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— Vous allez foncer à la table du prince. Vous vous pencherez sur le type qui l’accompagne et direz tout bas à ce gentleman que le major Dan Hinos a besoin de lui parler d’extrême urgence, et qu’il l’attend sur le parking.

Le gentil barman opine.

En ce dont il me concerne, je vide les lieux.

La suite sera ce qu’elle sera.

L’essentiel est qu’elle soit.

HÉBÉTITRE XVII

Les Rosbifs, ce qu’ils ont d’inimitable (de la loi) en plus de leurs gueules, c’est leur démarche. Quand tu les vois déambuler, tu les prends tous pour des gardes de la Queen en civil. La manière un peu glissante qu’ils avancent un panard devant l’autre, en gardant le buste raide, comme si un système compensatoire le conservait imperturbablement à la verticale absolue.

Le compagnon du prince s’annonce sur le perron. Il regarde de droite et de gauche, cherchant le major des yeux.

Je viens d’allumer un Davidoff number ouane, manière de me donner une contenance aisée.

Adossé à un pilier du péristyle, je contemple le survenant d’un air presque indifférent. Quand son regard fureteur croise le mien, j’ôte mon barreau de chaise de ma bouche et je dis, en anglais dans le texte, tout en désignant ma bagnole dont les feux arrière rougeoient dans l’ombre qui noiroit :

— Par ici !

L’autre, sans se casser le tronc, se dirige vers la guinde. Pas l’ombre d’une hésitation, le frère. Je lui emboîte l’escarpin.

Il se pointe au niveau de l’auto. Bérurier, sans quitter le volant, délourde la portière arrière en passant son bras musculeux par-dessus le dossier de son siège.

L’ouverture de la lourde déclenche la loupiote du plafonnier. L’Anglais marque un temps. Que je profite pour le rejoindre et lui poser le canon du revolver al bidonien sur la nuque.

— Go in ! j’y intime.

En ponctuant d’un solide coup de genou dans les fesses.

L’artiste ne perd pas le contrôle de son self pour autant et monte sans barguigner. C’est bien de sa part, car s’il avait barguigné, je lui aurais fait pousser un œuf d’autruche à la base du crâne, remonté comme je suis. Je déteste qu’on barguigne dans les périodes suraiguës.

Je le rejoins, sans lâcher mon feu, ni mon Davidoff.

— Chauffeur, au bois, et lentement ! sollicité-je de la haute bienveillance du Gravos.

Il démarre aussi sec.

— Slave dit, où qu’on va ? s’inquiète le bon Chéri.

Une idée me prend :

— La plage de La Baule est la plus belle d’Europe, rétorqué-je.

— Ça, c’est bien sûr, dit Prosper.

Il contourne l’hôtel, prend la direction de l’Esturgeon, puis emprunte une ruelle confortable et silencieuse conduisant à la plage. Que parvenu sur le front de mer, comme on dit puis, mon Patapouf bien-aimé cherche une rampe d’accès à la plage même, la trouve, la prend et s’engage en direction des flots. Il fait marée haute. La lune est allée à la pêche aux moules. Seules, les lumières de la ville, entre z’autres celles — bien somptueuses — du Prieuré Palace se réfléchissent dans l’eau.

Ici, le sable n’est pas fluide comme sur certaines plages, mais compact. A preuve, tu peux y faire du bourrin, je crois te l’avoir dit. Et même de l’automobile, de bonne heure, ou bien tard le soir, quand les estivants ont planqué leurs couennes.

Le bord de mer, ici, est comme les habitants : stable.

Béru roule en direction du Pouliguen. La plage décrit un arc de cercle et devient sombre à cause des petits rochaillons qui se dressent à cet endroit !

— Je crois qu’on sera bien ici pour causer, dis-je à mon dévoué compagnon de risques.

