Le quelque chose auquel j’allusionne réside dans le fait que la volée de balles : au moins sept ou huit, ont frappé le bas de caisse de la brouette. Et moi, des tireurs d’élite qui attentent à la vie du passager d’une chignole en défouraillant à vingt centimètres du sol, je prétends qu’ils ont plutôt peur que ledit ne s’enrhume. Même quand tu plombes à la volée, et surtout si tu es professionnel, tu défourailles à la bonne hauteur. Quand le cher Bastien a voulu scrafer l’autre Charles, il l’a raté parce que Dieu protégeait ce dernier, mais uniquement. Sinon les quetsches se trouvaient bel et bien là où elles avaient le plus de chance d’enveuvasser la France. Et quand on a rendu la pareille au Bastien, c’est pas dans ses patounes que les gaziers du peloton lui ont balancé le potage ! Qu’une balle perdue se loge un peu bas, certes. Mais que l’essaim se situe au ras du plancher, nenni. Si bien que je suis prêt à te parier une bande de comtes contre une bande Velpeau, voire un comte courant, contre un compte bancaire, ou encore un vicomte contre un compte à rebours, oui, prêt, que cet attentat est bidon.
Dans quel obus ? Ministère et bulldog ![21] Décidément, cette histoire est inextricable, et pour l’extriquer, va falloir fourbir mes méninges. Pas chialer l’huile de matière grise. Employer l’extrait d’extrait d’encéphale, moi je t’annonce.
Je pénètre dans l’hôtel. Le Vieux est au bar, en compagnie du duc de Réchetague, du vicomte de Braz-Gelone, du comte de Mont-Técristau, membres du comité hippique, organisateurs distingués, qu'il connaît bien, Achille, tu penses, ce vieux con, dès qu’il y en a de plus vieux, plus cons et plus huppés que lui quelque part, s'il leur saute dessus, ce bol de bouillon ! Qu’on peut bien trucider mille fois le prince, l’écarteler dans le sens de la longueur et lui enfoncer une minicassette de Julien Sardou ou d’Ernestine Dalida dans le prose, le comment qu’il s’en tamponne, du moment qu’il a trouvé à qui palabrer et rond-de-jamber. Le snobisme, c’est la plaie de nos dernières civilisations. Vivement tes prochaines, qu’on gambade enfin dans le naturel et la simplicité, merde ! Moi, je dis ! Et je dis toujours conformément à mon avis, sache-le ; suce-le aussi, par la même occase.
Le Vioque, me trouvant pas suffisamment Jockey Club de manières, feint de ne pas me voir, histoire de me décourager l’approche, ce que voyant, je me rabats vers le bureau du directeur, homme aimable s’il en fut, comme on disait au temps de Hugues Capet et de sa belle-sœur (la grande : celle qui avait un slip propre et l’heure d’été à son cadran solaire).
L’ai déjà vu, le gentil dirlo et sa non moins gentille dame. Avons bavardé de l’appui et du turbotin. Un gars efficace. J’aime les gens efficaces parce qu’ils me reposent en accomplissant à mon profit une foule de trucs que je ne ferais jamais sans eux.
— Où est le prince ? je leur m’enquiers.
— Dans ses appartements, il vient de commander un repas pour lui et son secrétaire.
— Il est indispensable que je le leur serve, dis-je, avez-vous une tenue de maître d’hôtel à me prêter ?
Les gentils dirluches se regardent sans enthousiasme, comme si je leur proposais d’organiser une partouze dans le grand salon de leur crémerie.
— Il y va de la sécurité de Charles Windsor, renchéris-je. Vous n’êtes pas sans savoir que sa vie est sérieusement menacée ?
Ce dernier argument est décisif.
Et c’est pourquoi…
Douze minutes plus tard…
Un étrange équipage s’arrête devant la double porte portant le numéro 108. Il se compose : d’un maître d’hôtel en habit, d’un garçon en veste blanche et gants blancs, poussant une table roulante aux rallonges abaissées, d’un sommelier en gilet noir. D’un jeune serveur probablement homosexuel dans le civil, coltinant un immense plateau d’argent surchargé de plats également d’argent.
LE MAÎTRE D’HÔTEL
(à ses péones) :
Parés, les mecs ?
