais éclaircir cette histoire !

— Il s’agit bien de tennis, alors que j’ai l’âme en lambeaux !

— Attendez-moi au soleil et ne dramatisez pas la situation.

Là-dessus je fonce à la réception expliquer que je dois m’entretenir avec le concierge de nuit. On me répond qu’étant de nuit, cet homme de bien dort le jour ; à quoi j’ai la cruelle audace de répondre que je m’en tamponne comme avec un maillet. Il urge que j’aie une converse avec le concierge de nuit, et ensuite, promis, je le bercerai dans mes bras en lui chantant : « Colin, mon petit frère (ou mayonnaise, au choix) » pour qu’il se rendorme.

Je suis si pressant, si pressé, qu’on finit par m’indiquer en quelle annexe je vais trouver cet excellent homme.

* * *

— Non, non, vous ne me dérangez pas, affirme-t-il, avec une voix comme quand tu tournes une cuiller de bois dans du gruyère en fusion, et en me contemplant avec des yeux auxquels il ne manque que d’être frappés de la faucille et du marteau pour ressembler à deux drapeaux soviétiques.

Je le ranime avec un billet de cent francs, plié en deux dans le sens de la longueur pour qu’il fasse moins triste.