Que nous voici dans le bois gratouillé d’écureuils. Je stoppe entre deux fûts. Ma camarade d’expédition n’a rien contre cette halte forestière, étant amie de la nature et — qui sait ? — écologiste de cul, peut-être, va-t’en savoir avec les femmes !
Moi, très in petto, mais in petto à ne presque pas m’entendre, je me dis en termes rapiécés que je fais montre d’une légèreté de barbe à papa ! Con n’en juge : chargé de veiller à la sécurité du prince Charles, je lui apporte personnellement le poison fatal. Chargé d’éduquer une jeune consœur fraîche rémoulue (comme dit Béru, qui dit aussi : « jeter son dé velu » pour « jeter son dévolu », mais ça n’a aucune importance) je la laisse kidnapper. Je laisse dynamiter l’hôtel, je constate l’assassinat de deux personnes, on m’assomme, on me prend pour : un gland, un nœud, un con, une pomme, une truffe, une patate, un guignol, une bille, un melon, une figure de fifre, et moi en père turbable, que fais-je ? Je place ma belle marchandise auprès d’une donzelle qui profite de ce que nous sommes à La Baule pour me mener en bateau ! Je la soupçonne, la lorgne, la guette. Et je n’ai d’autres pensées, au plus fort des événements, que de lui jouer l’acte II d’Adam et Eve ! Je déchois, mon gars ! Je dégénère, comme si Rodrigue, au lieu d’allonger le comte Deumot, l’avait félicité pour cette tarte dans la gueule à son daron !
Mais les sens sont ce qu’ils sont, mon érection, ce que tu sais, et la tentation de l’instant, par trop attrayante. Alors je fais taire la timide voix de ma balbutiante conscience et guide la ravissante Isa jusqu’à la hutte propice qu’un forestier bien intentionné a édifiée là. Certes, il en a cadenassé la porte, l’abruti, mais qu’est-ce qu’un misérable cadenas de quincaillerie pour un Santantonio en rut ? Hmmm ? Caisse ?
En l’occurrence, mon épaule droite est au service de mes testicules.
Alors : une, deux, et trois ! Poum ! Entrez, vous êtes chez vous. Cabane à outils, lalalahitou ! Des sacs de toile s’empilent ; je les dépile, les étale. L’amour rustique. Musique de chanvre ! Dépiautage rapide ! Faut reconnaître qu’elle « s’aide », comme disent les bonnes gens. En moins de temps qu’il n’en faut à un aiguilleur du ciel pour se mettre en grève, je la restitue à l’état qui fut le sien lors de sa naissance.
Si je suis en haute tension, elle l’est également. Ce qui suit alors est digne des grandes prouesses du signor Casanova, le polisson vénitien. Peu porté à la vantardise, je le tairai. Assez de ces décrivances complaisantes faites pour émoustiller le lecteur, humecter l’index des lectrices sans qu’elles eussent besoin d’ôter leur masque de scaphandrier, ranimer les espoirs des vieillards disjonctés, mettre à rude épreuve les fermetures Éclair des bénards et rapprocher les époux en bouderie. Oh, certes oui : assez ! Les mœurs se décomposent ! Un peu de tenue, messieurs les z’auteurs ! De retenue ! La noblesse de notre profession c’est d’écrire pour ne rien dire (achète les prix littéraires et ouvre-les à n’importe quelle page, tu t’en convaincras).
Donc, je te passe outre mes faits et méfaits d’arme. Garde un silence de mort sur la démonstration de vie ardente que j’exécute en mille temps et douze mille six cent soixante-neuf mouvements. Juste quelques annotations marginales, pour le principe et pendant que j’y pense. Elle raffole du « Bouc Commissaire », de « La Charrette du laitier », de « Madame la Comtesse monte en amazone », de « Maudire et lécher ferme », de « Les Flammes s’avancent », de « Cinzano de Bergerac », de « La Sartreuse de Charme », de « Vodka en femme », de « Madame Baud varie » et d’encore quelques bricoles de moindre importance. M’étant servi, pour l’enchanter, de ma flûte de Pan, de ma langue orientable, de ma main de velours, de mon doigt de cour et de l’habitat rural. Lui ayant consacré une demi-heure d’affilée (ou d’enfilée), le meilleur de moi-même, l’essentiel de ma science. L’ayant comblée jusqu’à ce que ses soupapes chauffent, je masse la partie de mon individu qui participe le plus vigoureusement à ce genre d’exploit, à savoir : mes genoux.
Comme partie de baise-Baule, c’est réussi.
En fait, elle ne craint pas de me l’affirmer en termes simples mais véhéments.
La reconnaissance d’une frangine est toujours bonne à enregistrer sur une cassette, le mâle réagissant à la flatterie comme le noyau d’un atome quand il subit une interaction avec un rayonnement.
Je remets l’objet de ma vanité dans ma culotte ; il y a pas tant, je disais encore « dans ma soutane », mais personne ne sait plus de quoi il retourne depuis que le clergé n’est plus cul-soutané.
Et voici que la porte s’entrouvre doucement, doucement en grinçant comme dans un film de série « C », qui est, au reste — ou Oreste comme disait Euripide —, celle à laquelle appartient ce livre.
Un gonzier pénètre, circonspecte, malgracieux sous son bada de cuir noir. Une frime figée, des yeux fixes. Moi qui connais les gangsters de haut vol (si je puis m’exprimer ainsi ; pardon : s j p m’ex a.) je peux te garantir sur facture que cet homme en est un, et même de première classe.
Il tient un pistolet gnapofuseur à canon britmitche de la main gauche.
Il finit d'entrer, comme on dit à Lyon, referme la lourde et s’y adosse.
— Hello ! C’était bon ? demande l’arrivant dans un français qui mériterait encore trois mois de cours intensifs chez Berlitz.
Je m’abstiens de lui répondre. Une sonnerie féroce retentit dans ma tête ; celle-là même qui m’avertit qu’une calamité est imminente quand il est déjà trop tard pour la conjurer.
D’instinct, je visionne ma fougueuse partenaire. Elle achevait de se réharnacher, Isa. Elle mate l’arrivant avec terreur, les vasistas écarquillés comme les portes des arènes de Madrid un dimanche de corrida.
L’homme au chapeau de cuir fouille la vague de son bénouse avec sa main libre et dit :
— Tiens ; on va jouer à quelque chose !
Il sort un dé. Un gros dé jaune à points noirs.
— Pair ou impair ? me demande-t-il.