Et elle recommence à feuilleter ses magazines, remet son walkman en marche et réfléchit à des choses en alignant ses images.
À la fin de la journée, elle plie soigneusement les photos de la blonde au sexe épilé, se lève et s'étire. Manu s'est coupé les cheveux d'une étrange façon.
Elles s'ennuient tranquillement et attendent que ça se passe. Font des allers et retours du Mac Do à leur chambre, jusqu'à ce que le Mac Do ferme. Manu est déçue parce qu'elle avait fait copine avec un serveur du Mac Do pubère depuis peu et elle pensait qu'il passerait à l'hôtel en finissant. Mais il prend poliment congé d'elle et se dépêche pour attraper le dernier bus. Elles rentrent à pied. Nadine dit, pour dire quelque chose:
– J'ai remarqué que les garçons avaient souvent du tact pour repousser les avances des filles. Enfin, pas systématiquement, mais généralement ils font un effort. Lui, il a fait de son mieux pour se défiler sans être désagréable.
– Ce connard m'a envoyée chier comme un connard. Je vois pas en quoi il a eu du tact; tu voulais pas qu'il me crache à la gueule quand même?
– Il a rien dit de méchant, c'est ça que je voulais dire.
– Il m'a pas traitée de poufiasse avariée, c'est vrai qu'il aurait pu. Tu discutes vraiment pour discuter.
Elles rentrent en silence à l'hôtel, les bras pleins de paquets Mac Do remplis de bières.
Finalement, Manu est malade. Elle vomit à grands flots, agenouillée devant la cuvette. Les épaules secouées à chaque gorgée qu'elle rend, elle se vide l'estomac en s'enfonçant deux doigts dans la bouche. Se rince le visage en aspergeant toute la pièce et finit sa dernière bière à la paille avant de se mettre au lit.
Nadine regarde le plafond, les bras croisés derrière la nuque.
Suicidal tendencies.
13
Ce matin, Nadine a acheté un tailleur bleu marine et une serviette en cuir. Elle s'est teint les cheveux en noir et les a relevés en chignon. Ses talons font un bruit d'enfer. Manu marche derrière elle.
La plus grande rentre la première dans une armurerie. Elle a demandé à Manu d'attendre devant un moment.
Le vendeur est un petit homme malingre et presque chauve. Nerveux. Nadine et son histoire de mari passionné d'armes a l'air de lui plaire, il lui fait une démonstration passionnée, sort des coffrets et des catalogues. Elle l'écoute, sourcils froncés, tâche d'y comprendre quelque chose. Elle en rajoute dans le registre bonne élève concentrée, elle savoure le moment. Elle lui regarde les poils du nez dépasser par petites touffes, elle susurre plus qu'elle ne parle. Elle se sent dégouliner d'affection pour ce type adipeux, hautain et imbu de lui-même. Elle se penche sur le comptoir pour lui faire voir son décolleté. Elle se délecte de lui parce qu'elle le trouve insupportable et qu'elles vont lui mettre un terme à la connerie. Une perspective réjouissante.
Manu entre à son tour. Imper rosé, cheveux orange parce que la coloration n'a pas fonctionné comme prévu, rouge à lèvres rose nacré, fond de teint orangé en couche épaisse et Ricils bleu. Le style poufiasse lui va bien. Le vendeur lui décroche un sale coup d'oeil et ne répond pas à son bonjour. Il veut bien de la femme dans son magasin, mais pas de la morue. Elle fouille dans son sac. Il explique pour Nadine: «Le 10 Auto arrive cette année en tête du classement français. Dans votre cas, le 40 Smith et Wesson pourrait convenir. Si votre mari est amateur de parcours de tir…»
Manu l'interrompt:
– Et si sa femme est amatrice de tir au connard?
Il relève la tête, ses narines se dilatent un peu, mais il reste très rigide. Manu tire au moment où il comprend que c'est un flingue qu'elle tient.
Elles paniquent plus que les fois précédentes, embarquent plusieurs flingues dans la serviette en cuir, des boîtes de cartouches au hasard.
