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— Très bien, je vais accepter cette proposition saugrenue. Je vais ouvrir la porte à l’un de ses bons élèves. Il va VOUS admirer dans vos œuvres, San-Antonio. Et ensuite, ce stagiaire de mes fesses s’empressera de colporter partout la fantaisie de vos méthodes. Car elles sont tout sauf orthodoxes, vos méthodes, mon Petit, et vous le savez pertinemment ! Pourquoi obtenez-vous des résultats ? Parce que vous employez les grands moyens ! Non ?

Mes étagères à mégots parvinrent à l’incandescence. Il me parut qu’elles devaient fumer comme des excréments dans l’hiver. Ne venait-il pas de crier ; « Il va VOUS admirer dans vos œuvres ! »

— Parce que, si vous souscrivez au projet, c’est à moi que vous comptez confier le scrutateur, monsieur le…

— Et à qui d’autre, sang du Diable ! Hein ?

Sang du Diable ! La rogne le faisait tomber dans le médiéval, Pépère. Il se rabattait sur le pont-levis, les échauguettes et autres mâchicoulis.

Il repartit à l’assaut :

— Le fort en thème qui va nous être dépêché viendra se faire, vous savez quoi, San-Antonio ? épater. Et qui donc, parmi mes gars, pourrait mieux l’épater que vous ? Hmmm ? Hein ? Hmmm ? Vos collègues sont des fonctionnaires courants, flasques comme de la laitue mouillée. Ils enquêtent au petit trot, comme un poney tire sa carriole : yop, yop, yop, yop ! Je vois ce stagiaire en compagnie d’un Malissoit, par exemple, qui ressemble à une engelure ; ou bien d’un Evêquemont qui doit sucer des cachous pour ne pas s’auto-incommoder tant il pue de la gueule ! Ce serait la rigolade ! Le Trou-de-balle en question se comportera comme une caméra chez Cartier, c’est-à-dire qu’il sera un espion ! Je pèse le mot et le répète : un es-pion ! Vous me recevez cinq sur cinq ? Merci ! L’enquête terminée, il rentrera dans sa pépinière de flics érudits pour se gausser. Alors, bon, très bien, soit : je vous l’attache. Mais ça donnera quoi, San-Antonio ? Hein ? Hmmm ? Hein ? Allô ! Ne coupez pas ! Ça donnera quoi ? Je vais répondre à votre question : ça donnera de la crotte, mon bon ! Que dis-je ! De la merde ! Et je pèse mes mots ! Car, de deux choses l’une : ou bien vous vous comportez nor-ma-le-ment, et alors voyez d’ici le scandale ! Gorges chaudes, crimes et chuchotements ! Ou vous faites dans le classicisme, ce qui n’est pas votre tasse de thé, et nous passerons pour des empaillés. Vous savez ce que c’est que des empaillés, San-Antonio ? Alors je ne m’étends pas davantage.

J’haussus les épaulus.

— Ma foi, soupirai-je, si vos craintes sont telles (et, in petto j’ajoutai : comme dirait Guillaume) répondez à votre ami par la négative, Patron ! Ses idées peuvent ne pas être les vôtres ! Vous avez le don du verbe et savez distribuer des ronces en faisant accroire que ce sont des roses non encore écloses !

Il joignit ses chères mains qui lui servent à penser et à se brosser les dents le matin, sans compter aussi à régler les bouts de seins de ses conquêtes.

— Répétez ! Dieu que c’est bien dit ! Je distribue des ronces en faisant croire que ce sont des roses en boutons ! Ah ! mon ami, si j’ai le don du verbe, vous possédez par contre celui du style ! Et le style, vous savez ce que c’est, hein ? Très bien, j’appelle mon aimable confrère. Non, non, ne bougez pas, je tiens à le faire devant vous. Vous allez admirer cette fin de non-recevoir. Mon côté « raccrochez, c’est une erreur ! » sans avoir l’air d'y toucher.

Il compose soi-même le numéro, avec son merveilleux index fait pour tenir des belons triple zéro, remonter des montres Piaget et tendre sa carte à un valet de chambre (avec l’étroite participation de son médius).

— Allô ! Hubert ? C’est Achille !

Et il branche l’amplificateur permettant de rendre la converse audible comme une émission de radio.