Il stoppe ; et l’on n’entend plus que le murmure puissant de l’océan qui saque et ressaque interminablement, ce con. Je baisse ma vitre afin de mieux respirer l’air du large. Malgré la nuit, des trouées claires percent le ciel bas et on voit scintiller le flot à l’infini, comme des voies triomphales dans les pénombres houleuses.

— Tant de beauté, murmuré-je, tant de splendeur naturelle, et nous autres, minus, à baver, gigoter, mettre tout à mal au lieu d’admirer, vous ne trouvez pas cela navrant, mylord ?

L’Anglais ne répond pas.

Bérurier s’agenouille sur son siège, dos au volant, s’accoude sur le dossier d’icelle et demande :

— Tu causes français, Rosbif ?

— Oui, dit l’homme.

— Ben alors réponds, mon pote ! Môssieur, ici présent, t’ d’mande si tu trouves pas glandu qu’ les mecs s’ tirassent la bourre d’vant un si chouette océan en ord’ de marche, av’c vagues su’ l’évier, lueurs à grand spectac’ et toutim ?

Décontenancé, malgré son phlegmon britannique, l’ami du prince hoche la tête sans répondre.

Le Gros lui allonge une torgnole intrésèche comme à un punching-ball.

— Et la politesse, p’tit crevard, ça t’étoufferait-il ? C’est pas parce que t’es pote av’c un prince qu’y faut nous zober, non mais…

— Béru, coupé-je, tu veux bien aller regarder dans le coffre de ma guinde, je crois qu’il y a une pelle dedans.

Il descend et va.

Revient en brandissant une pelle de campeur à manche court dont je me sers, l’hiver, dans les neiges alpestres.

— Parfait, tu creuses un trou dans le sable, gars. Très profondément je te prie.

— Grand, le trou ?

Je désigne mon compagnon et soupire :

— Juge toi-même.

Le Gros inspecte mon voisin de banquette, opine et s’en va pelleter dans le sable compact.

— C’est un assassinat ? demande l’Anglais, sans tellement claquer des chailles.

— Ça peut en devenir un, en effet, admets-je.

— Pour quelle raison ?

— Pour raison de manque d’informations, my dear. J’ai un besoin urgent de savoir des choses. Si vous êtes en mesure et consentez à me les dire, il n’y aura pas d’assassinat. Si vous n’êtes pas en mesure ou si l’étant, vous refusez de me les dire, il y aura assassinat.

Il acquiesce et lisse du bout des doigts sa mèche anglaise sur la droite de son front britannique.

— En admettant que je sois en mesure de vous les dire et que je vous les dise, qu’est-ce qui me prouve qu’il n’y aurait pas assassinat ensuite ?

— Le fait que vous deviendriez mon complice. Pourquoi assassiner un complice qui joue le jeu ?

— Mais…

Je le coupe ;

— Non, mon ami, il n’y a plus de place pour le moindre « mais » dans cette histoire. Votre unique chance de voir se lever le soleil sur ce paysage merveilleux c’est de parler, de parler beaucoup, mais à bon escient.

Devant le capot, Béru fouit le sol malléable avec une ardeur qui dénote son hérédité terrienne. Race de laboureur et de fossoyeur rural, le Gros. La terre glaise, connaît bien : toutes les formes de sol ! Dans la vie il y a ceux qui savent se baisser et les autres. Lui, il est des bipèdes capables de s’activer à l’équerre.

— On commence ? fais-je au jeune homme blême.

— J’ignore ce que…

— Vous allez le savoir. Débutons par des questions simples : qui êtes-vous ?

— Arthur Brandton.

— Vos fonctions ?

— Je fais partie de la maison du prince Charles.

— En qualité de ?

— Garde du corps.

— Qu’est devenu le secrétaire en compagnie duquel il est descendu au Prieuré Palace ?

— Il est rentré à Londres, étant souffrant.

J’exhale un nuage de Davidoff qui emplit tout l’habitacle soudain.

— Connaissez-vous certains habitants de La Baule ?

— Non, personne.