Là-dessus, il m’empoigne le bras.
— C’ vieux crabe commençait à m’ cavaler su’ la bite, me dit-il. Moi, les vacances en famille, cinq minutes, ça va ; mais j’ passerai jamais professionnel.
DÉGUEULASSITRE X
C’est une bouffée d’air, Béru.
Pas pur, mais tonifiant tout de même. Lui, ce qu’il possède des alpages, c’est le fumet de leurs étables et des pinceaux des bergers.
On s’effondre sur une ravissante moleskine beige clair dans le bar de M. Bouze (c’est écrit sur la lourde : Bar Bouze). On picole un peu pour se refaire une tendresse, Alexandrovitch et moi. Débit de boissons deviendra grand pourvu que Béru lui prête vie. Il me narre ses débuts de vacances, dont déjà il m’avait résumé l’essentiel : à savoir qu’elles le font tarter. Il ne tient que par la table, le Gros, dans ces cas de langueur existentielle. S’y raccroche comme Géricault au rade haut de la Méduse. Manger devient son unique évasion, sa philosophie de secours. Il se serait bien embourbé la cousine Lemmuré, manière de lui épousseter les toiles d’araignée, à cette haridelle, mais franchement, elle est trop blette et confite ; il voudrait pas minoucher une nière qui réciterait son chapelet en cours de disco mutin, l’Artiste. Catholique, il est, indélébilement ; il peut pas se permettre le risque d’être excommunié pour une tyrolienne à glotte circonscrite, si ?
Quand il a fini de doléer, je lui narre ma petite affaire. Et alors, tu le verrais reprendre du poil de l’ablette, Messire ! La manière qu’il pavoise des fanaux, le bon Ogre. Et salive de plaisir ! Tant il salive que son calcif détrempe, c’est dire !
Il préfère ça aux Lettres de mon moulin. Et pourtant c’est charminge, les Letters front my mill, frais et pinson en diantre diable, non ?
— M’est avis, dit-il, qu’il se passe du tout moche dans c’t’ estation baleinière, et qu’ t’es pas au bout de tes peines, mon Grand. Il est temps qu’ j’ vinsse en renforcement. Ton gus à la veste blanche te drive en barlu. Le gonzier qu’a gerbé de l’hôtel est un drôle de pélican, et tu t’es fait chambrer par la mignonne d’la plage. Comme j’ai un cerveau tout frais, hors surmenage, pimpant neuf et en parfait étalon d’marche, m’ vient une idée qui risque d’te r’donner l’ beau rôle.
— Laquelle, mon Gros ?
Il vide son verre pour se lubrifier la menteuse, ensuite de quoi il me chuchote une combine d’à sa façon, pas glandularde le moins. Tellement choucarde, même, que je m’abonne dans son sens, comme il dit.
Là-dessus, nos accords étant pris, nos montres réglées comme : du papier à musique, une horloge de précision, une dame en bonne santé ; je nous sépare pour aller préparer la réception du prince Charles.
En v’là un, il marche pas à côté de ses pompes, espère ! D’ailleurs, il s’écraserait les orteils vu la dimension de ses tatanes. Sa dégaine princière lui permettra jamais d’entrer dans le marcher commun, car il a le marcher trop aristocratique, lent et mesuré, pareil à celui d’un garde royal en train d’essuyer un étron collé à sa semelle.
Il descend de son avion, escorté de deux ou trois Anglais habillés en Britanniques, le cheveu plat, un sourire surgelé en bouche. Il fait un petit geste de la main, comme quand tu effaces la buée de ton pare-brise, afin de saluer l’assistance qui clairsème à tout vent (elle se compose essentiellement de la Rousse).
Des officiels s’empressent. Il leur serre la louche. Quelques rapides palabres et le voici engouffré dans une tomobile noire, en compagnie de trois autres pèlerins. Une bagnole de bourdilles, banalisée (pour les bourdilles y a pas besoin ; ils le sont de naissance) se met à lui filer le train. Maigrichon cortège, mais quoi : il n’est que prince et le restera longtemps encore, je gage, bien que sa maman soit en pleine méno. Et son voyage n’a rien d’officiel. Il vient voir sauter des canassons, ça n’est pas vital pour le devenir de la Grande Albion.