Acquiescement général.
Le maître d’hôtel toque à la lourde.
LE SOMMELIER (bas) :
Y a une sonnette !
LE MAITRE d’HOTEL :
J’ai pas fait gaffe !
UNE VOIX : (off) Come in !
Le maître d’hôtel ouvre et pénètre dans la suite royale, transformée en suite simplement princière à cause de ce grand connard[22].
Une petite antichambre avec des gravures anciennes et anglaises à la fois. Une porte à droite donne sur la salle de bains. Un petit couloir accède à deux chambres. Face à l’entrée, une double porte donnant sur le livinge-rome (en anglais dans le tesque). On aperçoit le prince Charles dans un fauteuil, en bras de chemise car il n’est pas fier et porte une chemise ; ayant son secrétaire sur les genoux, lequel lui roule une galoche[23].
Le prince Charles a ceci de commun avec Napoléon Pommier, que tant ses aïeux tourmentèrent, c’est de fourrer sa main par l’échancrure d’un vêtement. Le Corse aux cheveux plats mettait la sienne dans son gilet, le futur monarque glisse la sienne dans le grimpant de son secrétaire.
Notre venue boustifailleuse met un terme (comme disait ma concierge) aux lutineries de ces messieurs.
Nous les servons (mes coéquipiers du moins, car bibi moi-même, fils unique et préféré de Félicie sa brave femme de mère, se met à inventorier les lieux avec célérité et discrétion bien entendu, l’un n’allant pas sans l’autre) en grandes pompes.
Ils commencent par une salade de langouste, arrosée d’un muscadet sur lie bien frappé (avant d’entrer).
Je feins de vaquer pour visiter les chambres agaçantes. Rapide inspection. Bombe ? Que non point. Ou alors subtilement dissimulée.
J’ai une méthode d’investigation très particulière. Au lieu de fouinasser en trombe, je m’assois au milieu de la pièce et j’examine tout, centimètre par centimètre ; quand une hésitation me prend, je me lève afin d’aller vérifier, puis je reviens poser mes fesses sur la chaise et je continue en pivotant.
J’achève l’inspection de la chambre number two quand mes acolytes (devins) m’hèlent sans précautions préséantes.
— Hé ! Chef ! Venez vite !
Je retourne au salon.
Là, un spectacle : ahurissant, terrifiant, inouï, incroyable, stupéfiant, épouvantable, démoniaque, dantesque, ferrugineux, électrocutant, clownesque, impressionnant, décathlonesque, prépondérant, shakespearien[24] m’attend.
Et m’attend patiemment, puisque, tu l’as déjà compris, avec ton sens charogno-divinatoire proverbial, il s’agit de macchabées.
Le prince Charles, oui, mon vieux !
Et son accessoiriste.
Pouf patapoum ! Un doublé ! L’un comme l’autre le nez dans sa langouste en salade. Il n’y a plus de numéro à l’abonné que vous avez demandé, comme disait mon cher Pierre Dac ! Pas raides, mais en train de le devenir. Charly et son manutentionné clamsés. Poison ! Que de crimes on a pu commettre en ton nom ! J’en flageole de détresse ! Moi, Santonio, le fameux, le disert, le brave, l’orgueil de la Rousse et du Larousse et des rousses (qui ne puent pas trop, car je suis allergique aux senteurs de ménagerie) et de la Croix-Rousse[25], et des rouscailleurs, et des roussins, roussettes, rousserolles (cui cui) ; moi, Sang et eau, santos du Tonio, Santonio ni trompette, moi qui ne recule que pour prendre mon élan ; moi le madré, le futé, l’inculqueur de mouches, moi qui possède un empan de 28 centimètres (Cherche empan sur le dico, mais c’est pas ce que tu espères), moi, le redresseur de Thor[26] moi, donc, j’ai de mon propre chef véhiculé la saumâtre, la nocive, l’irrémédiable potion maléfique qui vient de faire tomber de son illustre arbre généalogique l’héritier de la Couronne Britannique, la seule qui demeurât en or véritable.
22
23
24
Tu choisis l’épithète qui te convient et tu biffes les autres, mais moi, j’ai un faible pour shakespearien.