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— C' qu’il a, mon homme, c’est qu’il a pas peur des mouches. C’est un garçon délicat qui rebuffera jamais une personne âgée en manque de tendresse. Si j’ vous dirais, commissaire, ce à quoi il est capable, ce serait rien de le dire.

Fière de son compagnon, elle se remet les pendards en position de pare-chocs dans leur monte-charge respectif.

* * *

Il est installé auprès de moi dans ma chignole, le Gros. Pomponné à la diable. Heureux de lui et de vivre si justement l’existence qui lui fut impartie. Il est presque beau. Beau comme un homme aimé.

Il me guigne du coin de l’œil, un sourire béat aux lèvres. Parfois, il exhale un renvoi riche en remugle de sardines à l’huile d’olive vierge, et de chatte pas vierge au déodorant corporel Good Frifri spray suractivé. Mission remplie ! Dame également. Une femme de notaire, veuve depuis des années. Des rhumatismes articulaires la privent de ses pratiques solitaires compensatoires. La vie est dure pour le troisième âge !

Il l’a fait reluire somptueusement, cette chère douairière (de douairière les fagots). Il raconte pour mieux se repaître de sa charité. Juste un petit brouti-broutage liminaire, et puis hop ! L’enfilage classique. La sobre tringlée, manière de lui arpenter le parvis, bien qu’elle démène du prose, Mémère. Le calçage rapide : tout vêtu, façon cosaque s’embourbant une paysanne dans les steppes de l’Asie Centrale chères au camarade Borodine (je l’appelle camarade, mais il était fils naturel de prince). Elle est allée au superfade rapidos, en dame trop sevrée qu’un greffier frôleur de jupes déclenche, la pauvrette ! Travail rapide, certes, mais efficace. Sa seule cliente pour ce soir. Elle était déjà ici l’an dernier. Demain, la chose se propagera et il aura plus à faire, l’ignominieux. Les gonzesses en rut, c’est comme les pauvres : quand t’en brosses une, faut te payer les autres idem !

Et bon, il est prêt, le César du troulala. Paré, ne manque pas un bouton de guêtre à sa braguette, comme disait Bazaine qui disait n’importe quoi.

Il change de converse.

— Pourquoi que tu m’as attendu, l’Artiss ? T’eusses aussi bien pu aller r’lever le compteur tout seul.

Le gros coquin ! Il veut me l’entendre avouer que j’ai besoin de sa pomme, ce soir. Que j’ai le cœur en berne de Félicie et de tout le reste et qu’il me faut un peu de chaleur, un peu de tendresse. C’est mon gros toutou fidèle, Alexandre-Benoît. Ma bouillotte d’âme.

— Justement, j’ignore où tu l’as fourré, ton compteur.

— Tu m’y aurais d’mandé, j’ t’y eusse dit.

Il a besoin que je m’affole, quoi, le gueux.

S’il y tient, après tout.

— Peut-être que j’ai besoin d’une couverture chauffante pour m’emmitoufler le moral, Gros.

Alors sa rude main gauche, gauche mais forte, et tout autant meurtrie que l’autre, se pose sur mon épaule.

— Tu la reverras, ta mère ! promet-il.

Mon pare-brise s’opacifie à cause de deux sortes d’espèces de larmes qui ne se décident pas à larguer mes cils inférieurs. Y a des fois, t’es en état de pleurance, mais tes lacrymales ont la prostate. T’as beau essayer de t’égoutter la tronche…

Je tente de siffloter. Inutile, j’ai comme du citron aux lèvres.

— Tu sais qu’y faut qu’on va dépatouiller tout ce bigntz c’te nuit ? déclare brusquement l’Effervescent. J’y sens. J’ sus dans une forme carabinée. J’ renverserais des montagnes. Ça m’vient du coup tiré av’c la vieille. On dix rats ce con vœu, mais quand tu fais l' bien, y t’en reste qué’qu’ chose, Mec. Quelle heure est-elle ?

Je lui désigne le cadran de ma tire.

— Onze plombes moins vingt, c’est la belle heure pour attaquer une nuit blanche, affirme le Sentencieux.

* * *

Tout est éteint dans la villa « Les Colombes », Impasse de la Médisance.

