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– Putain, c’qu'on est synchro, toi et moi, j'y crois pas une seule seconde. On dirait qu'on fait ça depuis toujours. J'y crois pas une seule seconde.

– T'as dit qu'on allait où?

– Marseille. C'est plein de garçons.

Nadine entre une cassette dans l'autoradio.

Come on, get in the car. Let's go for a ride somewhere. You make me feel so good. You make me feel so crazy.

Manu ne se calme résolument pas, elle se tortille sur son siège et parle sans arrêt:

– T'as vu, ça fait comme dans les jeux vidéo, quand t'en es au tableau mortel dur. T'as des envahisseurs de partout et tu les corriges tous, t'es trop forte, quoi. Ce coup-là, il était risqué. Ça fait son charme. Un gamin, c'est abusé. Franchement, je l'aurais pas fait. Mais t'as eu raison: faut abuser. Faut acheter à boire aussi. Il fait grande soif à cette heure. Bon, mais je te préviens tout de suite: on va s'arrêter dans une épicerie arabe et je veux pas de carnage chez les Arabes. T'as pas de principe, toi, tu veux tirer sur tout le monde.

– Je m'en fous des Arabes. Je croyais qu'il fallait abuser.

– Faut abuser. Mais faut pas abuser tout le temps. Y a un équilibre savant à trouver.

– Tu me fatigues avec tes Arabes. T'aurais pu faire quelque chose de ta vie. Style éduc ou assistante sociale, t'as du bon sentiment en stock.

– Ils m'auraient laissée faire, moi j'aurais fait du bien à tout le monde. A la base, je suis du style à faire passer Mère Teresa pour une grosse salope. Mais ces gens sont trop faibles, ils sont nuisibles, y a pas moyen de leur faire du bien. Ça grappille, ça se laisse aller, ça se plaint tout le temps. C'est chiant. Et surtout, ils ont pas de valeurs. Je peux rien faire pour eux.

Pour dire quelque chose, Nadine commente:

– Savent pas ce qu'ils perdent.

Et la petite reprend:

– Putain c'que j'ai soif, moi. J'en reviens pas de ce que t'as fait. J'allais partir aux chiottes, me vider un peu l'estomac en me faisant gerber, peinarde, pour pouvoir reprendre des gâteaux… Ils étaient bons ces gâteaux, vraiment, on aurait dû penser à en prendre, on déconne. T'as sorti ton flingue, et j'ai tout de suite fait feu, sans réfléchir. De la haute voltige, y a pas. Ça, c'est du baptême, grosse, t'auras pas fait les choses à moitié.

Elle sort des morceaux de chocolat de la poche de son blouson, du bout des doigts ôte les petits fils qui se sont collés dessus. Elle en propose à Nadine.

Au volant, la grande se sent infiniment calme. Elle roule trop vite et conduit bien. La petite a raison, elles font ça vraiment bien toutes les deux.

Angels are dreaming of you.

La sensation de bouffer personnellement la route, une seule bouchée. Elle réfléchit à voix haute:

– Ils vont être contents demain à l'hôtel. Du sang, des flingues et un walkman.

– Pourront convoquer la presse, vont pouvoir se masturber un peu la bande à écriveurs de nazeries. Je parie que ces connards de flics cogitent sur nos moindres mégots de clopes. Putain, vivement demain qu'on lise ça!

– J'comprends pas que tu lises ça, moi ça m'énerve trop.

– Tu prends tout trop au sérieux, toi, t'aimes bien te torturer, alors tous les prétextes sont bons. Moi, rien que d'imaginer les gens du quartier en train de lire ça, je suis morte de rire. J'y retournerais bien faire un tour, leur taper sur l'épaule: «Alors les kids, les soucis quotidiens, ça se passe comment? Toujours aussi triste?»

– Tu veux qu'on y aille?

– Non. Je veux plus jamais aller là-bas.

17

Elles roulent assez longtemps, croisent un mec en train de pisser dans un champ. Balle dans le genou, balle dans la nuque. Changement de voiture, au cas où…

Elles discutent pour savoir si elles seront recherchées par hélicoptère, comment ils peuvent organiser le truc. Nadine fouille dans son sac et dans ses poches sans quitter la route des yeux:

– Merde, j'ai oublié ma cassette dans l'autre voiture, quelle conne!

