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Nadine sourit. Elle cherche ses mots quand elle parle, hésite à chaque nouvelle phrase. Se rend compte qu'elle n'a pas l'habitude de faire un effort pour s'expliquer. Ça ne l'avait encore jamais gênée.

La petite insiste:

– Raconte-moi en détail. Par exemple, comment on t'a fait ça?

– C'était avec un type petit avec des lunettes énormes, une super monture. Il avait aussi une énorme bite, pas monstrueuse en soi mais franchement disproportionnée par rapport à sa taille.

Nadine s'interrompt. Elle fait un effort pour se souvenir de comment elle a fait la putain pour lui. Debout au milieu du salon, elle lui tournait le dos. Il lui a dit de se pencher, se pencher mieux, qu'il la voie bien. Elle ne pouvait pas voir ce qu'il faisait derrière elle. Il l’a débarrassée de l'usage de ses mains en les lui attachant dans le dos; s'est servi d'elle comme il l'entendait, de sa bouche aussi longtemps qu'il le souhaitait, a joué avec son cul et gloussé de contentement en l'entendant crier. Tous pouvoirs sur elle, jusque la faire hurler et supplier d'arrêter quand il s'est mis à la frapper. Son bras se levait et retombait, inexorablement. Elle ne pouvait rien faire pour se soustraire aux coups. À disposition.

Parfois, il cessait de cogner, lui parlait doucement, la caressait comme on rassure une chienne malade, l'apaisait. Puis recommençait.

La raison se révolte et le corps prisonnier, obligé d'endurer. Elle léchait ses mains quand il s'interrompait, en signe de reconnaissance. Puisqu'elle adorait ça, léchait son gland quand il se branlait à quelques centimètres de sa bouche, attendait pieusement qu'il l'éclaboussé de foutre. Elle avait supplié et gémi pour qu'il la baise par le cul, imploré pour qu'il vienne.

Ces pratiques-là. Tellement grotesques et déplacées maintenant qu'elle voudrait en parler. Incongrues.

Nadine sourit à la petite en signe d'impuissance, s'excuse:

– Pas moyen de te raconter ça.

– C'est bien ce que je dis: t'es bloquée du cul. C'est pour ça que t'aimes ça et c'est pour ça que tu peux pas me le raconter. Tu travaillais où?

– Je racolais sur Minitel.

– Quelle tristesse! C'est un truc de paumés.

– Manu?

– Ouais?

– La bouteille de Jack, enfonce-toi-la bien profond, je t'emmerde.

4

Terrasse écrasée de soleil, elles lisent le journal en silence. Des articles concernant «un inspecteur de police sauvagement abattu à son domicile, sa compagne étendue à côté», ainsi que quelques lignes sur «un règlement de comptes entre petits gangsters». Manu s'étonne de ce qu'ils n'ont pas encore fait le rapprochement. Elle est de bonne humeur, visiblement satisfaite de faire couler un peu d'encre.

Apéritif prolongé, elles sont déjà raides quand elles s'installent au fond d'un restaurant peu fréquenté. Descendent trois bouteilles de rouge, il n'y a plus personne aux tables alentour. Manu touche le bras du serveur sous n'importe quel prétexte, prend un malin plaisir à le sentir mal à l'aise. À mesure que l'heure tourne, elle le retient de plus en plus vigoureusement, lui parle à quelques centimètres de la bouche. Mauvais sourire quand il essaie de se dénier.

Elle a toujours un verre à la main et s'interrompt régulièrement dans ses déclarations pour le porter à sa bouche:

– Je suis vraiment qu'une clocharde. Dans les films, les mecs ont toujours des répliques définitives au moment de shooter. Tu vois le genre?

– Non. Je ne regarde jamais de film.

– Tu vas jamais au cinéma? Tu regardes jamais la télé?

– Non. Que des films porno. Le reste, ça me fatigue. J'ai vu Gone with thé wind quand j'étais môme, je crois pas avoir vu d'autre film en entier.

– Comment veux-tu qu'on discute après ça…

Elle attrape le serveur au vol, demande une nouvelle bouteille, commente:

– Putain, trois dans la journée, ça c'est de l'entrée dans la vraie vie, on peut fêter ça dignement.