Sonnerie de la porte, elles sursautent et se retournent. Deux types rougeauds entrent dans le magasin, ils se ressemblent un peu. Manu tire au ventre. Après quelques pas de danse hésitants, ils s'affaissent à peu près synchroniquement, sans grande conviction et avec une même expression stupide et décontenancée. La petite marche sur eux et tire dans chaque tête, pour être sûre.
Elle retient Nadine par la manche et dit en désignant les corps:
– Regarde-les, ceux-là, c'est de la caricature, toutes les fois que t'en as croisé des comme ça et que t'as eu envie de tirer…
Nadine regarde les deux corps, tombés n'importe comment, étalés par terre, on dirait que la déchirure au ventre va s'élargir brusquement et qu'un monstre va en surgir. À cause du sang qui sort, la plaie semble un rien frémissante. Elle fait la moue:
– C'est tous pareils. Surtout à ce stade. On est bien peu de chose quoi…
– Mais non, c'est pas tous pareils, ceux-là ont vraiment des sales gueules de vigile ou un truc comme ça. Le style raciste grincheux agressif et dangereux. C'est de la tuerie d'utilité publique.
Quand elles se retournent pour sortir, elles se rendent compte qu'il y a du monde amassé devant la vitrine.
Manu fait une sortie l'arme au poing, disperse le badaud en hurlant: «Barrez-vous, tas d'connards.» Nadine la suit tant bien que mal, quitte ses chaussures et court pieds nus.
Il y a eu de la panique derrière elle, il y a eu du poursuivant têtu. Et puis un concours de circonstances favorables, quelques voitures qui traversent quand il faut, quelques judicieux tournants, et cette peur infernale qui colle des ailes aux pieds et leur donne l'avantage sur tous les poursuiveurs.
Elles ralentissent quand il semble qu'elles ont vraiment semé leurs poursuivants, Nadine a les pieds en sang et ses collants se sont littéralement désintégrés jusqu'à la cheville. Avant même d'avoir correctement récupéré son souffle, Manu vocifère:
– Comme on les a plantés derrière nous, ce gros tas de gros connards, j'y crois pas une seule seconde. Ils s'imaginaient quand même pas qu'ils allaient nous mettre la main dessus?
14
Debout dans la salle de bains, elle coupe des mèches de ses cheveux, se demande comment on fait pour que ça ait l'air normal. Dans la pièce à côté, Manu entre en transe, accroupie au milieu de journaux étalés par terre:
– Bordel, mais c'est la première page partout! Terreur sur la ville, carrément.
– Tu crois qu'il y en a beaucoup des gens assassinés par balle par jour?
– J'en sais rien, moi. Quelques-uns. Je vais lire les articles, peut-être qu'après je pourrai te renseigner.
– Y a nos têtes?
– Non, putain, c'est vraiment pas des lumières, y a des portraits-robots tout niqués, t'as une tête de boxeur et, moi, on croirait que j'ai quinze ans et que je fais ma première fugue. Sérieusement, personne peut nous reconnaître à partir de ça. Aucun rapport. À part qu'on est deux filles et y en a une plus grande que l'autre.
Nadine se penche sur les deux portraits-robots. Ça leur ressemble plutôt bien. Elle dit:
– C'est pas bon pour nous, ça.
Manu se lève pour aller cracher dans la cuvette des chiottes, elle dit:
– Faut pas rêver. Ta gueule de pute dans les journaux, c'est pour dans pas longtemps. Pis avec le cinéma qu'on a fait ce matin chez le vendeur de guns, j'ai dans l'idée qu'ils vont faire de gros progrès sur les portraits-robots. C'est bien la première fois qu'on laisse un aussi gros tas de survivants…
Elle se rassoit et tourne les pages des journaux sans les lire. Elle ajoute au bout d'un moment:
– En vérité, ça va se compliquer pour nous, c'est sûr. En fait, à partir de maintenant, on est interdites d'hôtel. Et d'ici peu de temps, on sera interdites de rue.
Nadine recommence à se couper des cheveux où ça semble judicieux, derrière elle, la petite lit les horoscopes à voix haute.