Son collègue Dubois objecte que, dans quelques heures, la rigidité cadavéridique cessera. Le gars admet le bien-fondé de pouvoir et renonce apostolique.
Moi, je guigne cette canne à en bicher mal au ventre. Te dire ! Je pense à ma Félicie disparue avec le petit Antoine. Et puis au prince Charles dont le décès n’a pas ému ses anges gardiens.
En bas, s’opère une sorte de remue-machin. Un pas de soudard ébranle l’escadrin. Un gardien of the peace surgit et rugit :
— Escusez si je vous demande pardon, messieurs, mais c’est rapport à un autre meurtre dont on vient de découvrir !
« Poum ! me dis-je très simplement et en aparté ; il s’agit du sieur René Creux. »
Les autorités présentes gardent tant bien que mal le contrôle de leur self.
— De qui s’agit-il ? questionne le commissaire.
— D’un type probablement américain, bien qu’il n’ait pas de papiers sur lui, mais c’est à cause de sa voiture. Il a été tué dans le petit bois de Krèv’Barbac’h », au nord-est de la ville.
Un qui manque en avaler sa glotte, ainsi que la ficelle qui la transforme en yo-yo, c’est ton bien-aimé Santantonio, mon lapin !
Putain, quelle journée !
Et attends que je te fasse rire : elle est pas finie !
MERDITRE XV
La nouvelle cause une certaine effervescence chez mes confrères. Et mézigue, mouscaillé jusqu’à la moelle, de me dire « mais comment ai-je pu buter ce type d’un crochet aux mandibules ? » Je sais que nombre de boxeurs sont décédés d’un k.o. trop violent, pourtant je n’ai pour ma part jamais eu à déplorer ce genre de désagrément. Il est vrai que, dans ma rage rogneuse, j’ai balancé toute la sauce, et même un peu plus !
Le magistrat instructeur, comme on écrit dans les baveux, demande justement au messager de mauvais augure de quoi est mort « son » Américain (il a dit « votre » Américain, pour bien marquer combien cette nouvelle l’emmerde, au point qu’il fait cadeau moralement de ce cadavre à celui qui le porte à sa connaissance). Et c’est là que ma surprise se mue en stupeur. Tu sais ce que lui répond l’archer ?
— Il a été étranglé !
R nie être anglais, que disait mon vieux Léon, du temps qu’on déconnait sans vergogne, par plaisir de déraper. Époque heureuse où on faisait des glissades sur le langage comme les gosses sur les plaques de verglas. Étranglé, Al Bidoni ! Je n’aurai qu’un mot : merde ! Cette fois, tout bascule ! Ne ferais-je pas une espèce de cauchemar éveillé ? Un petit dégourdoche n’aurait-il pas filé une rasade de L.S.D. dans mon café au lait, d’hasard ?
Mes confrères dévalent en se jetant mutuellement des ordres. C’est beau la hiérarchie, parce que tu trouves toujours un gars qui obéit à un autre qui lui-même obéit à quelqu’un qui reçoit des ordres d’un quidam nanti d’instructions.
Enfin seul !
Je me précipite sur la canne et dévisse la poignée. Cachette classique, une canne ! Vieille comme tes fesses ! Éculée de partout. T’as pas un polar sur dix sans canne dont on déboulonne le pommeau pour emparer un document ultra-secret. Je vois, moi, déjà, le nombre de fois que je lui ai fait appel à la canne fourrée ! T’as des recettes inamovibles, inépuisables. La canne creuse, c’est la corne d’abondance des z’auteurs de romans policiers. Et tu crois bêtement, cher Bazu, que je vais faire la fine bouche ? Dédaigner le truc ? Tiens, fume ! Toujours est-elle que je fais bien de ne pas lui passer outre à ce gadget réchauffé, car il y a bel et bien quelque chose dans la canne. Un mince étui de cuir souple long de cinquante centimètres, presque de cinq cents millimètres.
Je le fourre rapidos dans mon bénouze, le long de ma jambe, qu’il se réchauffe.