— Ah ! Je savais que tu m’appellerais sans retard. Vieux Frère, dit la voix. Toujours ouvert aux initiatives, n’est-ce pas ? Un esprit original comme toi allait sauter sur l’idée ! Lui donner, au besoin, un prolongement. Jamais je n’aurais eu l’audace de proposer cela à ton prédécesseur. Mais avec toi, c’est adopté d’avance ! Alors, quand puis-je t’envoyer le Major de la Promotion ?

— Mais je… heu… eh bien… quand tu voudras, Hubert. Quand tu voudras.

DÉCONNITRE II

Je prélasse dans le canapé de mon burlingue ultra-chic de la Détective Agency me servant de couverture. Je lis Le Monde, ce qui représente du boulot car il est épais et imprimé plus fin que les notices des médicaments. La seule chose qui lui soit imputassable, au Monde : faut être équipé d’une vue de commandant de bord pour le lire ; mais je m’ai laissé dire qu’ils allaient offrir une loupe à tout abonné, ce qui est cougrement[1] astucieux.

La pluie torrent-ciel sur les Champs-Élysées. Elle domine le brouhaha de la circulance.

La vie pourrait être mieux, mais elle pourrait également être pirissime, et alors je décide qu’on s’y sent à l’aise.

J’attends le jeune émoulu de l’École Nationale de Police. Un télégramme m’a préviendu de son arrivée.

— Le commissaire Dominique Bernier se présentera à l’adresse indiquée en fin d’après-midi.

Ce rôle à jouer ne me dit rien qui valasse. Moi, je pars du principe que notre job ne s’apprend pas comme la cuisine ou la serrurerie. Enfin, nous verrons bien. Jamais se casser le chou au prélavable, comme dit Béru. T’envisages les choses, les gens, les moments et ils ressemblent jamais à tes prévisions.

N’empêche que je ne peux m’empêcher de me demander à quoi ça ressemble, un major de l’E.N.P.[2] Je le figure pâle et coiffé plat, avec la raie basse, le regard malcommode, sûr de lui et dominateur, comme disait le Général. Attentif et hostile par vocation. Une manière d’examiner au lieu de regarder et de réfléchir à ce qu’on lui dit au lieu d’y répondre. Et puis la moue sceptique, fichée tel un mégot au coin des lèvres. Enfin, c’est un portrait particulièrement tristet qui se constitue dans mon imagination.

Désireux de chasser la discrète morosité de salon qui me point, je me consacre à ma lecture.

Je lis une longue et pertinente critique de Baroncelli à propos d’un Navet-Super-Star d’où je me suis arraché avant la fin pas plus tard qu’hier soir. Je passe à la rubrique sportive qui n’a jamais fait la « Une » de l’illustre Journal. Au Monde, on t’en dit plus long sur le vice-secrétaire d’Etat à la Main-Mise Ougandaise que sur Bernard Hinault. Borg, oui, sur une demi-colonne, à la rigoriste. Tabarly, à titre exceptionnel (non sous-titré), mais si tu veux savoir ce que prend Marins Trésor à son petit déjeuner, t’as intérêt à acheter l’Équipe.

Eh ben, mon grand, je voudrais que tu suces une chose : c’est que la Sportive du Monde me fait faire un écart en arrière comme le cheval du père à Victor Hugo lorsque ce blessé ennemi, sombre dégueulasse s’il en fut, lui défourailla contre, l’ordure !

Je lis les huit lignes d’un article consacré à l’hippisme[3].

Qu’ensuite de quoi-ce, je me précipute au bigophone. Je suis super-équipé, et il me suffit d’enfoncer une touche, une seule, pour obtenir le Vieux.

Je t’ai déjà expliqué, dans je ne sais plus lequel de mes polars à la noix, qu’un système de vidéo nous relie, lui et moi. On peut donc se parler en se regardant, ce qui ajoute au passionnant de la chose. Il existe, sur ma table d’inaction, un cadran format carte postale sur lequel s’inscrit la calvitie du dabe. Comme c’est pas en couleur, qu’il a les yeux bleus et le teint pâle, il ressemble, là-dessus, à une merde de laitier dans une cuvette de chiotte, le tout très sous-exposé.

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1

J’ai bien écrit « cougrement ». La prochaine fois que j’userai du mot, je l’écrirai « dougrement », parce que ça distrait, moi je trouve.

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2

Pardon : de l’E.N.S.P. (j’oubliais « Supérieure ».).

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3

Hip Hip Hip : Hippique !