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Puis elle vient s'asseoir sur le lit, constate que la bouteille est vide et décrète:

– De toutes façons, il faut qu'on tienne jusqu'au 13. On va ruser d'ici là, on va bien se débrouiller. Les femmes font tellement n'importe quoi de leurs corps, on peut se déguiser sans étonner personne. Toutes façons, y a pas de raison pour que les gens qu'on croise se demandent si c'est nous, c'est grand la ville, quand même. Mes cheveux, je les ai coupés, bizarre, non?

Manu la regarde, bouche ouverte, on voit ses couronnes au fond:

– Ça te change. Avant, ça te cachait un peu la gueule, les tifs devant. Maintenant, c'est direct sur les cernes. Tu fais dépressive comme ça. Ça sera un test, si les prochains portraits publiés, c'est deux grosses taches noires avec un peu de gueule autour, c'est qu'ils ont une bonne technique.

– Ou qu'on a laissé trop de témoins vivants. Comment tu crois qu'ils font pour l'enquête?

– Jamais travaillé chez les flics. Mais je pense qu'ils vont voir les voisins. Qui racontent des conneries… Je sais pas comment ils enquêtent. C'est paradoxal, ces gens; à la fois, t'as jamais vu plus mongol. Et, à la fois, c'est vraiment des têtes. C'est ça leur force, ai sais jamais à qui t'as à faire. À mon avis, la seule technique, c'est de les prendre pour des cons, sinon ça te déboussole.

– Faut qu'on fasse de la route aujourd'hui.

– Faut qu'on montre notre cul. Faut que tous les gens qu'on croise regardent notre cul et rien d'autre.

– Faut mettre des lunettes aussi. Des chapeaux.

– Ouais, faut faire dans l'accessoire. Faut faire ce qu'il faut pour faire durer le plaisir. C'est la dernière fois qu'on va à l'hôtel. Maintenant, on ira chez l'habitant.

– Tu penses à quelqu'un?

– Non. Je pense à la première maison qu'on croise. On rentre, on tire et on s'installe.

– Brillant.

Manu mange du chocolat avec des amandes dedans, elle croque directement dans la tablette. Nadine a aligné les flingues sur le lit. Elle en prend un qui fait vraiment western, avec un barillet, Taurus. Elle le regarde sous toutes les coutures.

– Ça va m'exploser dans la gueule.

Elle ne sait pas comment l'ouvrir, elle joue avec devant la glace.

Elle prend son walkman, descend acheter des revues sur les armes. Is she pretty on the inside, is she pretty from the back, is she ugly on the inside, is she ugly from the back?

D'avoir vu leurs portraits dans les journaux la rend beaucoup plus nerveuse qu'il y a quelques heures.

Elle est mal à l'aise dans le magasin de journaux. Elle feuillette Action Guns et Cahiers du pistolier et du carabinier. Elle ne s'est jamais intéressée aux armes. Quelque chose qui se précise, quelque chose qui promet d'être drôle. Pourvu qu'ils lui laissent le temps. La dame à la caisse lui propose un sac pour les mettre, comme quand elle achète des trucs de porno hard.

Elle s'arrête chez un vendeur d'alcool, les bouteilles sont présentées comme des alliances dans une bijouterie. La vendeuse est plantureuse, extrêmement souriante et bien de sa personne. De l'or presque à chaque doigt et les sourcils épilés très fins, des mamelles énormes et solidement contenues. Ça doit être peinard pour elle de branler les garçons entre ses seins. Nadine achète du whisky et du vin vraiment cher dans des caisses avec de la paille. Elle a intérêt à claquer sa thune, ça serait con de se faire attraper les poches pleines. Elle est bien aimable avec la vendeuse qui le lui rend bien. Pendant qu'elle lui emballe ses bouteilles en discutant coteaux de Provence, Nadine essaie de l'imaginer quand elle baise. Est-ce qu'elle dit des trucs sales, est-ce qu'elle a toujours envie? Elle est bien du genre bourgeoise vicieuse. Le contraire serait dommage.

Elles se disent poliment au revoir.

When I was a teenage whore, I gave you plenty, baby, you wanted more?