Ma pomme se met à suivre les deux véhicules, de loin. De très loin, nonchalamment, un coude à la portière, ma radio bieurlant à pleine vibure, façon touriste en maraude.
Il fait beau, de plus en plus beau…
Et pourtant, je suis étreint par un vilain pressentiment. Il me semble qu’un chaudron d’huile bouillante est posé en équilibre quelque part sur une porte inconnue ; et que je vais pousser cette porte, à un moment ou à un autre.
Là-bas, la voiture princière accélère brusquement. Surpris, je regarde, et que vois-je ? Des petits nuages caractéristiques qui moutonnent à droite de la chaussée. On a défouraillé sur le Prince !
Dis donc, on ne perd pas de temps pour lui faire sa fête à cézigue ! Je donne un coup de sauce pour me ruer sur les lieux de la mitraillade. Et qu’aspers-je ? Tu donnes ta langue ?
Une baraque foraine. Enseigne ? « Au champion de l’Atlas. » Tartarin, propriétaire. Elle figure parmi un groupe de manèges mélancos qui tourniquent au son d’une musique rouillée, pour seulement deux ou trois mômes.
C’est de cette baraque qu’on a praliné Sa future Majesté Bricabrique. Une auto sport démarre déjà, dont il m’est impossible de repérer la plaque ralogique. Qu’elle est déjà à l’autre extrémité de l’esplanade, cette véloce bagnole. Crème, elle est. Capote noire. Tout ce qu’il m’est accordé de déterminer.
Personne à la baraque foraine. C’est pas l’heure de fonctionnement. On a carbonisé le cadenas pour l’ouvrir. Astucieux. De ce point clé, le ou les tireurs pouvaient guigner l’arrivée du prince sans attirer l’attention. Des gonziers à fusil, devant un stand, c’est aussi normal qu’une blennorragie dans la culotte d’un séminariste.
J’interpelle (à gâteau) deux bambinos qui glandouillent à portée.
— Hé, les mômes, vous avez vu les gens qui viennent de tirer ?
L’un deux acquiesce.
— Oui, on les a vus. Ils avaient des gros fusils. Ils ont fait des cartons. Et puis ensuite ils ont tiré dans la rue.
— Comment étaient-ils ?
Ils se mettent à jacter en même temps, et avec volubilis, comme dit Bérurier. Les mouflets, si tu leur prêtes l’oreille, ils s’hâtent de la remplir. De leur babillage tumultueux, il ressort que les tireurs étaient deux, qu’ils portaient des vestes de cuir, qu’ils étaient grands (mais vus par des chiares, ça ne signifie rien) et qu’ils s’exprimaient en langue étrangère.
Je laisse mes témoins en culottes brèves pour aller plus loin voir si le prince y est.
Il n’y est plus. Les deux voitures ont poursuivi leur route. Y a-t-il du bobo ? Je le saurai plus tard. Donc, je bombe jusqu’au Prieuré Palace. Là, j’avise un rassemblement de minime importance autour de la tire ex-princière[20]. Les poulets examinent les points d’impact des balles dans la carrosserie. Ils branlent ce que tu sais en échangeant ce qu’ils ont à leur disposition : à savoir des considérations. Certains le font en anglais vu qu’ils sont anglais, et d’autres en français puisqu’ils sont français, et, moi je te dis une chose : connaissant la vie comme je la pratique, ils discutailleraient aussi bien en espagnol s’ils étaient guatémaltèques.
Je frime la guinde et alors, quelque chose me surprentissime, car j’ai une sagacité exceptionnelle. Françoise Xénakis, ma gentille, a beau prétendre que je ressemble à un officier aviateur qui n’aurait jamais volé, île n’en pêche que pour visionner au premier regard ce qui cloche dans un attentat contre le prince Charles d’Angleterre, tu ne trouveras jamais mieux que bibi, ou alors ce sera beaucoup plus cher et encombrant, sans compter que ça risquerait de se casser pendant le transport.