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– Vous avez du goût. Notamment en littérature, pour autant que je puisse en juger. J'ai peine à détester un homme qui lit Ellroy dans le texte et possède l'intégrale de Sade. En tous les cas, vous tranchez singulièrement d'avec nos précédentes rencontres.

Elle revient s'asseoir en face de lui et sourit. Pas comme si elle le dominait, plutôt comme enchantée de le rencontrer.

Il sourit en retour. Elle est persuadée qu'il la trouve grotesque mais qu'il le dissimule. Parce qu'on évite de heurter la susceptibilité des gens armés. À moins qu'il cherche à l'amadouer. Elle ne sait pas comment interpréter son attitude. Elle ne sait pas quoi faire de son corps en face de lui. Sur la corde raide. Ne pas montrer qu'elle est désarçonnée. Après tout, elle est du bon côté du flingue.

Alors pourquoi est-il aussi détendu? Peut-être qu'il sent qu'elle panique et ricane intérieurement.

Il la regarde avec insistance, toujours en souriant. Il est suffisamment intelligent pour sentir qu'elle a envie d'être flattée. Elle a envie d'être flattée. Elle a envie de sa reconnaissance, en même temps que peur de ne pas la mériter.

Elle a envie de lui.

Elle parle doucement et posément, comme si elle maîtrisait la situation:

– Il y a une seconde différence entre nos précédentes victimes et vous, de taille elle aussi. Nous n'avons jamais tué qui que ce soit pour de l'argent. Nous nous sommes parfois servies au passage, après coup et pour le défraiement. Je trouve ça effroyablement vulgaire, avoir un mobile pour tuer. C'est une question d'éthique. J'y tiens. J'y tiens énormément. La beauté du geste, j'accorde beaucoup d'importance à la beauté du geste. Qu'il reste désintéressé. Or nous sommes ici pour une histoire d'argent. Nous partons, ma collègue et moi-même. Une subite envie de visiter le monde.

Manu, qui s'est exclue de la scène pour aller fouiller dans le bar, intervient inopinément:

– Et de soulager les couilles aux indigènes.

Nadine sourit avec condescendance en la regardant. Comme si elle avait l'habitude de voyager avec une demeurée… Elle sourit ensuite au monsieur, comme pour dire: «Elle est comme ça, mais elle a bon cœur au fond, ne vous en faites pas.» Il répond à ce sourire, avec insistance. Ils s'entendent. Soit il joue vraiment bien son rôle, soit il écoute vraiment ce qu'elle raconte et a l'impression de bien saisir le personnage. Fantasque et délicieusement violent, tellement littéraire justement.

Elle conclut, elle a rarement fait un tel effort pour sembler sereine et rassurante. Comme si elle désirait envoyer des ondes de paix par tous les pores de sa peau:

– Le problème se pose simplement. Vous avez un coffre au fond de la pièce derrière celle-ci. Un coffre caché derrière une toile de Tapies. Dans ce coffre, il y a des pierres précieuses. Car vous avez le bon goût de vous intéresser aux diamants. Un homme de votre qualité ne saurait se satisfaire d'actions en Bourse…

– J'aime la beauté, vous semblez l'avoir compris.

Elle est sidérée. C'est sa première réplique, il l'a lancée en parfait gendeman. Conversation de salon, ils causent. Entre gens qui se comprennent et s'apprécient.

Elle enchaîne donc sur ce même ton du badinage:

– Ces diamants nous intéressent très prosaïquement, pour nous permettre de voyager. Et accessoirement de sauver notre peau. Nous ne savons pas ouvrir les coffres-forts. Nous avons donc besoin que vous le fassiez. Faisons un pacte: vous nous remettez les pierres et nous ne vous ferons aucun mal. Vous avez ma parole d'honneur. Qui vaut ce qu'elle vaut, à vous de juger.

Elle a fait de son mieux. Elle a bluffé autant que possible. Elle a envie de partir. Elle est sûre que ça ne va pas se passer comme elle le souhaite.

Il croise les jambes, réfléchit un court instant. Manu revient au centre de la pièce, une bouteille de Glenn Turner à la main qu'elle tient par le goulot. Elle précise:

– Par contre, connard, si tu l'ouvres pas, ton coffre de merde, moi j'm'en carre que t'aies lu Machin et Machin et je me ferai un plaisir de t'éclater ta gueule de crétin impassible.