La cassette s'arrête au milieu du morceau, elle sort son walkman de sa poche pour changer de face. Un gamin siffle: «Ça c'est du walkman.» Elle relève la tête, il a une bonne tête de racaille. Avec de l'insolence dans le sourire, un garçon qui doit affoler les filles. En tout cas, il lui plaît bien. Il s'approche d'elle, demande:

– Sans indiscrétion, qu'est-ce que tu écoutes, charmante jeune fille?

Il lui parle comme un homme qui pratiquerait la drague intensive, alors qu'il ne s'est certainement jamais fait sucer. Elle sort sa cassette, bafouille:

– J'écoute rien d'intéressant, tu veux le walkman?

Elle le lui laisse dans les mains et se barre. Il la rattrape:

– Merci, il est super bien… Mais ce que j'aimerais vraiment, tu vois, c'est te payer un café.

Elle décline l'invitation, ça le fait rire, il dit:

– En fait, ça m'arrange bien que tu refuses, j'ai même pas les francs pour un café… Je suis trop pauvre pour me faire des femmes, c'est ça mon problème.

Elle rentre. À l'hôtel, elle a gardé un autre walkman. Manu a expédié les trois autres, enveloppés dans des billets de banques pour pas qu'ils se cassent pendant le transport, à un gamin qu'elle connaît et qui s'est fait vitrioler la face. C'est son côté scout qui ressort par moments et contamine Nadine.

15

Quand elle entre dans la chambre, Manu est accroupie dans un coin. Elle ne porte que ses hauts talons qui s'enfoncent un peu dans la moquette. Elle regarde attentivement du sang couler d'entre ses jambes, bouge son cul pour faire des traînées. Les taches rouges sombres restent un moment à la surface, bulles écarlates et brillantes, avant d'imprégner les fibres, s'étaler sur la moquette claire.

Nadine s'accroupit en face d'elle, considère sentencieusement le mince filet de pisse rouge très épaisse qui lui sort par saccades plus ou moins généreuses. Dedans, il y a des petits lambeaux plus sombres, comme la crème dans le lait qu'on retient avec la cuillère. Manu joue avec ses mains entre ses jambes. Elle s'est barbouillée de sang jusqu'aux seins. La petite dit: «Ça sent bon dedans, enfin faut aimer.» Puis braille en faisant un geste de la main vers les quotidiens entassés:

– Sale race, ces journalistes. C'est bidon. T'as ramené à boire? C'est chouette ça. T'as mis du temps, grosse… Je commence à me tourmenter dès que t'as du retard. Ça te fait pas chier que je mette du sang partout? J'saigne comme une chienne le premier jour. Mais ça me dure qu'un jour. Quand j'étais gamine, je faisais exprès de tout tacher pour faire chier ma mère. Elle fait partie de l'ancienne école, ça la fascine pas trop ces trucs-là. Si elle pouvait, elle voterait contre. Ça la rendait carrément malade. Après, j'ai gardé le goût. C'est spectacle, merde, ça fait plaisir à voir.

– Ça doit faire plaisir à tes petits amis.

– Je m'écrasais quand même, je faisais ça dans les chiottes. J'ai remarqué que ça faisait rire que moi. Toi, t'es vicieuse et large d'esprit, j'en profite. Pis y en a pas tant que ça des mecs qui sont restés avec moi.

– M'étonne pas.

Nadine s'est relevée sans détacher les yeux des taches sur la moquette, Manu se couche sur le dos. Allongée par terre, elle joue avec ses jambes. Elle a les poils du pubis plutôt clairs, et le sang se voit bien dessus.

Dans les bouquins que Nadine a achetés, ils montrent en photo comment on démonte un flingue pour le nettoyer. Ils donnent des noms pour les parties. Face à face, chacune à un bout du lit, elles passent toute une partie de la journée à retourner les guns dans tous les sens. Manu ne s'est pas rhabillée, elle laisse des traces ensanglantées partout où elle s'assoit. Elle raconte des scènes de tir qu'elle a vues au cinéma, en parlant, elle vise des trucs dans la pièce.

C'est comme si la main était faite pour tenir un flingue. Métal contre sa paume. Évident. Ce qui manquait au bras.