Et puis je me trisse. Direction : le boqueteau de mes exploits. Pour ça, je file le train à la caravane de flics et de magistrats qui déjà s’élance (d’arrosage).
On l’a étranglé à l’aide d’un lien de chanvre très grossier, très rural, le sieur Al Bidoni. Proprement, pendant son k.o. Un beurre ! Il était inanimé, inconscient. Ce fut un jeu d’enfant. Et à présent, le voici tout grisâtre, presque bleu, avec la bouche entrouverte et les lotos en boutons de bottines.
Ma discrétion confine à l’effacement. J’observe tout à distance, sans parler, sans m’imposer le moindre.
Un collègue sort de la cabane où j’eus le privilège de calcer la malheureuse Isa.
— Monsieur le commissaire ! hèle-mon-collègue-t-il ; vous pouvez viendre un instant ?
Et le commissaire № 2 va.
Je sais ce dont il va découvre.
Ne reste pas longtemps.
Ressort et nous dire :
— C’est curieux, étrange et surprenant, mais ça sent la poudre dans cette cahute.
C’est tout !
Pour lors, abandonnant mon humilité, je me précipite.
Nothing ! Nobody ! Rien ! Personne ! Le cadavre de ma ravissante partenaire a disparu.
Mais, effectivement, cela sent la poudre.
Preuve que si c’est un cauchemar que je fais, il est en odeurs !
Je dis au-revoir-bonne-chance à mes frères confrères cons et me taille ailleurs comme un Sénégalais[33].
L’hôtel des Mouettes et de la Bretagne réunies est un établissement propret et modeste qui fleure la crêpe, la moule (marinière) et le cidre, senteurs éminemment bretonnantes, tu en conviendras ou tu iras te faire sodomiser rue Saint-Ane.
La première personne que j’avise, dans la salle de café-restaurant, c’est Berthe Bérurier, attablée devant un pot de rillettes. Et la seconde n’est autre que son époux, l’ineffable Alexandre-Benoît. A leur table figurent également l’oncle Lemmuré, propriétaire des lieux, et sa bigote fille qui ressemble à de la morue séchée (et indessalable).
Je me sens comme un type qui se serait fait faire douze pipes consécutives, puis qui aurait gravi le Galibier à vélo avant de grimper au dernier étage de la Tour Eiffel en panne d’ascenseur.
Je salue d’un hochement de tête en arc de cercle et me laisse choir sur une chaise.
Bérurier me fait fête. Il égosille mon blaze, mes titres et mes mérites (qui sont grands et infinis), tout en conservant à droite de sa grande gueule graisseuse trois cent cinquante grammes de rillettes et une livre de pain breton.
— Tu tombes à pic, se réjouit le Gros, on va procréer à un’ dégustation de sardines, à mon investigation personnelle. J’trouve qu’ la sardine est en voie d’négligence, d’nos jours. Même dans les pique-niques on n’ l’emmène plus. Et c’est dommage, vu qu’à part excepté le fait qu’ tu la rotes, c’est un entremets électable. Mais j’attire ton intention su’ la nuance suivante : y a sardines et sardines…
Il commente tandis que sa baleine continue de planturer de la rillette en omettant de torchonner ses lèvres plus graisseuses qu’une machine-outil.
Le malingre tonton fait la gueule de mon arrivée.
Son asperge bénite me coule des regards furtifs, par-dessous sa pudeur hypocrite, et p’t’être qu’elle imagine ma bite, après tout, cette pauvrette en racornance faite initialement pour s’envoyer en l’air comme tout une chacune, mais que d’obscures contraintes morales maintiendront toujours en chasteté. Et pourquoi, s’il te plaît, des êtres se trouvent-ils en état d’effroi charnel ? Pourquoi sont-ils épouvantés par leur sexe et par celui des autres ? Quel bricolage de l’esprit les tient en semi-esclavage ? Quand j’en vois, je les contemple pour tenter de piger. M’est avis qu’il faut les aider, aller à eux, les apprivoiser, puis s’efforcer de les intégrer dans la ronde du cul, les convertir…
33