– Ça fera grosse promo au groupe.

– Ils n'ont pas besoin de moi, merde, quelle conne!

– Y a pas d'autoradio dans cette voiture, tu t'en fous.

Elle change de ton:

– C'est un camion de flics. Putain, c'est un putain de camion de flics, c'est sûrement un barrage, quelle putain de route!

Manu parle vraiment vite, mais calmement. La route est à peine éclairée, Nadine fronce les yeux. À quelques mètres, un camion de flics est effectivement garé sur le bas-côté. Familière sensation du coup au cœur. Avec le temps, on y prend goût. «Nous y voilà.»

Manu articule tranquillement, c'est la première fois qu'elle est aussi posée:

– Dès que ça déconne, tu fonces. Moi, je tire. Tout ce qui bouge. T'oublies pas qu'on est une équipe hors pair. On essaie de passer. Au moins, on leur fout un bordel sans précédent. Mais on se rend pas.

Elles arrivent à hauteur de la camionnette. Du coin de l'œil, Nadine capte que Manu sourit méchamment. Elle prend sa main dans la sienne, elle a honte de son geste en même temps qu'elle le fait. Sauf que Manu mélange tout de suite ses doigts aux siens, et tient sa paume serrée à en faire péter les articulations. Nouées, crispées l'une dans l'autre. Invincibles, même si elles n'ont pas une seule chance.

Elles dépassent la fourgonnette. Il n'y a personne à l'intérieur. Nadine comprend très précisément le sens de l'expression: «Son cœur va sortir de sa poitrine.» Et décidément, elle ne déteste pas ça. Elle a confusénient envie qu'ils barrent le passage. Pour jouer la partie, tenter le coup.

Quelques mètres plus loin, les phares éclairent deux flics en train de fouiller une fille contre un mur. Manu articule entre ses dents:

– J'y croîs pas une seule seconde. Rien à voir avec nous.

Au moment où elles arrivent à leur hauteur, la fille met une tête à l'un des deux flics, il recule de quelques pas, elle se barre en courant, l'autre flic a porté la main à son ceinturon. Manu hurle: «Arrête toi», et la voiture fait du bruit en dérapant un peu sous le brusque coup de frein. Manu tire jusqu'à ce que les flics tombent, ils n'ont même pas le temps de riposter. Puis calmement, marche sur eux et leur colle quelques balles en prime chacun, en grommelant: «On est jamais trop prudent.»

La fille s'est arrêtée de courir. Elle est immobile à quelques mètres de là. Elle réfléchit un instant puis revient sur ses pas, sans se presser.

Stan Smith et bomber noir, les cheveux très longs et brillants, dans le noir. Rien que sa façon de marcher en impose. Crédible d'entrée de jeu dans son rôle d'amazone urbaine.

Retourne le premier corps sur le dos du bout du pied. Puis shoote dans la tête comme au foot en prenant un peu d'élan. Elle regarde l'autre corps, attentivement. Puis la voiture et seulement alors lève les yeux sur Manu. Elle déclare: «J'en ai jamais vu des morts», en montrant les deux flics. Elle ne fait aucun effort visible pour rester calme. La ligne de démarcation entre ce qui se passe dans son crâne et ce qui se voit sur sa face semble solidement dessinée. L'occasion n'est pas assez exceptionnelle pour qu'elle se laisse aller.

Manu sourit, se penche sur le flic.

– Ça fait toujours plaisir d'en refroidir.

Elle fait un signe du menton pour désigner Nadine avant d'ajouter:

– Elle, elle trouve que c'est tous du pareil au même. Moi, j'ai toujours une spéciale dédicace pour les flics.

Nadine est restée dans la voiture. Elle scrute le visage de la fille, qui ne lui a pas jeté un seul coup d'oeil. Les traits singulièrement réguliers, une allure de princesse. De l'élégance innée. Elle dit: «J'étais justement en train de faire une connerie.» Le ton est aussi neutre que possible.

Manu sort son paquet de clopes, en propose une à la fille, puis se rapproche d'elle pour lui donner du feu. Ça ressemble à un cérémonial, une prise de contact aux codes bien établis. La fille remonte la fermeture de son blouson, dit: