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Et moi, comme un con, je m’entends répondre : pair.

Le besoin de frimer devant la poulette, cherche pas plus loin !

Le visiteur jette le dé, le rattrape à la volée et le remet dans sa poche sans seulement contrôler le résultat.

— Vous avez perdu ! il m’assure.

— Navré, qu’est-ce qu’on jouait ?

— La vie de la petite, répond-il.

Il braque la gosse sans se presser. Isa recule, ainsi qu’il est d’usage, en bredouillant des « non ! non » désespérés. Mais le mec défouraille posément, à trois reprises. Isa ne pipe pas et s’étale en arrière. Ses fringues blanches ne le sont plus. Tu parles d’un carnage !

Le tueur n’a pas cessé de me fixer, en tirant. Un grand professionnel. Nerfs d’acier ! Rien ne lui échappe.

Je m’attends à ce qu’il m’assaisonne à mon tour. Une inhumaine résignation m’empare. Tout mon individu est en état d’extrême abandon, car je sais qu’il m’est impossible de tenter quoi que ce soit. Je n'ai pas d’arme sur moi et, en aurais-je une qu’il ne me serait pas loisible de l’utiliser.

— A présent, vous allez m’accompagner ! déclare le tueur.

Je m’efforce au calme, mon détachement pré-mortem m’aide à le trouver. Pourquoi ne m’abat-il pas aussi ?

Parce qu’il a besoin de moi.

Pour faire quoi ?

A suivre !

Il prend de sacrés risques en m’accordant un sursis. Il a beau être pourvu d’une super-technique et faire montre d’un déterminisme imparable, il n’est jamais bon de jouer trop longtemps avec l’Antonio. Je t’annonce ça en passant, mais tu en penses ce que tu veux, hein ?

Et sais-tu la manière qu’il comporte, ce zigoto ? Il replace son décapsuleur de cervelle dans le holster arrimé sous son bras droit (il est gaucher).

— La confiance règne, hé ? lui fais-je, juste pour dire de dire, histoire de causer pour ne pas me taire.

— Vous ne pensez pas que nous allons partir en voyage l’un derrière l’autre, moi en gardant le canon de mon pistolet sur votre nuque, non ?

Il a un petit bout de rire mal engagé. Ce type, en fait, je me demande s’il lui arrive de rigoler pour de bon, et dans l’affirmative, qu’est-ce qui peut bien l’amuser ? Laurel et Hardy, tu crois ? Un discours de la reine d’Angleterre ? Le code des impôts ? La photo de Jimmy Carter ?

On retrouve le dehors humide, salin, avec un commencement de nuit étoilée.

Al Bidoni pose familièrement sa main sur mon épaule.

— Vous avez vu la manière dont j’ai liquidé cette fille, hé ?

— Travail de vrai professionnel, apprécié-je.

Il semble tout joyce de mon compliment.

— L’habitude. Dix ans de pratique, vieux, ce serait malheureux ! A Philadelphie j’ai obtenu le chargeur d’or : une seconde trente pour tirer, départ arrêté, c’est-à-dire mains plaquées aux cuisses.

— Compliment !

— Ce que je voulais vous dire, c’est que si vous ne faites pas exactement et bien sagement ce que je vais vous ordonner, deux dames cesseront de vivre.

— Quelle horreur !

— Surtout pour vous, car l’une d’elles est votre mère.

Le taquet qui me démange les phalanges manque engendrer un k.o. profond. Je le retiens in extremis grâce au peu de latin qui me subsiste.

Moi, tu me sais sur le bout du cœur, pas vrai ? Tu connais mon attachement indélébile à Félicie, et le comment il m’insupporte qu’un malfrat à gueule de raie pourrie vienne la mêler — fût-ce en converse — à ses giries.

Comment fais-je pour ne pas l’expédier au pâtre, comme dit Béru quand il veut user de l’expression ad patres pour la commodité de ses échanges humains ? Oui, comment fais-je ? Il faut croire que rôdent en nous des forces de la self control security qui nous évitent le pire lorsque le pire nous semble être la solution de facilité.