Nadine sourit en allumant une clope:

– C'est quand même surprenant qu'on se soit rencontrées ce jour-là.

– C'est pas surprenant, c'était le moment ou jamais.

– On peut voir ça comme ça. C'est toujours pareil pour moi, je me sens jamais comme je devrais, et je fais jamais attention aux choses qui comptent… Par exemple, ce soir c'est pas le moment de me sentir bien. Et je me sens carrément bien. J'ai pas l'émotion adéquate.

– Moi aussi, je me sens bien, je vois pas ce que ça a d'inadéquat. Il se pourrait qu'on s'amuse un peu… T'as idée de ce que tu vas faire, toi? On pourrait profiter de ce qu'on a un peu de thunes pour faire du voyage.

– Y a nulle part où j'ai envie d'aller. Et puis il faut que je sois à Nancy le 13, j'ai promis à Francis.

– Ça m'était sorti de la tête. C'est vrai qu'une promesse faite à un garçon qui filtre le speed pour le boire pur ne se trahit pas. Je propose qu'on reste ensemble d'ici là, à moins que tu préfères…

– On reste ensemble, tout le plaisir est pour moi.

– Parfait. Faut appeler ce garçon qu'il nous mette un whisky qu'on porte un toast…

Manu s'agite et l'appelle. Comme il ne vient pas assez vite, elle se lève pour commander au comptoir. Elle se cogne dans les tables en passant. Puis revient s'asseoir tant bien que mal et demande:

– Pourquoi elle passe les frontières à vélo, l'autre?

– Je sais pas bien, elle s'était barrée pour une histoire d'acides, s'était fait envoyer une centaine de trips par la poste. Qui ne sont jamais arrivés à bon port. Par contre, les flics sont passés un matin où elle n'y était pas, coup de chance. Elle s'est trissée le jour même, je dois lui filer un passeport et une enveloppe. Genre lettre de recommandations et vœux de bonne continuation. Elle a l'air bien, cette fille, je l'avais déjà vue plusieurs fois, une bonne tête…

– Ça doit être chiant d'être en cavale, tu dois jamais dormir tranquille.

– On devrait avoir un avis sur la question d'ici peu.

– Faut être raide, faut beaucoup boire à partir de maintenant. Et attraper du loup. Plus tu baises dur, moins tu cogites et mieux tu dors. D'ailleurs, qu'est-ce que tu dirais de ramener du loup à la chambre, ce soir? Des fois qu'on se fasse serrer plus tôt que prévu, on n'a pas intérêt à déconner avec ça. J'voudrais pas m'faire enfermer sans avoir eu mon indigestion de foutre… J'attraperais bien un surfer blond, lui coller mon gun sur la tempe et qu'il me lèche le clit pendant que je regarde les clips.

Manu trouve la rime satisfaisante et la décline sur tous les tons, Nadine l'interrompt:

– Moi, je préfère un garçon consentant.

– Toi, c'est différent: c'est plutôt sucer le canon qui t'intéresse, c'est pas la même option. Mais, en fait, je disais ça dans le vague, histoire de causer. J'aime pas les surfers. Au fait, sur Minitel, tu mettais quoi dans ton CV?

– Jeune fille vénale mais très docile cherche monsieur sévère.

– OK… À partir de là, tu pouvais lever que des loups passionnants. On y va?

Nadine demande l'addition. Le serveur lui est reconnaissant depuis le début du repas parce qu'il a l'impression qu'elle modère les ardeurs de la petite et qu'il peut compter sur elle pour le défendre en cas de dérapage trop virulent.

Elle remplit son chèque, pense à Séverine et réfléchit à voix haute:

– Je me demande si quelqu'un l'a découverte. Je me demande si quelqu'un en a quelque chose à foutre.

5

Assises au comptoir d'un bar éclairé en bleu glauque, elles dévisagent les garçons qui entrent, traquent le mâle éhontément.

Bientôt, Manu se frotte contre un jeune garçon qui porte un pantalon taille basse, on lui voit les épaules parce qu'il porte un tee-shirt sans manche. Les muscles sont ronds et donnent envie d'y mettre la main, de sentir avec la langue. Il sourit comme elle raconte n'importe quoi, il a l'air gentiment ailleurs et pas farouche, se laisse approcher et toucher et continue de sourire. Pas dérangeant.