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Il respire à pleins poumons l’air de son burlingue alourdi d’effluves.

— Il nous faut dresser un plan de bataille. Et vite !

— Dois-je venir vous voir, monsieur le directeur ?

— Attendez ! Je compulse mon agenda…

Il feuillette et se met à lire entre ses fausses dents :

— Seize heures trente, le chef de cabinet de… Dix-huit heures, Lolotte… Et je ne peux pas remettre le chef de cabinet, cet ahuri s’éternisant malgré que je me fasse appeler de tous les côtés pour tenter de le faire déguerpir… Lolotte… Il faut compter deux heures… A moins qu’elle n’utilise en préalable son vibro-masseur…

Aimable, ce soliloque du riche[7].

On suit bien son programme à travers ses marmonnements. Le chef de cabinet chiatique, et la môme Lolotte qui doit lui traiter la verdeur en grande technicienne, ce vieux caramboleur !

— Ecoutez, dînons ensemble, puisque je suis libre. Neuf heures à la Barrière Poquelin, ça vous dit ?

Ça me dit, dimanche, lundi.

— Mardi, Patron, réponds-je en prenant l’intonation convenable pour qu’il comprenne samedi ; car dans la vie, tout est question d’intonation. Les hommes ne correspondent plus avec des mots, mais avec des intonations. Le mot est désormais un luxe, une aristocratie de la communication.

On se sépare provisoirement, mais c’est pour mieux se retrouver, mon enfant !

Je me sens indécis (et même un décilitre de bile dans le foie, consécutif à la scène de naguère). Cette môme commissaire, pimbêche, vanneuse ! Merde. Elle s’offusque qu’on la désire et le lui dise et elle veut affronter les malfrats, les rixes de bars louches, les loubards en délire !

C’est un monde, non ?

Ils vont encore dire que je suis anti-machin, comment déjà ? M.L.F. ; mais bon Jésus, y a de quoi ! Elles auront beau dire, beau-frère, elles pisseront jamais sur l’évier, ne soulèveront jamais des haltères de deux cents kilos et le reste, tout l’immense reste. Que je les comprends pas, ces connasses rebiffeuses, de vouloir se faire les égales de l’homme, alors qu’elles lui sont tellement supérieures ! C’est de la modestie, dans le fond. Comme moi, quand j’écris, temps à autre, un texte bien léché, peaufiné, archi académique, que l’André Gide s’en retourne dans la tombe. De la modestie, parole ! Je m’aligne, quoi ! Car enfin, la grande fondamentale différence, c’est que moi je peux écrire comme eux, tout en répondant au téléphone et en trempant mon croissant dans mon café-crème, alors qu’eux, les tout sérieux, les blêmes, les grisâtres solennels, ne seraient pas fichus d’écrire comme moi. Voilà, tu vois ? Ça, oui, c’est de l’orgueil. Mais bien placé. Moi, les honneurs, aux chiottes ! Seulement, parfois, je me paie le luxe d’avouer ma supériorité. Un jet de vapeur. Ça tes amuse. Ils pensent que je leur sors une calembredaine de plus. Mais y en a qui savent que j’ai raison de fond en comble. Ecrire comme eux ! Merde, je m’en voudrais. Je ne saurais plus où me cacher ! Préférerais me mettre à rémouler, vidanger, carder, fumasser. Cette méchante gêne qui m’empare lorsque je « donne une préface », car je donne des préfaces, c’est le mot, comme d’autres donnent des récitals, leur sang ou l’absolution. De belles préfaces dans lesquelles je fais plein de compliments à l’auteur dont je n’ai pas lu le livre, mais c’est un copain. Si t’as besoin d’une préface, hésite pas à me faire appel : je t’enverrai te formulaire. Pour écrire une préface sans avoir lu le livre préfacé, je vais te donner une recette. Tu commences à faire l’apologie d’un bouquin célèbre, que t’aimes bien ; ensuite tu dis que le livre préfacé t’y fait terriblement penser, que t’y as retrouvé ce climat à combustion lente, ce style délicat dont naninana, ce sens du lalilalère, tout bien. Et tu termines en affirmant que l’auteur sur lequel t’étends ton aile tutélaire et imperméabilisée n’a pas fini de nous étonner. Retiens bien la formule : elle n’est pas de moi, elle est de plus personne depuis le temps qu’on l’emploie. « N’a pas fini de nous étonner ». Tu signes, tu sers sur du beau papier à ton en-tête. Ton protégé mouille en lisant, murmure des « c’est bien, ça ! Comme c’est bien, ça ! Comme c’est vrai ! Comme je suis admirablement cela ! » et après il perd toute considération pour toi parce qu’en écrivant ces conneries, tu l’as rendu à ses yeux ton égal et que donc, il peut, moralement, te pisser contre. Si bien que t’en voilà débarrassé pour toujours, ce qui est inappréciable. Ce que j’ai déjà pu faire le ménage à coups de préfaces, moi, c’est rien de le dire. Je te causais donc de cette méchante gêne qui m’empare lorsque je donne une préface ! Cette honte d’écrire à l’équerre, avec un niveau de styliste, un pied à coulisse d’académique, et un rouleau de pompier hygiénique pour envelopper les phrases ! Comme c’est plat, la Beauce littéraire ! Plat et pelé pour moi, l’alpiniste farfadet du langage choucrouté.

Pour surmonter ma mélanco, je décide d’aller au cinoche. Calme plat, rien à branler, en dehors de Claudette qui d’ailleurs n’aime pas ça. Si je ne devais dîner avec le Vénérable, je rentrerais at home pour pantoufler en examinant le cahier de ce petit veau d’Antoine qui a commencé l’école et qui marche sur les traces d’Einstein (lequel, je te le rappelle, ne foutait rien en classe). Selon leurs nouvelles méthodes, ils t’apprennent à compter avec des réglettes et à lire avec des couleurs, si bien que l’instruction nouvelle est interdite aux daltoniens, et tant pis pour leurs pieds.

Mais je n’ai pas le temps d’opérer un aller-retour à Saint-Cloud. Qu’est-ce qu’on donne sur les « Champzés » ?

J’arrive des States et n’ai pas pris garde aux frontons des kinos. D’ailleurs le film m’importe peu. De toute façon, c’est naveton et consort. Ce qui m’intéresse, c’est de mijoter dans le schwartz une paire d’heures.

Bonnard, le cinoche, pour se refaire une nervouze. Tu allonges tes cannes, tu croises tes paluches sur ton burlingue, tu te mets à suivre le film distraitement, en pensant à autre chose. S’il est bon, tu cesses de penser à autre chose. S’il est comme les autres films, tu passes une revue complète de tes problèmes et tu les contrôles.

Je dis à Claudette bonsoir-à-demain.

Elle lisait, dans « F Magazine », un article comme quoi le mâle devra être exterminé dans les temps à venir, juste qu’on parquera quelques inséminateurs dans des réserves pour perpétuer jusqu’à tant qu’on trouve le moyen de s’en tout à fait passer. Claudette me grogne « Monsoir », ou plus exactement « m’soir », ce dont je me contente, car il faut toujours, disait ma grand-mère, faire avec ce qu’on a.

Et voici les Champs, sous leurs trombes d’eau printanières. Pas joyeux. Que t’as envie de te flinguer toute affaire cessante, tellement qu’ils sont encore plus moches et haïssables, tous, sous leurs pébroques et leurs impers. Mais qu’est-ce que t’attends, Seigneur, nom de Dieu, pour intervenir un bon coup, merde !

Je fais comme ces vilains : à savoir que je rase les façades, le dos rond, les tifs déjà ruisselants, le nez comme une gouttière engorgée. Moi qui me trimbale déjà un mal de gorge sournois, sujet aux angines comme pas trois. Au point que je les commande par paquets de douze chez un glossiste (tu regarderas le dico : glossiste). Et le besoin d’un grog brûlant se me fait sentir. Le grog, remède de jadis, cher à mon papa. Il prenait prétexte de tout pour en écluser : fifty-fifty flotte et Negrita, le chéri. Et du sucre de canne, il exigeait. Brun dans brun, il raffolait des camaïeux.

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7

Il aime le confort, le Dabe : ne lit que Porto-Riche et Jean Riche-Pain, admire Riche-Lieu, boit surtout du Riche-Bourg.