— La seconde femme, poursuit Al Bidoni, est votre jeune auxiliaire, miss Bernier. A la moindre erreur d’aiguillage, l’une et l’autre seront mises hors vie. J’appelle erreur d’aiguillage toute initiative inconsidérée de votre part.

— Où est miss Bernier ? demandé-je.

— En compagnie de votre chère mère. Elles auront tout loisir de lier connaissance. Il y a aussi ce petit garçon turbulent que vous avez recueilli par bonté d’âme.

Cette déclaration me laisse à méditer. Ainsi donc, ces ignominieux, ces infiniment bas, ont kidnappé Maman pour avoir barre sur moi !

O mon sang ! Comme tu ne fais qu’un tour ! Mais comme tu le fais bien !

Et toi, ma rage aveugle, comme tu désertes le compartiment fumeur de ma raison pour suivre ton cours du soir impétueux !

Et ce poing, qu’un obscur instinct a maîtrisé, ignore tout des contraintes de l’esprit.

Il fulgure ! Il s’en va ! Il part ! Il arrive à la pointe mentonnière de ce requin mal famé, de cet olibrius du meurtre. De ce galvaudeur d’essence humaine ! De ce crachat vivant ! De cette suprême vilenie à deux pattes !

Plaouf ! L’autre, positivement (et je pèse mes adverbes) est soulevé de terre. J'ai le temps de voir chavirer son regard de chacal sodomisé par un tisonnier porté au rouge. Il est pris au tu sais quoi ? Dépourvu !

S’abat, les bras comme un qui fait la planche dans sa piscaille, en contemplant le grand ciel du bon Dieu, si bleu, si calme.

Le voici dans l’herbe mouillée de rosée crépusculaire. Le bruit de manèges forains monte de la ville, plus un halo dans les tons orangés… Instant de quasi-félicité. Emporté par ma rancœur, moi cependant si sensible, j’aligne un coup de savate dans la gueule à ce vilain. J’entends craquer sa mâchoire pour la seconde fois. Qu’importe ! Me baisse, le fouille.

Empare ses fafs, ainsi que son pistolet crougnabouzeur à modulation lente. Ne lui laisse que son flouze afin de ne pas avoir l’air d’un voleur.

Puis rejoins ma bagnole. La sienne, la grosse américaine, est remisée à deux pas de la mienne. Je démarre à l’arraché, labourant le gazon galeux du sous-bois parasol.

— Vite, vite, il faut que je téléphone !

IDIOTITRE XIV

La sonnerie retentit, une fois, puis deux, puis trois, et mon cœur se met à faire la toupie dans ma cage à serin. Personne ! Quelle horreur ! L’angoisse me noue, me tiripille, me distord ! Je vais vomir mes viscères, mézigue, d’appréhender pareillement !

Et alors que je commençais à me liquéfier de l’intérieur, à suinter, à relâcher des orifices ; on décroche.

La voix ibérique de notre petite bonniche espagnole demande :

— Si ?

Et j’aboie, comme tu lapes la glace d’un cornet au moment où elle va dégouliner sur ses doigts :

— Rosita ? C’est Monsieur !

Monsieur ! Chaque fois je trémouille de m’octroyer un tel vocable. C’est Monsieur ! Faut pas craindre d’outrecuider ! Faut pas rechigner sur sa personne, ni non plus chier la honte ! Si je suis « Monsieur », elle, la soubrette, c’est « Mademoiselle » alors ! Note que ce sont eux, les ancillaires, qui s’accrochent le plus fortement au vocabulaire traditionnel. Ils sont conservateurs dans le plumeau.

— Ah ! Bonjuir, Messieur ! qu’elle me vaporise, la Rosita, par-dessous ses moustaches, en gratouillant de sa main libre les touffes de noir cresson qu’elle porte sous les bras.

J’entends fourbir ses ongles. Et puis son souffle sent l’ail et l’oignon frit. C’est bath, l’Espagnerie. Vivant !

Je risque d’un ton mal assuré :

— Vous pouvez me passer Madame ?

Et c’est la chute libre.

— Mais Madame, l’est partite cesté matin avec Antonio !

— Où ? hurlé-je, comme toute une horde dans la Toundra.