Le silence règne presque, à peine troublé par un téléspectralecon qui mate un vouestem tout en détonations. Que juste les tagonistes ont le temps de placer un hurlement entre deux slaves.

Comme s’il était en manque de vacarme, le télespècedesalcon monte le son. Cette fois, c’est Hiroshima notre amour ! Tudieu, cette partie de casse-tympans !

Bérurier contourne un petit garage jouxtant la villa, dont les portes sont ouvertes. Il se juche sur une sorte de borne propice pour atteindre le toit plat de la construction annexe et se saisit d’une petite boîte métallique qui s’y trouvait.

Il s’agit d’un enregistreur à ondes plâtreuses dont l’antenne mesure à peine vingt-cinq centimètres, ce qui est la longueur moyenne d’un sexe masculin en tenue de parade.

Je goupille le nerveur de foumingite, rembobine le ruban et branche l’appareil. Pendant une chiée longueur de bande c’est le silence. Un silence crapoteux, coupé un peu, de-çà et ci et là et merde d’un bruit mal défini : pas, ronflement de voiture, geignement de gonds.

J’active la bobine, peu soucieux de me farcir ce concert pour sourdingue intégral pendant des heures. Je stoppe l’accélération par sauts de puce, vérifie que rien de valable ne s’est enregistré. Un marqueur de temps à consternance frappée m’indique que pendant cinquante minutes il ne s’est pas produit d’interventions sonores aux « Colombes » ; et voilà qu’en enclenchant l’émetteur, une fois de plus, j’entends une voix de femme. Pour lors, je retourne un tantinet soit peu en arrière, à minuscules giclées rétrogradantes. Et bon, je commence par le commencement, c’est-à-dire par une sonnerie bigophonique.

Celle-ci retentit deux fois et on l’interrompt alors qu’elle amorce sa troisième stridence.

La voix est assez feutrée, car la prise de son s’est effectuée à bonne distance de l’appareil. Je pousse l’ampli au maxi. Ça devient parfaitement audible, d’autant que j’y colle ma bafle pour me déchier les tympans du vouestern scabreux et pétaradeur.

Je reconnais la voix de Dorothée, la vilaine potesse de la pauvre malheureuse Isa, défuntée à la fleur de nave. Son accent et son espèce de projet de zozotement personnalisent son débit (de poisson).

Elle reconnaît d’emblée la voix de son interlopoildecuteur car elle fait simplement : « Alors ? » Et puis elle écoute. Et ça en cause longuet tant que je finis par me demander si l’appareil ne roule pas sur la jante. Mais non, l’organe de la Britannoche retentit : « Je pense que c’était préférable. J’arrive tout de suite. J’aimerais savoir l’endroit précis… »

On doit lui donner des indications car elle ponctue des « Yes… oui… good… bon… C’est cela… O.K. ». Tu vois ?

Ensuite d’alors elle raccroche sec.

Bruits de pas précipités. Des portes qui claquent. Assourdi, le ronron d’une chignolette de petite cylindrée (sans doute une 3cv : celle de la nonne qui se rendit chez feu Creux).

Le silence reprend, plus uni, plus constant. Et je sens de source sûre que rien désormais ne le troublera.

T’es d’accord ?

Un contrôle parce que je suis probe jusqu’aux doigts de pied.

Effectivement, il n’y a plus rien sur la bande qu’un joli silence d’ambiance, semblable à ceux qu’enregistrent les ingénieurs du son pour mettre dans les films où il en faut. Que tu verrais tout le monde, pendant que ça tourne, fermant sa gueule en se retenant de pouffer, comme des écoliers devant le monument aux morts, les onze novembre, lors de la minute de silence ; tout ça… Des choses, j’en parle que c’est à se demander pourquoi, ce besoin de dire, et de dire encore, comme si cela avait une quelconque importance, alors que c’est archirien de rien…

Et que moi, je tends l’appareil au Gros. Et il le rebranche, le rejuche qu’on ne sait jamais. Comme quoi je fais bien d’être toujours outillé et de traîner des flopées de gadgets dans ma chignole, façon James Bond, en petit certes, en français. On fait ce qu’on peut, nous autres, sans idées, sans pétrole, avec seulement un certain sens de la démerde.