Elle se tourne vers Nadine, ajoute:

– Comme ça, personne pourra prétendre qu'on l'a tué pour de l'argent, si c'est ça qui te chiffonne. L'honneur sera sauf, quoi.

Nadine acquiesce, l'architecte lui jette un coup d'œil inquiet. Très léger, il est encore loin de la panique.

Finalement, il lève les bras en l'air en signe d'impuissance et dit:

– Je ne crois pas que vous me laissiez le choix. Si vous voulez bien me suivre.

Manu se colle derrière lui, le canon touche ses omoplates. Nadine ferme la marche, il s'adresse à elle comme s'il n'y avait personne entre eux. Très mondain. Il n'a pas peur. En tout cas, ne le montre pas du tout.

– Je lis très peu les journaux et je n'ai pas la télé. Je pense que vous comprendrez qu'on se refuse à avoir la télé.

Elle ne comprend rien. Et surtout pas où il veut en venir. Il cherche à l'endormir, il a un plan derrière la tête. Il continue sur sa lancée:

– Mais j'avais entendu parler de vous deux, j'avais été très intrigué… Je vous imaginais autrement… À vrai dire, je n'envisageais pas de vous rencontrer.

Ils passent dans la pièce à côté. Nadine le regarde pousser le tableau au mur. Est-ce qu'elle s'est déjà fait mettre par un mec aussi classe? Dans des plans de tapin, elle est déjà allée se faire enculer chez des élégants. Mais aucun d'entre eux n'a jamais eu cette attitude envers elle, cet effort de séduction. Le grand jeu. Ce type-là a envie de lui plaire. À chaque fois que leurs regards se croisent, il fait attention à ce que ça soit torride et fervent, qu'on ne manque pas le sentiment.

Ça ne peut pas être aussi simple. Quelque chose va foirer. Elles sont crispées sur leurs armes, droites et attentives. La même idée en tête, l'une comme l'autre: «Qu'est-ce qu'il a à déconner comme ça, et qu'est-ce que ça cache?»

Le coffre-fort est exactement comme elles l'imaginaient: gris très foncé avec des petites roues à codes. En triangle. Avant de toucher les boutons, il dévisage Nadine, déclare:

– Je n'ai jamais rencontré de femme qui vous ressemble. Vous ne ressemblez sans doute à personne. Ce que vous faites est… terriblement violent. Vous devez avoir beaucoup souffert pour en venir à ces extrémités, à ces ruptures. Je ne sais quel désert vous avez traversé, je ne sais ce qui me pousse à avoir confiance en vous. Comme vous dites, le marché est simple, et je vous fais confiance, aveuglément. Je vous vois si belle, jusqu'au plus profond de vous.

Il a un rire, un petit éclat de rire terriblement raffiné, et secouant la tête:

– Vous êtes un tel personnage. Nous nous sommes à peine croisés, mais il s'agit là d'une rencontre. Je ne peux m'empêcher d'être… terriblement fasciné. Il est d'autres pactes que je passerais volontiers avec vous.

Il tourne les petits boutons, sans se presser, absorbé par ses considérations.

Nadine n'a pas sourcillé. Il minaude. Elle n'en croit pas ses yeux. Est-ce qu'il va finalement lui proposer de lui passer un rapide coup de langue dans la fente, pour la route? Il est capable de ça. Il est taré. Pris par son affaire de flirt avec une femme dangereuse, tout à sa causerie avec une tueuse.

Nadine regarde ses mains. Blanches et fines, les doigts légèrement tordus, on voit les veines à travers la peau. Des mains agiles et alertes. Elle imagine ces mains-là qui se glisseraient en elle. Ce visage-là, tellement parfait et régulier, qui se pencherait sur elle. Il porte une chaîne en or très fine. Cette bouche-là contre sa peau.

Elle aurait honte de son corps contre ce corps-là. Sous les caresses dispensées par un amant de cet acabit, sa peau deviendra grasse et pleine de poils comme des cafards, rugueuse et rouge. Écœurante.

Il demande:

– Au fait, je ne vous demande pas comment vous avez entendu parler de moi?

– Vous vous rendez bien compte, ça serait déplacé.