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Elle feuillette rapidement le reste du bouquin. Double pénétration sur une table de billard. La fille porte des talons à aiguille noirs très hauts, une chaînette à la cheville. Le sexe entièrement épilé, le clit percé. Elle a vraiment beaucoup d'allure. En tout cas, elle impressionne considérablement Nadine.

Manu s'occupe de faire le plein, s'installe dans la voiture:

– Il est bien alors?

– La fille est cool, elle réinvente la pipe, carrément.

– OK. Tu verras ça plus tard, on dort pas ici.

Elles sortent du parking, Manu se retourne régulièrement pour attraper quelque chose à manger derrière. Elle parle le plus souvent possible la bouche pleine:

– Putain, c'est chouette de pas avoir à compter ta thune, y a pas, on rigole tout de suite plus.

Elle ouvre tous les paquets, en fout partout dans la voiture, plein dans sa bouche aussi, salé sucré confondus. Une certaine constance dans le n'importe quoi. Elle en fait trop systématiquement: trop de bruit, trop d'excitation, trop de vulgarité. Elle semble entraînée et capable de tenir ce rythme un moment.

Elle partage les Dynintels. À partir du moment où ils font de l'effet, elle n'arrête plus de parler.

Nadine sourit en l'écoutant, la trouve globalement très sensée.

Elles roulent en direction de Brest. Manu a décidé que c'était la bonne destination. Elle a demandé: «Ça va pour toi, grosse?» et Nadine a acquiescé avec enthousiasme.

Elles arrivent à la ville avant que les bars ne soient ouverts. Cherchent la plage, se perdent et la trouvent par hasard.

Manu hurle à pleins poumons:

– Putain, c'que c'est chouette!

Elle entreprend une drôle de danse, qui tient du pogo et du swing en braillant à tue-tête: «L'air iodé, voilà ce qu'il me fallait.» Moulinets avec les bras, secouement de tête. Démonstration de joie.

Assise un peu plus loin, Nadine la regarde faire.

Manu vient s'asseoir à côté d'elle:

– Moi, maintenant, je propose qu'on déjeune copieusement dès que les connards ouvrent leurs bars. Après, faut que je dorme, je vais prendre une chambre d'hôtel. Qu'est-ce que tu fais, toi?

Nadine hausse les épaules, regarde la mer en cherchant quoi répondre. C'est le premier moment gênant depuis plusieurs heures.

– Je sais pas. Je déjeune avec toi.

Ça lui rappelle les fins de soirée où elle a envie de rentrer avec un garçon mais qu'elle n'ose pas le dire franchement.

Elle se sent bien avec la petite, elle n'est pas forcée de faire attention. Mais elle a honte de dire franchement qu'elle voudrait rester avec elle. Parce que la petite a l'air de savoir où elle va et de n'avoir besoin de personne pour bien rigoler.

Manu crache de côté:

– Ben, viens à l'hôtel avec moi. Je sais pas ce que t'en penses, mais moi je trouve que ça serait dommage qu'on s'arrête en si bon chemin.

Cette fois, tout se passerait comme Nadine en a envie. Elle n'aurait pas à se contenter de ce qui se passe en évitant de se plaindre.

Pour cette fois, tout se passerait très simplement: pas de raison qu'elles s'arrêtent en si bon chemin.

3

Elles tournent dans la ville jusqu'à ce que Manu voie un hôtel qui lui plaise.

– On a les moyens de dormir là où c'est classe, ça serait dommage de pas en profiter.

Finalement, elle se fait remarquer à la réception d'un établissement trois étoiles, explique qu'elle veut «des piaules qui s'touchent, avec des mortelles douches et la télé» en se grattant le ventre à travers son tee-shirt. Nadine se tient derrière, gênée et amusée. Elles prennent une chambre avec deux lits parce que c'est tout ce qui reste. Ça arrange Nadine qui n'avait pas envie de se retrouver seule.

Elle s'allonge pendant que Manu inspecte toute la chambre. Met son walkman et s'endort presque aussitôt.

The words don't fit, I feel like I can't speak, things are looking bleak, please go easy on me, I don't know what's wrong with me, please be gentle with me, take it easy, take it easy.

Elles dorment jusqu'au soir. Sommeil profond d'après speed. Manu réveille l'autre en hurlant de la baignoire:

– Putain, c'qu'il est chouette cet endroit, j'y crois pas une seconde, la baignoire c'est mieux qu'une piscine et le bain moussant mousse à fond. Ça pue un peu quoi. Tu vas pas dormir jusque demain quand même?

Il faut quelques secondes à Nadine pour émerger et se souvenir de tout.

La petite descend chercher à boire, revient avec deux bouteilles de Jack dans des boîtes noires. Elle remplit le verre à dentifrice, le pose en équilibre sur le radiateur pour ouvrir la porte-fenêtre.

Nadine sort de sa douche au moment où le verre se renverse. Elle hausse les épaules et déclare doctement:

– Faut pas déconner avec le Jack, Manu, faut pas.

Elle s'allonge sur le ventre pendant que la petite éponge avec son tee-shirt. Puis elle grommelle:

– J'suis pas femme de ménage ici.

Elle abandonne la tache, se tourne vers Nadine et reste bouche bée un instant. Déclare:

– Tu sais, Nadine, on voit bien ton dos d'ici.

Nadine se retourne, tire ses cheveux en arrière, sourit avec niaiserie et se tire sur la terrasse.

L'autre la suit, la bouteille serrée contre sa petite poitrine. Elle porte un soutien-gorge à balconnets vert bouteille, quelque chose d'assez surprenant, avec des coutures dorées par endroits.

Elle braille:

– Je veux pas faire dans le harcèlement, niais je trouve que t'esquives bien vertement. Qu'est-ce que t'as fait à ton dos, grosse, t'avais pas été sage?

Nadine passe sa main dans son dos sans répondre. Au toucher, les boursouflures sont énormes, reliefs sinueux et durs. Manu s'approche et demande si elle peut y regarder de plus près.

Elle tient le tee-shirt soulevé jusqu'aux épaules, considère la chose un moment. Nadine se laisse voir en silence.

Des traînées sombres lui éclaboussent tout le dos, comme une fresque rageusement raturée. Inquiétants hiéroglyphes déchaînés dans la chair.

Manu soupire, laisse retomber le tee-shirt et commente:

– J'ai du mal à comprendre ça. Mais c'est assez joli, ça fait art abstrait, quoi. On t'a fait ça avec quoi?

– Cravache.

– Ça donne un genre, y a pas à dire.

Elle passe la bouteille à Nadine et insiste:

– Je vois bien que t'as pas l'intention d'en parler, mais je voudrais bien que tu en parles. Je comprends pas, moi, faut que tu m'élargisses l'esprit. C'est des trucs de peine-à-jouir ces bordels-là, tu m'avais pas dit que t'avais besoin qu'on te cogne.

– J'ai pas besoin qu'on me cogne, je suis payée pour ça.

– Je crois avoir entendu parler de filles qui se font payer pour faire du sexe sans se faire marave. Pourquoi t'es là-dedans, toi?

– Un jour – par «hasard» – tu tombes sur un client qui te préfère attachée. Ensuite – juste «pour voir l'effet que ça fait» – tu diversifies les expériences. Avec le temps, tu rentres dans le move. Quand j'étais gamine, je m'imaginais volontiers solidement ligotée sur une table de bar, mon cul bien ouvert, et de nombreux messieurs dont je ne pouvais pas voir le visage me faisaient des choses déroutantes. Et très dégradantes. Et très agréables.

– On a toutes des rêves d'enfants, je respecte ça. Mais quand même, c'est un loisir pour friqués désœuvrés, de la sensation pas chère.

– Qu'est-ce que tu veux que je te dise? C'est vrai que c'est décevant à la longue.

– Tu dis ça, mais je suis sûre que tu pisses toute ta mouille chaque fois qu'un connard te parle mal; maintenant que tu m'en parles, ça m'étonne pas de ta part.

– C'est décevant à cause du moule, sortir d'un consensus et retomber dans un autre. Pas de dérèglement, pas de vrai dérapage.

– OK toi tu rêvais d'arrachage de tête à la tronçonneuse et ces connards sont à peine capables de t'esquinter le dos. Ça doit être frustrant.